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L’ONCLE HENRY OU « L’ULYSSE DES ANCIENS JOURS… »
Commentaire sur Henry Russell par Minoque Dollin du Fresnel
(Arrière-petite nièce du comte Russell)
à partir de questions d'Anne Prunet
Vous êtes la petite-nièce d’Henry Russell. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire une biographie de votre grand-oncle ?
Il y a plusieurs raisons à cela : Tout d’abord, depuis toute petite j’ai entendu parler de « l’oncle Henry », soit par ma grand-mère, sa propre nièce, fille de son frère Frank, soit par mon père qui avait une véritable vénération pour lui, bien qu’il ne l’ait pas connu. Ensuite, l’existence de cet homme véritablement hors du commun m’a donné envie d’en savoir encore un peu plus sur lui. Certes deux biographies ont déjà été écrites, mais aucune n’est, à mon sens, satisfaisante et complète. Il y a très longtemps que je m’intéresse à lui, mais dernièrement, j’ai retrouvé des documents et des objets lui ayant appartenu, j’ai eu envie de le présenter sous un autre jour plus « contemporain ». D’ailleurs, il revient à la mode si l’on peut dire, car on trouve dans les nombreux écrits qu’il a laissés quelques analyses pertinentes et prémonitoires tant sur les pays qu’il a traversés (la Chine, l’Inde, la Russie…) que sur la montagne qui a été la passion de toute sa vie (fonte des glaciers due à l’activité humaine, respect de la nature, etc.).
Dans la biographie de Georges Sabatier, Henry Russell est présenté dès le titre comme « un montagnard des Pyrénées ». Pensez vous que ce titre soit représentatif de cet homme qui fut également un grand voyageur ?
Oui, c’est en effet le premier qualificatif qu’on peut lui donner. Il est essentiellement un « Montagnard des Pyrénées ». Les voyages qu’il a effectués dans sa jeunesse sont à rapprocher du voyage initiatique fait par les jeunes gens de bonne famille du XIXe siècle. Mais à l’instar d’un Chateaubriand, il voulu visiter des contrées beaucoup plus lointaines que l’Europe, habitué qu’il était à parcourir la France et l’Irlande. C’est ainsi qu’il a pu aller en Amérique du Sud, puis du Nord, et enfin faire ce long voyage à travers l’Asie et l’Océanie. Après son retour en 1863, il n’est plus jamais reparti aussi loin, et a toujours gardé le souvenir de ce qu’il avait vu et ressenti pour le rappeler régulièrement dans ses écrits. Mais c’est la montagne qui reste l’objet de ses passions. Il écrit d’ailleurs dans Souvenirs d’un Montagnard « L’Ulysse des anciens jours tressaille encore à la vue d’une montagne[1] »
Pourquoi Russell est-il présenté non seulement comme montagnard, mais comme spécifiquement montagnard « des Pyrénées ». Est-ce que cela a une importance que les explorations et pérégrinations d’Henry Russell aient pris pour scène les Pyrénées plutôt que les Alpes ?
S’il a tenté quelques ascensions dans les Alpes, (Mont blanc, Breithorn, Col de l’Alphübel…) il ne les aimait pas, les trouvant trop massives et masculines. Pour lui, « les Alpes inspirent de la terreur, les Pyrénées de la tendresse[2] ». A son retour de voyage il va habiter définitivement Pau d’où il peut contempler à satiété les Pyrénées dont il ne se lasse jamais : « Y a-t-il rien en Europe de plus beau que l’éblouissant panorama des Pyrénées, vues de la Place Royale de Pau ? Ah ! Quel pays que le Béarn ! On en aurait la nostalgie, si on était au ciel[3] ! » Il ne s’imagine plus habiter ailleurs, même s’il voyage beaucoup dans le piémont pyrénéen, mais aussi à Paris, en Angleterre et en Irlande. Il ira jusqu’à faire creuser sept grottes sur le flanc du Vignemale avant de demander en 1888 la jouissance de tout le massif auprès du Préfet des Hautes Pyrénées, devenant ainsi le propriétaire le plus « haut » d’Europe.
Russell est indubitablement un montagnard, c’est aussi un voyageur. Peut-on aussi le qualifier d’écrivain ?
Il a énormément écrit, avec une œuvre majeure Souvenirs d’un Montagnard qu’il a fait éditer trois fois, en 1878, en 1888 et en 1908. Ses deux récits de voyages : Notes par voies et chemins dans le Nouveau-Monde et 16,000 lieues à travers l’Asie et l’Océanie sont devenus célèbres au point que Jules Verne dans Michel Strogoff va s’inspirer de la description que fait Henry Russell de Tomsk en Russie pour la reprendre quasi mot pour mot dans ce roman. A part ces deux récits de voyages et deux articles sur les « tribulations d’un voyageur sur les lignes de chemin de fer de la Compagnie du Midi », il va consacrer tous ses hivers à écrire livres et articles sur les Pyrénées et à publier dans plusieurs revues dont le Bulletin de la Société Ramond. Son œuvre littéraire est assez conséquente (plus de 30 titres d’ouvrages ou de fascicules) dans un style plutôt romantique mais relativement bien écrit et précis, au point que Souvenirs d’un Montagnard reste la « Bible » de tous les pyrénéistes encore maintenant.
Pensez vous que Russell puisse être considéré comme l’initiateur d’un quelconque courant, (de pensée, de mode de vie de rapport à la montagne…) ?
Il est vrai que c’est le personnage de montagnard romantique qui vient à l’esprit lorsqu’on parle de Russell. Il ne s’agissait jamais pour lui de gravir un sommet pour l’ausculter, le mesurer, en faire la topographie, mais au contraire pour le plaisir d’un cœur à cœur avec la nature. Il réfutait aussi l’effort gratuit et inutile comme l’exploit sportif, même s’il a un grand nombre de « premières » à son actif. A ses amis Roger de Monts, Jean Bazillac et Henri Brulle qui venaient d’escalader le Vignemale pour la première fois par le couloir de Gaube, ascension terriblement difficile, il eut cette remarque avec une pointe d’ironie : « La prochaine fois, il faudra le faire à reculons ».
Sa mort en 1909 clôt définitivement l’époque du pyrénéisme romantique dont il fut le plus célèbre représentant. La guerre de 14 et son cortège de morts et de mutilés fit une grande saignée parmi les jeunes montagnards qu’avait connus Russell. Après la guerre, le développement du sport pour tous et la modernisation progressive des équipements ont inauguré une nouvelle époque du sport en montagne, été comme hiver, bien loin de la vision russellienne lorsqu’il disait « Vulgariser c’est rendre vulgaire ».
En revanche, il est et reste l’initiateur des nuits en montagne. Grâce à son célèbre sac en peaux d’agneaux cousues, il inventa le sac de couchage qui permet de dormir à la belle étoile et de contempler autrement les paysages qui s’offrent la nuit. Chaque montagnard qui passe de l’obscurité au bleu et au rose d’un lever de soleil sur les sommets, devrait avoir une pensée émue pour Henry Russell, le premier à l’avoir osé, dans des conditions précaires mais combien excitantes !
Monique Dollin du Fresnel
Anne Prunet
Notes de pied de page
Référence électronique
Anne PRUNET, « L’ONCLE HENRY OU « L’ULYSSE DES ANCIENS JOURS… » », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Janvier / Février 2008, mis en ligne le 30/07/2018, URL : https://crlv.org/articles/loncle-henry-lulysse-anciens-jours