« L’impuissance à jamais bouger de nouveau ». Mort, (im)mobilité et voyage cognitif dans L'histoire suivante (1991) de Cees Nooteboom

Bizarrement, une phrase de Goethe qu'il connaît uniquement parce qu'il l'a entendue dans un Lied de Schubert lui traverse l'esprit : Was bedeutet die Bewegung ? Que signifie le mouvement ? Et la réponse est peut-être celle-ci : le mouvement, ici, ne vaut que pour lui. Impossible d'aller plus loin pour rendre compte du mouvement dans un matériau immobile, le mouvement et l'immobilité, le figement de l'exubérance suprême.     (Cees Nooteboom, Le monde un voyageur, 1989)[1]

Les critiques et les spécialistes de la littérature appellent parfois Cees Nooteboom (1933) le « père de la littérature de voyage néerlandaise ». Après la Seconde Guerre mondiale, son œuvre imposante et couronnée de succès a imprimé une marque décisive sur ce genre aux Pays-Bas et a ouvert la voie à d'autres écrivains voyageurs néerlandophones tels que Carolijn Visser, Lieve Joris et Adriaan van Dis. Depuis la fin des années 1950, Nooteboom écrit des récits et essais sur le voyage pour des journaux et des magazines néerlandais - de très nombreux textes qu'il a étoffés au fil des ans et retravaillés pour en faire plus de 30 livres. Outre De wereld een reiziger (Le monde un voyageur, 1989), cité en exergue, nous pouvons mentionner De omweg naar Santiago (Désir d'Espagne, traduit par Anne-Marie de Both-Diez, 1993 [1992]), qui a connu un succès à la fois national et international[2]. La passion des voyages de Cees Nooteboom ne s'exprime pas uniquement dans ses œuvres de voyage « non fictionnelles ». L'auteur a écrit également beaucoup de poèmes sur le voyage et les voyageurs ; de plus, les voyages jouent un rôle important dans nombre de ses fictions (traduites dans de nombreuses langues). Dans la nouvelle Mokusei ! Een liefdesverhaal (Mokusei ! Une histoire d'amour, traduit par Philippe Noble, 1987 [1982]), nous voyons un photographe néerlandais trouver et perdre la femme idéale au Japon, et le roman Allerzielen (Le jour des Morts, traduit par Philippe Noble, 2001 [1998]) montre un cinéaste-voyageur néerlandais errant dans Berlin - une ville qui est marquée par l'histoire, tout comme le personnage principal. En lisant ces récits, nous remarquons rapidement une grande continuité entre la fiction et la non-fiction chez Nooteboom. L'auteur insère régulièrement des (auto) réflexions philosophiques dans ses œuvres (de voyage) et les thèmes récurrents sont nombreux : la mort et l'impermanence ; le temps, le souvenir et la perte ; des zones de tension entre présence/absence, fiction/réalité et - tout comme dans la citation au début de l'article - immobilité/mobilité. C'est aussi le cas dans la nouvelle Het volgende verhaal (L'histoire suivante, traduit par Philippe Noble, 1991 [1991]), qui est au centre de cet article. Ce livre a été publié en 1991 dans le cadre de la Semaine du livre, un événement annuel de dix jours qui a lieu tous les printemps aux Pays-Bas et qui a pour but de promouvoir la littérature (néerlandophone)[3]. Bien que l'accueil de la presse néerlandaise ait d'abord été frileux, le livre s'est avéré un succès (de vente) international. En 1993, il a remporté le Prix Aristeion littéraire européen et a été traduit dans pas moins de 28 langues (dont le français, l'allemand et l'anglais, mais également l'hébreu, l'hindi et le vietnamien)[4]. Dans ce récit singulier, nous faisons la connaissance d'Herman Mussert, un ancien professeur de lettres classiques (surnommé « Socrate ») qui est à présent auteur de guides de voyage bon marché. Au début du récit, il se réveille, hébété, dans une chambre d'hôtel à Lisbonne, alors qu'il s'était tout bonnement endormi chez lui à Amsterdam la veille. Mussert reconnaît la chambre pour y avoir séjourné jadis avec sa maîtresse Maria Zeinstra, une ancienne professeure de biologie. En ce temps-là, elle était mariée à Arend Herfst, un professeur de néerlandais, qui, lui, entretenait une relation avec Lisa d'India, l'élève préférée de Mussert. Leurs péripéties amoureuses connaissent une triste fin : Mussert et Herfst sont licenciés, Lisa d'India décède dans un accident de voiture et Zeinstra quitte Mussert pour retrouver son mari. Mussert décide de quitter la chambre d'hôtel pour errer dans Lisbonne. Dans la deuxième partie de la nouvelle, il se retrouve sur un bateau à destination du Brésil, en compagnie d'autres passagers. Rapidement, le voyage physique et spatial de Mussert s'avère être (aussi) un voyage dans ses pensées. Non seulement il évoque des souvenirs de son ancienne liaison, de ses cours de latin et de Lisa d'India, mais il s'avère aussi que Mussert est en fait mort. Ou plutôt : ce voyage cognitif durant lequel il se penche sur ses souvenirs se déroule au moment exact où il est (physiquement) mourant à Amsterdam. Mussert ainsi que le lecteur « voient » parfois le corps souffrant dans le lit, à côté duquel se trouve un réveil japonais qui s'est arrêté. Mussert, qui se trouve entre la vie et la mort, est donc un voyageur à la fois mobile et immobile. La nouvelle crée ainsi une dialectique (thématique) entre mobilité et immobilité, qui se traduit entre autres par la tension entre la mort comme arrêt de tout mouvement - « l'impuissance à jamais bouger de nouveau » (52) - et la force vitale - qui s'incarne, par exemple dans le souvenir et dans une constante métamorphose. Je vais explorer cette dialectique en faisant une lecture attentive de L'histoire suivante[5]. Je serais tenté de rapprocher les idées sur la mobilité et l'immobilité formulées dans ce livre avec celles de nombreux philosophes (Aristote, Saint Augustin, Friedrich Nietzsche, Hannah Arendt...), mais cela dépasserait la portée de ce bref article. Je vais tenter toutefois de montrer comment l'interaction entre la mobilité et l'immobilité se trouve étroitement mêlée à de nombreuses autres oppositions dialectiques dans L'histoire suivante : le corps et l'esprit ; l'ordre et le chaos ; le temps scientifique et le temps vécu ; et même la tension entre Mussert et son amoureuse Maria Zeinstra. Ce roman de voyage génère ainsi un réseau dynamique dans lequel les thèmes, les personnages et les éléments du récit sont en constante interaction.

1. Immobilité et mobilité, dans l'espace et le temps

Les voyages et les récits de voyage se caractérisent généralement par le tandem mobilité et immobilité. Bien que l'intrigue d'un récit de voyage traditionnel implique avant tout un déplacement spatial entrepris par le personnage principal, le voyageur s'arrête parfois en chemin - comme en témoigne la structure épisodique de nombreux récits de voyage - et ce type d'histoire commence et se termine très souvent par un état de repos. Il arrive parfois, surtout dans les œuvres (post)modernistes du genre telles L'histoire suivante, que la tension et/ou l'interdépendance entre les deux pôles se trouvent renforcées sous une forme ou une autre. Le récit peut par exemple mettre en relief des moments d'immobilité ou de mobilité, ou alors le motif du voyage est remodelé, soit en un mouvement sans repos (le nomadisme, le désir insatisfait...), soit en un mouvement qui donne l'impression d'immobilité (le voyage sans progression, le labyrinthisme...) ou encore en un voyage dans un état immobile (le voyage dans la pensée, à travers les textes...)[6]. La mobilité dans l'espace est une composante essentielle de L'histoire suivante : dans la première partie, Herman Mussert erre à travers Lisbonne, la ville où il semble avoir été transporté depuis Amsterdam ; dans la deuxième partie, il entreprend un voyage en bateau, dans un décor éveillant « la sensation [...] d'un monde souterrain » (91). Il est frappant toutefois que l'attention soit attirée dès les premières pages et à maintes reprises sur des moments d'immobilité, ou qu'immobilité et mobilité soient associées d'une façon ou d'une autre. Les références à la mort et à l'agonie ne sont jamais bien loin : Dans la scène d'ouverture, Mussert est couché dans un lit à l'hôtel « sans bouger le petit doigt » (13), mais ses pensées sont en ébullition. En effet, il craint d'être devenu « quelqu'un d'autre » (15) : « Je gardais une immobilité de mort, étant mort de peur d'être un autre. [...] Je n'osais pas bouger car, si j'étais un autre, je ne savais plus comment faire. » (13-14) Il compare le vide existentiel qu'il éprouve à celui qu'on voit dans les yeux d'« un chien qui essaie de se mordre la queue. Alors se forme une sorte de tourbillon canin, qui cesse avec l'émergence, hors de la tornade, du chien sous son aspect de chien » (15). Le soir avant son « voyage », Mussert était, comme d'habitude, plongé dans un livre. Sa voisine, qui le voit immanquablement assis immobile près de la fenêtre, « toujours [...] dans la même position » (17), lui avait déjà confié, inquiète : « Parfois j'ai l'impression que vous êtes mort. » (17) Pour Mussert, cependant, il ne s'agit là que de « concentration » (17). Dans la maison de Mussert à Amsterdam est accrochée « une reproduction » (18) du combat mythique entre l'immortel néréide Thétis et le mortel Pélée : « Le serpent s'enroule autour des chevilles de Pélée, et en même temps la scène parait figée, c'est un combat pétrifié. » (18) Juste avant d'aller dormir, Mussert a découpé une photo (cf. l'immobilité) dans le journal, prise par la sonde spatiale Voyager. Lors de sa visite au Smithsonian Institute de Washington il avait lui-même entrepris dans « un silence de mort » (24) un voyage semblable dans l'espace, mais le sien avait été « immobile » et virtuel. On rencontrera ces interactions entre mobilité et immobilité plus d'une fois encore dans la suite de la nouvelle. Comme je l'ai souligné dans l'introduction, la « configuration générale du voyage » combine aussi mobilité et immobilité. Le voyage de Mussert se déroule dans son esprit, tandis qu'il gît, agonisant, sur son lit à Amsterdam. L'ancien professeur rêve régulièrement de lui-même, dans des scènes où l'on insiste aussi bien sur les tourments de son corps (un « visage convulsé, cette expression de profonde souffrance », 135) que sur le réveil à côté de son lit. Ce dernier révèle que « le temps n'avance pas » et qu'« il était toujours la même heure qu'au moment où [il s'était] endormi » (78). Une dimension cognitive d'(im)mobilité supplémentaire s'ajoute à la fin de la nouvelle. Lorsque le navire approche de sa destination, ses passagers se mettent - « nul ne bougeait » (129) - à raconter l'histoire de leur vie à la femme inconnue qui se trouve en leur compagnie sur le bateau. Il s'agit de leur ultime action avant la mort définitive. Mussert est le dernier à prendre la parole. Les mots sur lesquels se termine le livre (« Et c'est alors que je lui racontai, que je te racontai L'HISTOIRE SUIVANTE », 141) font que son récit - un « voyage » turbulent dans le souvenir - coïncide, en un mouvement circulaire, avec le livre que le lecteur vient de lire. Le motif de l'horloge, l'importance du souvenir, la présence de la mort : tout indique qu'une bonne interprétation de L'histoire suivante implique non seulement une prise en compte de la mobilité et de l'immobilité dans l'espace, mais également dans le temps. Le lecteur reconnaît différentes conceptions du temps dans le récit de Mussert. L'une d'elles, et pas la moindre, est caractéristique de la culture occidentale moderne : le temps comme mouvement linéaire, comme courant. Dans ce genre de conception du temps, la vie s'avance en ligne droite d'un début (au niveau de la vie personnelle, il s'agit de la naissance ; au niveau de l'Histoire il peut s'agir par exemple de la Création) vers une fin certaine (la mort ; la fin du monde). En cours de route, la dynamique temporelle se traduit par un processus de changement continu et irréversible. Cette conception implique non seulement la passivité de l'être humain qui ne peut s'opposer à la force du temps qui passe, mais aussi la fugacité et la nature transitoire des activités humaines : elles appartiennent trop vite au passé et l'on est confronté à la perte[7]. Dans L'histoire suivante, la vie de Mussert est présentée comme une combinaison de changement et de perte. Il commence par être un professeur de lettres classiques surnommé Socrate et féru des Métamorphoses d'Ovide, qui, durant ses cours, endosse (provisoirement) le rôle du personnage mythique de Phaëton et de ce même Socrate[8]. Après son licenciement, il se « transforme » en auteur de guides de voyage sous le pseudonyme de « Dr Strabon »[9]. Et lorsqu'il tombe amoureux de Zeinstra, lui, l'outsider étranger au monde, devient temporairement membre de « cette même confrérie à l'agglutinement nauséeux pour laquelle [il professait] le plus profond mépris » (30). La liaison s'avère cependant de courte durée et Mussert perd définitivement Zeinstra. « J'avais déjà subi ma mutation », constate-t-il. « Autour de moi la matière fondait encore, brûlait encore, de nouveaux êtres bicéphales naissaient, mais moi j'avais perdu depuis trop longtemps ma seconde tête, cette tête si rousse » (72). C'est pour cela qu'il définit la vie comme une « chaîne dentée, mouvante et gloutonne » (57) et qu'il affirme : « Le temps corrompt tout. Que n'a-t-il détérioré ? » (87) Le mouvement vital du temps finit par s'arrêter dans la mort, l'ultime métamorphose - dont l'être humain s'approche inexorablement et plein d'appréhension. Nous avons vu précédemment que dans cette nouvelle Nooteboom lie constamment la mort à l'immobilité réelle et spatiale, « l'impuissance à jamais bouger de nouveau » (52). Il est significatif à cet égard que de nombreux personnages du récit meurent dans un accident ou une collision, contre lesquels ils sont totalement impuissants : Phaëton, le personnage mythique (qui est foudroyé par Jupiter et s'écrase avec son char), Lisa d'India (qui est entraînée par Arend Herfst et meurt dans un accident de voiture), Captain Dekobra (dont l'avion s'écrase suite à la défaillance des moteurs), le père Fermi (qui est renversé par une ambulance), etc. Le dernier mouvement est donc immédiatement suivi d'une immobilité définitive[10]. La mobilité représente la vie ; l'immobilité la mort. Il n'est donc pas surprenant que L'histoire suivante, qui se joue à la frontière entre la vie et la mort, relie ces deux pôles. Ce que j'ai nommé plus haut, « la configuration générale du voyage » recèle toutefois une signification encore plus spécifique. Comme la vie progresse irrévocablement vers la mort, l'être humain aimerait pouvoir figer le temps - sans lui faire marquer pour autant l'arrêt définitif de la mort. C'est pourquoi la nouvelle immobilise le temps juste avant le décès de Mussert (le réveil japonais arrêté), afin que son dernier mouvement (l'acte de mourir, le voyage) puisse être raconté sur plus de 100 pages[11]. « Étirer » la « dernière seconde » (132) : voilà ce qui importe.

2. Le corps et l'esprit, l'ordre et le chaos

Tout n'est pas dit ni interprété pour autant. Nous devons encore examiner, entre autres, le caractère cognitif déjà cité du voyage (et l'importance du souvenir qui y est inhérent) ainsi que la structure circulaire du récit. En général, des oppositions dialectiques comme espace/temps et mobilité/immobilité se mêlent étroitement dans le texte avec d'autres zones de tensions. Ainsi le matériel/physique/naturel s'oppose à l'immatériel/spirituel/intime. Ce mouvement dialectique accompagne les interactions entre différents personnages. Mussert appartient aux « êtres humains occupés d'aspects moins tangibles de l'existence » (33) : il réfléchit constamment sur lui-même et sur le monde. En tant que personnage, il est à la fois opposé et lié à la biologiste rationnelle Maria Zeinstra, dont le champ d'action est « le cerveau, les cellules, l'influx nerveux, le cervelet, le cortex, toute cette boucherie subtile qui, dit-on, domine et régit notre comportement » (82). Lisa d'India, elle, semble relier les deux pôles : elle réunit en elle et la beauté du corps et des dons en sciences physiques et en sport, de plus, pendant les cours de latin de Mussert, elle fait montre d'une capacité à s'insinuer « jusqu'à l'âme même du langage » (38), à suivre « le fil des idées » (36) et avec elle, les vers latins se mettent « à courir, à vivre, à couler » (36). Les nombreuses discussions entre Mussert et Zeinstra illustrent leur différente façon d'aborder la réalité. Lorsque le professeur de lettres classiques parle du « royaume caché de la mémoire » (83), la scientifique ne voit que « matière grise » (82). Quand, dans la langue portugaise, il reconnaît « le murmure de l'eau » (45), elle juge que ce n'est « pas très scientifique » (45) et la couleur brune du Tage n'est pour elle qu'une preuve de pollution. Dans la description qu'il fait de Zeinstra, Mussert s'attarde également sur le physique - en particulier sur la dynamique corporelle. Juste avant qu'ils ne fassent l'amour pour la première fois, il décrit explicitement comment elle se love nue sur son divan « en une ondoyante séquence de ventre, de seins, de bras tendus, d'yeux rieurs » (70), et ses cheveux roux et ondulés dont il arrive à peine à saisir la véritable nuance font maintes fois éruption dans le texte. Outre la dynamique corporelle, Mussert distingue la mobilité immatérielle. D'une part, l'idée d'un être humain en constante mutation, le « moi liquide et multiforme » (61), se traduit chez lui par « un faisceau de situations et de fonctions composites et changeantes, que nous appelons 'je' » (67), d'autre part, il souligne la dynamique associative de l'esprit et de l'autoréflexion. « Chez moi », dit-il, « toute pensée en appelle immédiatement une autre qui la recouvre. » (28) Et « [je n'ai] jamais pu cesser sur commande et au moment voulu de réfléchir à moi-même » (11). Selon Mussert, même lorsque l'homme demeure physiquement immobile, l'esprit conserve, jusqu'à la dernière seconde avant sa mort, la capacité de penser, non pas à développer des arguments pour eux-mêmes, mais plutôt à faire rebondir des idées, des options, des présomptions, des oppositions, à tendre des arcs d'une intelligence à l'autre dans l'espace d'une cellule, à solliciter les stupéfiantes facultés qui permettent à l'esprit humain de réfléchir sur lui-même, de retourner des pensées, de tisser un réseau de questions et de les raccorder à ce néant où la certitude peut se nier elle-même. (108) Alors si Mussert est submergé par toutes sortes de pensées - entre autres des angoisses existentielles - juste avant de s'endormir à Amsterdam, ce n'est pas par hasard[12]L'histoire suivante centralise et prolonge en fin de compte, ce mouvement intérieur[13]. Même si, en principe, il s'agit là encore, de l'ultime action de l'esprit. Contrairement à un philosophe comme Socrate, qui pense qu'il existe une âme « royale, invisible, immortelle » (108) qui survit au corps, Mussert considère, en premier lieu, que la mort est l'arrêt de « toutes considérations » et « pensées » (11). Le corps, par contre, continue d'exister, parce qu'il redevient un élément de la réalité naturelle à laquelle il appartient par essence. « Ce n'est pas mon âme qui partirait en voyage, comme l'avait cru le vrai Socrate », affirmera Mussert à propos de sa mort imminente, mais mon corps qui entamerait une errance sans fin, il ne serait plus dissociable de l'univers, il aurait part aux plus extraordinaires métamorphoses et ne m'en dirait pas un mot, m'ayant oublié depuis belle lurette. (140) Une même idée de métamorphoses corporelles post-mortem se retrouve dans le flashback d'une leçon de biologie de Zeinstra. Des nécrophores transforment le corps d'un rat mort en une pelote nécrophagique qui servira de chambre d'incubation à leurs larves. Mussert appelle cela - et c'est révélateur - « the never ending story » (57) et il parle aussi, ailleurs, d'« éternel retour [...] pour les animaux [...] parce qu'ils reviennent toujours pareils à eux-mêmes » (122)[14]. Le texte oppose la conception linéaire du temps qui domine la vie limitée de l'homme et de son âme à une conception plus cyclique et éternelle du temps qui s'applique à la nature physique et incommensurable. Une telle conception laisse, il est vrai, la place au changement et à la précarité mais elle s'enferme dans des cycles récurrents, en une « incessante métamorphose d'un élément en lui-même » (84). Même après la mort, « la roue du changement » (138) continue à tourner pour renouveler la vie. La conception cyclique du temps va, par conséquent, de pair avec un mouvement répétitif infini, une sorte d'harmonie intemporelle et une forme « d'immortalité ». Aussi est-elle associée, dans L'histoire suivante à un passé mythique et plus particulièrement au monde antique, avec ses dieux immortels, que Mussert étudie dans des textes littéraires en latin, cette langue « fondant en une unité aussi parfaite précision, beauté et expressivité » (21) ainsi qu'à des philosophes comme Platon et Socrate qui prêchent l'éternel retour. Sur le plan littéraire, L'histoire suivante va finalement associer la conception linéaire et la conception cyclique du temps. La structure circulaire du récit dans laquelle les derniers mots renvoient au commencement de la nouvelle, fait que l'ultime mouvement (psychique) de Mussert n'est pas seulement étiré dans le temps mais qu'il est aussi éternellement prolongé. D'un point de vue philosophique, cela signifie qu'un être humain peut continuer à réfléchir jusqu'à la fin des temps au problème de la réalité. Dès les premières pages déjà, il est fait allusion à la répétition cyclique : « Les années que j'ai passées dans l'enseignement m'ont appris qu'il faut tout exposer au moins deux fois, ménageant ainsi la possibilité d'introduire un peu d'ordre dans ce qui se présente sous la forme du chaos. » (12) Cela nous amène à une dernière opposition dialectique qui a son importance dans L'histoire suivante : l'ordre versus le chaos. Pour les humains, et certainement pour ceux qui réfléchissent trop, comme Mussert, le dynamisme d'une vie turbulente est souvent vécu comme un chaos régi par le hasard et dominé par l'incertitude. L'homme, cet être insignifiant et éphémère, n'est rien comparé à l'immense, l'inconcevable cosmos. Mussert qualifie sa présence dans la chambre d'hôtel d'« inattendue » (34), il la considère comme « un détail insignifiant » (34). Sur le bateau, lorsqu'il compare sa vie à celle des autres passagers (« un cortège né du hasard », 124) il dit : Nous nous étions administré mutuellement des lambeaux de nos vies, et tous, nous traversions l'océan en portant en nous ces fragments encore indigestibles. Il aurait pu s'agir aussi d'autres vies, d'autres formes de hasard. (88) C'est dans la nature de l'homme de s'efforcer de créer artificiellement, de maintes façons, l'ordre et la tranquillité afin de générer (provisoirement) « la paix et la certitude dont tout être humain [...] a besoin » (13) - l'immobilité dans la mobilité donc. On trouve dans la nouvelle toutes sortes de configurations : constellations (« ce qui avait maintenu leur cohésion, c'était notre regard fortuit des trois ou quatre derniers millénaires », 100) grammaire (qui s'oppose au « foisonnement naturel » d'une langue, 31), lois de Newton et même harmonieux madrigaux musicaux. C'est peut-être cette symbiose qui explique l'amour de Mussert pour Maria Zeinstra. En tant que pôle opposé rationnel, elle forme un contrepoids à son « chaos des sentiments » (42) et elle apporte (temporairement) un peu de sécurité et de pondération dans un monde pour lui « sans solutions » (87). Les humains se sont également efforcés d'apporter « un semblant d'ordre » (47) dans leur façon de saisir le temps. Dans un passé lointain, alors que dominait la conception cyclique du temps, la dynamique de la réalité s'appuyait sur un ordre de cycles récurrents (voir plus haut). L'homme moderne quant à lui, a institué de nombreuses conventions pour tâcher d'appréhender le temps avec plus de précision : « le calendrier, boulier servant à dénombrer ce qui n'est pas nombrable » (87), par exemple, et l'horloge, qui indique le moment présent universel et où les heures, les minutes et les secondes se suivent à intervalles constamment égaux. En philosophie et en physique, c'est ce qu'on appelle le temps scientifique et « objectif ». À côté de ce temps conventionnel des horloges, il existe une autre façon, plus subjective et non limitée, de concevoir et d'expérimenter le temps. Dans cette conception de temps, par exemple, l'instant présent est beaucoup plus relatif, et, selon les circonstances, le temps peut sembler court ou long[15]. Le contraste entre « le temps de la science » et celui du « cœur » (47) est illustré dans un long flash-back du voyage à Lisbonne, où, errant dans la ville, Mussert et Zeinstra voient tout d'abord l'horloge d'un clocher qui donne la « HORA LEGAL » et suggère que : Quiconque veut, où que ce soit, s'en prendre au temps, l'étirer, le retenir, le fluidifier, le coaguler, le gauchir, sait que ma loi est irréfragable, mes imposantes aiguilles indiquent le ténu, l'éphémère, l'inexistant maintenant, et le font de tout temps. (46) Mussert entraîne ensuite Zeinstra dans un café proche pour lui montrer une horloge alternative dont « la série traditionnelle des chiffres [...] avait été inversée » (48). Ce qui souligne que « le temps est une énigme, un phénomène sans frein ni mesure, qui refuse de se laisser connaître » (47). Sous cet éclairage, le réveil à l'arrêt dans la chambre de Mussert à Amsterdam acquiert une nouvelle signification (ou implication, si l'on préfère). Arrêter l'heure, ce n'est pas seulement garder la mort à distance, c'est aussi créer de l'espace pour une expérience plus subjective du temps. Le temps devient alors aussi « incommensurable » (141) que l'univers que parcourt Voyager et on peut donc ménager un espace en son centre pour l'expérience subjective du temps par excellence : le souvenir. L'histoire suivante montre, en effet, « que la plus infime parcelle du temps [peut] abriter un immense espace de mémoire » (141).

3. Le voyage à travers les souvenirs

Au début de mon analyse, je souligne que la dynamique de la vie peut être associée au mouvement dans le temps, c'est-à-dire à la métamorphose. On pourrait avancer que le souvenir est, lui aussi, un mouvement dans le temps, mais en sens inverse. C'est un « sursis à la métamorphose » (61) car il peut inverser brièvement le mouvement linéaire du temps et faire renaître un passé disparu. Ce qui ne signifie pas que le souvenir est une panacée. En plus de son caractère provisoire, fugitif et incontrôlable (les souvenirs surgissent quand ça leur chante) le souvenir présente deux autres problèmes. Tout d'abord, s'ils nous font revivre le passé, les souvenirs nous rappellent en même temps que les événements autrefois vécus sont définitivement perdus. C'est pourquoi on préfèrera parfois refouler/oublier nos souvenirs et laisser le passé définitivement derrière nous. Deuxièmement, comme je l'ai mentionné plus haut, le souvenir procède d'une expérience du temps intime et subjective à caractère plutôt chaotique, ce qui complique ce que Mussert nomme le « travail de remémoration » (15). C'est surtout dans la première partie de la nouvelle qu'est souligné le caractère ambigu du souvenir. À propos de sa présence à Lisbonne, où il a autrefois séjourné avec Zeinstra, Mussert dit : Ce que je faisais ici, au cours de ce voyage que j'avais peut-être, ou n'avais peut-être pas voulu, c'était probablement d'accomplir un pèlerinage aux sources de ces jours enfuis et, s'il en était bien ainsi, je devais, tel un croyant médiéval, visiter successivement tous les lieux illustrés par ma trop brève hagiographie, toutes les stations du chemin où le passé avait pris un visage. (72-73) Il s'avère donc que, sous couvert de « Banalitas banalitatis » (40), Mussert a refoulé pendant tout ce temps les souvenirs pénibles de l'époque turbulente où il était enseignant et où il entretenait une liaison avec Maria Zeinstra. Lisbonne est aussi bien la ville de l'« adieu [...]. Frange de l'Europe, dernier rivage du premier monde, là où le continent érodé s'enfonce lentement dans la mer [...]. Cette ville n'appartient pas au présent, le passé s'y est ménagé un avenir » (60-61). Maintenant qu'il y a soudainement atterri, Mussert est, pour ainsi dire, encouragé, voire obligé de s'arrêter sur son passé, d'en rappeler les souvenirs et de prendre ainsi congé de la vie. En plus des visites aux horloges mentionnées plus haut, Mussert se rend, entre autres, au Tavares, le plus vieux restaurant de Lisbonne aux murs tapissés de miroirs[16], et sur la Praça do Comércio. Ce n'est pas par hasard que tous ces endroits se trouvent proches du Tage : le fleuve est, en effet, le symbole par excellence de l'écoulement du temps, qui renfermerait la promesse d'un passé brièvement ranimé[17]. En visitant à nouveau ces différents endroits, Mussert ressent douloureusement la perte de son amour : Elle emplissait à ce point les miroirs que je l'y cherche encore, mais je ne la vois pas [...]. Je m'assis là où je m'étais assis avec elle et j'évoquai son souvenir, mais elle ne vint pas [...], à côté de moi la place restait vide, aussi vide que la chaise qui flanque la statue de Pessoa devant le café A Brasileira. (75-76) Dans la première partie du texte, c'est surtout dans la forme qu'on remarque que l'éruption des souvenirs peut se traduire par des scènes chaotiques. Je ne fais pas seulement allusion aux constantes insertions et intercalations des souvenirs dans l'intrigue principale qui donnent sa dynamique particulière à la narration. Les formes verbales, elles aussi, subissent un traitement étrange. Le récit à Lisbonne commence au passé - ce qui est logique quand on sait que toute la nouvelle relate la vie de Mussert contée par ce dernier. Mais, pendant un bon moment, le récit bascule dans le présent (à partir de « À présent je fais un pas en arrière », 36). C'est un choix qu'on pourrait rattacher à l'essence même du souvenir : rendre à nouveau le passé présent et sensible. La trame chaotique du récit oblige cependant le narrateur à s'expliquer : T'y retrouves-tu encore, dans le dédale de mes temps ? Ils appartiennent tous au passé, je m'étais échappé un instant, excuse-moi. Me revoici, l'inachevé qui, à l'intérieur du passé, réfléchit sur l'achevé, l'imparfait sur le plus-que-parfait. Ce présent était une erreur, il ne s'applique qu'à ici et maintenant, à toi, bien que tu n'aies pas de nom. Ici, en fin de compte, nous sommes présents tous deux, du moins pour un moment. (75-76) Mussert comprend donc que celui qui entreprend le « travail du souvenir » (38) doit rechercher une vue d'ensemble et qu'il ne peut pas faire l'économie d'« une forme de méditation » (34) immobile. Aussi Mussert fuit-il le centre de la ville pour se réfugier au sommet d'une colline d'où il peut, plusieurs pages durant, considérer sa vie en silence : Après tout, j'ai bien le droit d'en faire autant : acheter un chapeau, remettre de l'ordre dans ma tête, distinguer les temps et les époques, monter la côte, fuir le labyrinthe tortueux de l'Alfama, m'asseoir là-haut, près du Castelo de Saô Jorge, dans la fraîcheur d'une bela sombra, voir la ville se déployer à mes pieds, embrasser du regard l'avancement de ma vie, inverser le cadran de l'horloge et appeler à moi le passé, ce chien docile. (50) Dans la seconde partie de la nouvelle, la composante méditative s'amplifie progressivement. Les différents passagers, tous sur le point de mourir, sont « immobiles » (84) sur le bateau, « toujours sans bouger » (84) et « au même endroit » (91). « Si j'en jugeais par ma propre expérience », dit Mussert, « une paix s'était installée que, pour ma part, je n'avais jamais connue. Chacun semblait absorbé par quelque chose, occupé à remâcher une pensée ou un souvenir intimes. » (86) Pendant quelques instants, il contemple à nouveau la réalité d'en haut : comme un « grand maître en lévitation » (125), son esprit quitte son corps et, sous lui, il voit « les lumières de Belém comme Voyager avait vu la terre, parmi les autres taches et points lumineux de notre système solaire » (126). La contemplation atteint son apogée quand les six passagers - « immobiles » (126) sur leur siège - évoquent les souvenirs de leur vie face à une femme inconnue avant que celle-ci ne les emmène. « Le narrateur », dit Mussert, découvrait en elle quelque chose d'infiniment familier, comme si elle n'était pas ce qu'elle était mais un être connu de longue date, de sorte que son récit ne s'adressait pas à une étrangère, mais à une personne que lui seul voyait. Nous, en fait, nous ne voyions personne, mais le narrateur voyait quelqu'un qui lui permettait de cerner au plus près la réalité intérieure de son histoire. (128) Au moment où Mussert « commence » le récit de ses propres souvenirs (et par là même « met fin » à sa vie), il reconnaît Lisa d'India dans la femme inconnue. La nouvelle suggère ainsi que Mussert (même s'il l'a lui-même nié à maintes reprises) éprouvait une sorte d'amour platonique inconcevable pour son étudiante favorite. C'est peut-être d'ailleurs ce que son voyage cognitif et la réflexion sur son passé lui ont appris, ce que le monde « voulait [lui] dire [...] depuis le début du voyage » (125). Son amour spirituel pour Lisa d'India diffère énormément de l'amour plus physique et plus commun qu'il éprouvait pour Maria Zeinstra. Mais, quelle que soit leur différence, ces deux amours perdus revivront finalement et seront consignés pour l'éternité dans le récit des souvenirs de Mussert.

Pour conclure

Le mouvement circulaire du récit fait que la pause méditative, à la fin de la nouvelle, rejoint la scène immobile de la chambre d'hôtel du début, et ce temps d'arrêt relie ces deux moments à Mussert dormant dans sa chambre à Amsterdam. Ces trois cas annoncent également le début d'un mouvement nouveau (renouvelé plutôt) dans l'espace, l'esprit et le souvenir - un jour, ils s'immobiliseront à nouveau (temporairement). À cet égard, dans un de ses nombreux essais sur le voyage, Nooteboom utilise l'image éloquente de « l'œil du cyclone », une zone d'accalmie au centre d'une turbulence. « Mouvement et calme», écrit donc Nooteboom, « se maintiennent mutuellement en équilibre dans l'unité des contraires ».[18] Comme je l'ai montré, les interactions constantes entre arrêt et mouvement valent pour les développements de tous les thèmes et zones de tension dans L'histoire suivante : l'espace et le temps, le corps et l'esprit, l'humain et l'animal, l'ordre et le chaos, la linéarité et la circularité... Nooteboom les mêle étroitement les uns aux autres dans un réseau narratif dynamique. Et c'est finalement au lecteur d'en démêler les fils durant sa lecture, son propre voyage immobile. Texte traduit du néerlandais par Myriam Bouzid et Arlette Ounanian

Notes

^ Cees Nooteboom, « Oeroude tijden », in De wereld een reiziger, Amsterdam, De Arbeiderspers, 1998, p. 30-46 (cit.: 46).

^ En 2004, Actes Sud a publié une nouvelle édition augmentée, intitulée <em>Le Labyrinthe du pélerin. Mes chemins de Compostelle</em> (trad. par Anne-Marie de Both-Dietz et Philippe Noble). Également disponible en français <em>Hôtel nomade</em> (2002), un recueil d'essais sur le voyage de Nooteboom (il ne s'agit pas de la traduction de l'un de ses livres de voyages publiés en néerlandais). Pour une étude des livres de voyage (traduits) de Nooteboom, on peut se référer à : Jane Fenoulhet, « The Travel Writing : Translation as a Nomadic Mode », in Nomadic literature. Cees Nooteboom and his writing. Oxford e.a., Peter Lang, 2010, p. 197-233. Pour un compte-rendu plus général de la littérature de voyage néerlandaise après la Seconde Guerre mondiale (y compris l'œuvre de Nooteboom), voir par exemple : Rudi Wester, « La littérature de voyage de langue néerlandaise. Un genre florissant », Septentrion, 23, 1994, p. 11-16, www.dbnl.org/tekst/_sep001199401_01/_sep001199401_01_0003.php. Une carte du monde indiquant tous les lieux que Cees Nooteboom a décrits dans son œuvre se trouve sur la page d'auteur détaillée de l'écrivain (www.ceesnooteboom.com ; disponible en plusieurs langues).

^ Toutes sortes d'activités sont organisées durant la Semaine du livre et les librairies néerlandaises distribuent le « Cadeau de la Semaine du livre » : une nouvelle écrite spécialement à cette occasion que les lecteurs reçoivent « gracieusement » lors de l'achat d'un livre. La Semaine du livre se déroule tous les ans autour d'un thème ; en 1991 il s'agissait de celui des « Écrivains en voyage ». On a proposé à Nooteboom d'écrire le cadeau de la Semaine du livre en s'inspirant de ce thème - le choix de cet écrivain n'a rien de surprenant au vu de ce que je viens d'en dire.

^  Curieusement, les universitaires de l'espace néerlandophone ont montré peu d'intérêt pour le livre. Pour des analyses internationales, portant souvent sur l'intertextualité et/ou la réflexion métaphysique, on peut consulter : Glenn W. Most, « The Following Article », in Ovid: Werk und Wirkung. Festgabe für Michael von Albrecht zum 65. Gebrutstag. Teil II, Werner Schubert (dir.), Frankfurt am Main et al, Peter Lang, 1999, p. 1079-1095 ; Philipp-Sebastian Schmidt, « 'The World is One Never Ending Reference': Intertextuality and Memory in Cees Nooteboom's Het volgende verhaal », Dutch Crossing, 41, 1, 2017, p. 44-56 ; et un certain nombre de contributions dans : Daan Cartens (dir.), Der Augenmensch Cees Nooteboom, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1995.

^ Je me réfère toujours à la page du texte principal lorsque je cite un extrait de la nouvelle. J'utilise l'édition suivante : Cees Nooteboom, L'histoire suivante (trad. par Philippe Noble), Arles, Actes Sud, 1991 [1991]. ^ On trouve des exemples concrets dans : William Thompson, « Voyage and Immobility in J.M.G. Le Clézio's Désert and La quarantaine », World Literature Today, 71, 4, 1997, p. 709-716 ; Hassan Foroughi, Mohammad-Hossein Djavri & Sahar Heidari, « L'errance narrative chez Alain Robbe-Grillet. Le cas d'étude : Dans le labyrinthe », Recherches en langue et Littérature Françaises, Revue de la Faculté des Lettres, 7, 11, 2013, p. 2-16 ; Kinga Siatkowska-Callebat, « Nomades post-modernes ou les post-voyageurs ? La conception du voyage dans la fiction polonaise au début du XXIe siècle : Olga Tokarczuk, Andrzej Stasiuk, Joanna Bator », Recherches & Travaux, 89, Les voyages en Europe des écrivains polonais (XIXe-XXIe siècle), 2016, p. 131-144, https://journals.openedition.org/recherchestravaux/864.

^ Cf. Roger Rennenberg, De tijd en het labyrint. De poëzie van Cees Nooteboom; 1956-1982, 's-Gravenhage, BZZTôH, 1982, en partic. p. 44-47. Rennenberg analyse entre autres le rôle du temps dans les (premiers) poèmes de Nooteboom. Ce faisant, il discute aussi du temps linéaire (en partic. dans les p. 44-46) et du temps cyclique (p. 22-43), dont il sera question plus loin.

^  Sa conviction est grande : « C'était moi qu'emportait ce char étincelant d'or, d'argent et de gemmes, moi qui tenais les rênes de l'indomptable quadrige et qui tentais de le guider à travers les cinq zones du ciel. » (63) Au début de la nouvelle, Mussert a de plus le sentiment d'être vraiment « devenu Socrate » (34). Cela participe à la structure circulaire du récit sur laquelle je reviendrai plus tard.

^  Il s'agit d'une allusion au géographe de l'Antiquité.

^ À cet égard, le récit de Nooteboom présente certaines analogies avec des récits (post)modernes qui se concentrent sur l'expérience de mort imminente et qui se déroulent donc également à la frontière de la vie et de la mort. Souvent dans ce type de récit, l'accident est également le point de départ d'une réflexion sur le temps et l'espace, et sur l'immobilité (physique) qui s'oppose à la mobilité (cognitive). Cf. dans la littérature néerlandaise : BDE (EMI, 2011) de Jeroen Brouwers et De kunst van het crashen (L'art de se cracher, 2015) de Peter Verhelst.

^ Mussert décrit le début de son « voyage » comme s'il était entraîné par un courant (temporel) : « Une lame de fond me traversait, me soulevait, m'enveloppait, m'emportait avec une force dont je ne soupçonnais pas l'existence. [...] L'univers entier cherchait à m'anesthésier. » (28)

^ « Le mascaret qui m'avait submergé dans mon sommeil ou ma somnolence était une vague de peur, une peur physique de tomber de cette Terre suspendue sans attaches ni protection dans le vide spatial » (34). (cf. note 11)

^ Le monde onirique du récit est d'ailleurs un monde dans lequel les lois de la réalité matérielle ne comptent pratiquement pas. C'est d'autant plus vrai dans la seconde partie du récit. Voir, par exemple : « Des lignes commençaient à manquer, il m'arrivait à tout instant, fugitivement, de cesser de voir une bouche ou un œil ou, une infime fraction de seconde, de ne plus reconnaître quelqu'un, je voyais alors le corps de l'un à travers celui d'un autre, on eût dit que s'organisait le démantèlement de notre solidité, et qu'en même temps s'intensifiait l'éclat des parties restées visibles. » (97)

^  Il le fait pendant la traversée en bateau qui, ironiquement, part du quartier portugais Bélem pour se rendre dans la ville brésilienne du même nom (cf. infra : la structure circulaire du récit).

^ Pour une introduction, voir Bradley Dowden, « Time », in Internet Encyclopedia of Philosophy, https://iep.utm.edu/time/ (en partic. sections 2 et 3).

^ Le miroir est un motif littéraire fréquemment utilisé pour symboliser l'identité fragmentée. Dans la nouvelle de Nooteboom, il se rattache au « je » en constante mutation. Le motif du miroir se retrouve au début comme à la fin du texte.

^ Mussert oppose le Tage en particulier et Lisbonne, la capitale du grand empire portugais, à la décadence des autres empires européens : « 1954, Lisbonne encore à la tête d'un empire mondial en décomposition. Nous avions déjà perdu l'Indonésie et les Anglais l'Inde, mais ici, aux rives de ce fleuve, l'on aurait dit que les lois du monde réel cessaient de s'appliquer. Ils possédaient encore Timor, Macao, l'Angola, le Mozambique. » (44)

^ Cees Nooteboom, « Dans l'œil du cyclone », in Hôtel nomade (trad. par Philippe Noble), Paris, Actes Sud, 2003, p. 9-14.

Référence électronique

Thomas PIERRART, « « L’impuissance à jamais bouger de nouveau ». Mort, (im)mobilité et voyage cognitif dans L'histoire suivante (1991) de Cees Nooteboom », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Le Voyage immobile (décembre 2020), mis en ligne le 12/05/2021, URL : https://crlv.org/articles/limpuissance-a-jamais-bouger-nouveau-mort-immobilite-voyage-cognitif-dans-lhistoire