L’IMAGE DE SAMARCANDE,

L’IMAGE DE SAMARCANDE, « VISAGE DU MONDE »
Elaboration et diffusion d’un mythe viatique dans les récits de voyage et la littérature en Occident.

 

Il n’est pas un autre lieu d’Asie centrale dont le nom ait autant frappé l’imagination des Européens que Samarkand. Entourée d’un halo de mystère, visitée à de rares intervalles, préservant les traditions de sa splendeur derrière un mystère impénétrable, elle piqua longtemps la curiosité du monde.

 

Eugène Shuyler, Turkistan, Notes of Journey in Russian Turkistan, Khokhan, Bukhara and Kuldja, 1877.

 

Fait curieux : je vais visiter une ville dont je ne sais rien que la magie de son nom. De même pour Bagdad, lourd de signification, je ne trouve au fond de ma mémoire aucune image préconçue. Il m’est donc impossible d’aller au-devant d’une déception : tout sera du domaine de la découverte.

 

Sortons.

 

Ella Maillart, Des monts célestes aux sables rouges, 1934.

 

S’il est admis que tout récit de voyage est double parce qu’il fait état d’un apport original, recueilli et noté sur le terrain, ainsi que d’une connaissance livresque préalable au moins aussi importante, alors ces lignes d’Ella Maillart découvrant la ville de Samarcande doivent susciter une interrogation. Elles nous informent en effet de façon paradoxale sur cette connaissance préalable dont dispose l’auteur, alors même qu’elle prétend ne rien connaître d’autre qu’un nom. Ou plutôt « la magie d’un nom » ce qui suffit à faire passer la voyageuse de l’ignorance totale à une connaissance préalable rêvée, fantasmée, convoquant donc toute une série d’images collectives intégrées et d’idées construites. Nous ne sommes donc pas, semble-t-il, forcés d’admettre comme certitude la vérité de sa déclaration : Ella Maillart, alors même qu’elle prétend ne rien connaître de Samarcande, visite en réalité une ville pénétrée de mythes, d’histoires et de récits, d’idées, de témoignages, de notions élaborées au fil des siècles. Mais n’en est-il pas ainsi de tout lieu et de tout écrivain ?

Il est cependant peu d’endroits qui puissent rivaliser avec Samarcande en matière de représentations mystérieuses, de connaissances longtemps différées et de savoirs indirects ou incomplets. C’est paradoxalement une ville dont le nom suscite chez le voyageur, très tôt semble-t-il, un grand prestige. Simple magie d’un nom ? On peut en effet penser que, comme Valparaiso, Chandernagor, ou Tombouctou et bien d’autres villes encore, les causes de la réputation de Samarcande soient à laisser à l’appréciation de tout individu doté d’une âme suffisamment voyageuse et d’une imagination nomade. La ville, appartenant aujourd’hui au territoire de l’Ouzbékistan, est aussi ancienne que Rome et Babylone, fondée au dix-huitième siècle avant Jésus-Christ, et est dotée d’une situation géographique exceptionnellement enclavée dans le continent Eurasien. C’est aussi une oasis, une ville croisée par trois des plus grands conquérants de l’histoire : conquise par Alexandre, rasée par Gengis Khan et reconstruite par Tamerlan qui en fit sa capitale.

Il paraît donc intéressant d’essayer de montrer la genèse d’une telle image et sa teneur, en se proposant d’étudier quelques exemples de récits de voyages à Samarcande. De comprendre la représentation qui s’est construite non seulement à travers eux, mais aussi dans les œuvres littéraires de façon générale et les écrits géographiques, ethnographiques, archéologiques, ou encore historiques qui ont eux aussi contribué à façonner les représentations. Quelle est la nature et l’origine des représentations de la ville de Samarcande ? Quel en est le contenu ? Quels en ont été les vecteurs et les articulations ? C’est à ces questions vastes qu’il importe de répondre au sujet d’une ville qui a paradoxalement connu aussi peu d’apports de connaissances jusqu’à une période relativement récente, tout en  suscitant de façon pratiquement constante l’imagination de nombreux auteurs jusqu’à nos jours. Les descriptions de la ville timouride, si elles empruntent bien évidemment à partir d’une certaine époque leurs codes au récit de voyage en général (notamment le rituel textuel de l’entrée dans la ville) créent aussi leurs propres passages attendus. La rareté même des descriptions de cette ville durant des siècles a  en effet conditionné les descriptions stéréotypées de nombreux auteurs, et celles-ci n’ont curieusement pas nécessairement cessé à l’heure où, les moyens d’accès à Samarcande devenant plus aisés, apparaissaient les premiers touristes.

Afin de suivre ce parcours qui, schématiquement, va de Marco Polo à Ella Maillart, il a été nécessaire d’opérer un choix de textes, ou d’ouvrages dont les descriptions ou les apports paraissaient significatifs. Nous avons donc plutôt voulu ici proposer quelques hypothèses et retracer un schéma de diffusion et d’élaboration des connaissances, plutôt qu’une étude exhaustive : tâche rendue impossible par la quantité de documents qu’il faudrait, idéalement, consulter. De surcroît, l’importance en France des traductions de récits de voyage russes au dix-neuvième siècle pour la connaissance de Samarcande, nous a conduits à évoquer les traductions publiées soit séparément sous forme d’ouvrages, soit sous forme d’extraits et de comptes rendus dans les journaux et revues de l’époque, où là encore nous avons été conduits à effectuer des choix nécessaires.

L’écho de Marakanda dans l’Antiquité

Si les premiers échos des civilisations centre asiatiques perçus par les Anciens ont laissé des traces écrites, en revanche, la ville de Samarcande ou Marakanda n’est, elle, évoquée que par le biais des récits liés à l’épopée historique d’Alexandre le grand qui en aurait conquis la citadelle en -328. C’est d’abord dans l’Anabase d’Arrien dans le sixième chapitre du livre IV que les faits sont racontés, pour être ensuite reprise par les Latins, Quinte Curce et Plutarque.

Il pousse vers les Sogdiens avec une partie de l'armée, après avoir laissé Polysperchon, Attalus, Gorgias et Méléagre, avec une partie de ses troupes dans la Bactriane, pour prévenir les troubles, contenir les Barbares et combattre les révoltés. Il divise son armée en cinq corps ; […] et, dirigeant lui-même le cinquième, il s'avance vers Maracanda. Les autres se portèrent de différents côtés, et, faisant le siège des places, contraignirent les révoltés à se rendre de force ou de composition. Ces différents corps, après avoir parcouru la Sogdiane, se réunissent sous les murs de Maracanda, Héphaestion est chargé de conduire des colonies dans les villes de la Sogdiane ; Coenus et Artabaze marchent vers les Scythes, chez lesquels Spitamène s'était réfugié[1].

Un épisode de la geste alexandrine lié particulièrement à la ville raconte qu’à l'issue d'une querelle, tandis que l’armée se reposait à Samarcande, Alexandre aurait transpercé d'un coup de lance l'un de ses plus proches compagnons et plus fidèles officiers, Clitos le Noir, son frère de lait, qui lui avait sauvé la vie. Il aurait par la suite éprouvé un remord amer du fait de cet acte impétueux et se serait retiré sous sa tente. Mais cette scène dramatique appartient à la chronique légendaire du conquérant plus qu'à celle de la ville conquise. En fait, la toile de fond géographique de l’épopée du Macédonien qui dépeint la région de la vallée du Zarafshan que les Grecs appellent Transoxiane (pays au-delà de l’Oxus, actuel Amou-Daria) se trouve de façon relativement limitée et surtout dispersée dans les récits et les descriptions de personnages tels Maes Titianos, le marchand macédonien dont parle Ptolémée, d’historiens comme Hérodote, Strabon, Pline, Arrien et Ptolémée lui-même. Sans qu’y soit jamais cité le nom de Marakanda, toutes ces informations mêlent contenus fantaisistes, renseignements de seconde ou troisième main, légendes diverses. Tout archaïque qu’il soit, l’apport des sources antiques à la connaissance en Occident d’une ville que rien ne distingue encore a son importance. Il fait en effet découvrir aux historiens grecs et latins, ainsi qu’à toute la tradition géographique qui suit les terres de la Sogdiane (territoire des premiers habitants du site de Samarcande), et contribue largement à l’élaboration des représentations mythiques qui y sont liées : vastes espaces dangereux peuplés de bêtes monstrueuses et de groupes hostiles. Les textes des historiens antiques attribuent ainsi la fondation de Marakanda à une panthère descendue des montagnes, tandis que c’est notamment là que la tradition antique, mais aussi médiévale situe le royaume des Amazones (l’existence d’anciennes sociétés matriarcales dans la région rendant l’hypothèse plus que plausible), ainsi que celui des Cynocéphales. Déjà, la région semble fasciner et repousser à la fois. La terre des barbares et des animaux fabuleux semble dans le même temps regorger de trésors mythiques, ou parfois tout simplement commerciaux. C’est en effet via ces territoires, à partir du second siècle avant notre ère que l’ouverture du commerce de la soie en Chine, fait transiter les missions de reconnaissance chinoises et les caravanes sur une Route de la Soie déjà active. C’est au-delà d’elle que se trouvait déjà pour les Romains le puissant et mystérieux empire des Sères (la Chine) qui fournissait la soie à Rome et menaçait sa balance commerciale par la même occasion en vidant son trésor. L’intermédiaire des commerçants Perses a durant des siècles empêché et la divulgation du secret de fabrication du précieux tissu, et les connaissances entre le monde méditerranéen et le monde asiatique.

Avant les premiers Européens dans la région et la publication de leurs récits, avant la conquête arabe également en 712 qui va apporter des connaissances que l’Europe ne connaîtra que très tardivement au dix-neuvième siècle, c’est essentiellement l’archéologie qui jette des lueurs épisodiques sur l’histoire de Samarcande. La tradition littéraire n’en dessine que des contours flous, associés au mythe civilisateur de l’épopée d’Alexandre.

Les premiers voyageurs : missionnaires et marchands

La peur des hordes sauvages de Tatars dont l’Europe avait expérimenté la cruauté au début du treizième siècle, l’espoir illusoire de leur conversion au christianisme et le projet de nouer avec eux une alliance contre musulmans ont, lors du concile de Lyon de 1243, poussé le pape Innocent IV à décider l’envoi vers l’Asie centrale de quatre missions qu’il confie aux franciscains dont l’ordre mendiant venait d’être formé. Les premiers récits de voyage en Asie Centrale sont donc ceux de missionnaires : Jean de Plan Carpin en 1245, Guillaume de Rubrouck en 1253. Profondément nouvelles par leur volonté de faire la distinction entre l’élaboration mythique et les données réelles (historiques, politiques, ethnographiques) les deux missions ne se rendent toutefois pas à Samarcande, mais initient cependant un regard neuf sur toute la région, plus préoccupé de vraisemblance. La première évocation de Samarcande dans la littérature de voyage européenne n’est pas le fait de missionnaires, mais de marchands, dans ce livre qui aura un retentissement considérable en Europe, Le devisement du monde, de Marco Polo. Le chapitre où Samarcande est évoquée, ou plutôt où elle ne l’est que très brièvement, montre déjà à l’occasion de la première apparition de la ville en littérature, comme une prédominance de l’image merveilleuse et plus précisément miraculeuse, sur la réalité décrite : contrairement à d’autres lieux où Marco Polo est retourné lui-même après le premier voyage de son père Nicolò et de son oncle Matteo en 1263 pour en faire le récit, Samarcande[2] fait partie des lieux que Marco Polo n’a pas visités mais qu’il évoque pourtant brièvement de façon très représentative par le biais du récit d’un miracle chrétien :

               LII : La grande cité de Sanmarcan.

Sanmarcan est une très grande et noble cité avec de très beaux jardins et une plaine qui regorge de tous les fruits que l’homme peut désirer. Les gens sont Chrétiens et Sarrasins. Ils sont au neveu du grand Can, et il n’est pas son ami mais il a été plusieurs fois en lutte avec lui. […]

Sanmarcan se trouve vers Maistre. Et je vais vous dire une grande merveille qui advint dans cette cité[3].

S’ensuit une légende fortement teintée d’hérésie nestorienne, ce christianisme de Perse ayant donné lieu en particulier en Europe à la légende du Prêtre Jean, dans laquelle Marco Polo relate la conversion du seigneur de Samarcande au christianisme nestorien, puis la protection des chrétiens dans cette cité qui y construisent une église en la faisant reposer sur une « très belle pierre qui était aux Sarrasins et la mettent comme pilier d’une colonne qui était au milieu de l’église et soutenait le toit ». À la mort du monarque protecteur des chrétiens, les Sarrasins veulent reprendre la pierre qui soutient l’édifice. Pleins de colère, les chrétiens prient le Seigneur qui leur ordonne cependant de la rendre :

Or il en advint le miracle que je vous conterai. Sachez que quand fut venu le matin du jour où la pierre devait être rendue, la colonne qui était sur la pierre, par la volonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ s’ôte de la pierre et se soulève de bien trois paumes  et elle se soutient aussi bien que si la pierre avait été dessous.

Et pour toujours, à partir de ce jour, cette colonne est demeurée ainsi et elle demeure telle. Cela fut tenu et c’est encore tenu pour un des grands miracles qui soient advenus au monde[4].

Le miracle raconté par Marco Polo est d’inspiration nestorienne et relate un miracle survenu à Samarcande pour en protéger la communauté. Dans les chapitres 65 à 68 survient d’ailleurs le récit pseudo-historique de l’affrontement entre le Prêtre Jean et Gengis Khan. Tout se passe donc ici comme si le récit du miracle de Samarcande, fortement polarisé entre « sarrasins » et « chrétiens » servait de toute évidence d’abord à remplir un vide, comme dans le cas de Bagdad pour le Vénitien, lorsqu’il lui faut décrire une ville où il n’est pas allé. Mais il n’est sûrement pas anodin que ce remplissage se fasse par le récit d’un miracle probablement entendu, et qu’en tant que récit mythique, il prépare les chapitres de l’affrontement entre le Prêtre Jean et Gengis Khan qui suivent. Samarcande est un lieu où le récit de voyage semble ainsi se taire, la description est évincée au profit du récit d’un miracle à la fonction idéologique claire, teinté de l’esprit des Croisades (La graphie du nom, « Sanmarcan » ressemble ainsi étrangement à « Saint-Marc », le saint patron de Venise…). À cela, il faut ajouter que les éléments de description de Marco Polo mettent déjà l’accent sur la douceur de la ville, sur ses jardins, qui ne sont pas loin d’évoquer sinon le Paradis, du moins un certain locus amoenus : « de très beaux jardins et une plaine qui regorge de tous les fruits que l’homme peut désirer[5] ».

À l’aube du quinzième siècle, c’est donc encore par le biais d’une légende que Samarcande est évoquée chez Marco Polo, comme l’était sa région chez les Anciens : qu’il s’agisse de décrire le terrain de l’épopée d’Alexandre, les contrées de mythes antiques tels que ceux des Amazones ou des Cynocéphales, ou de donner l’exemple à travers l’évocation d’une ville d’une Croisade transposée sur le terrain de l’Asie Centrale, on voit que les représentations imaginaires de la ville naissent, très tôt, des mythes qui accompagnent la diffusion de son nom.

Le premier voyageur européen à Samarcande : Ruy Gonzalez de Clavijo

L’un des tout premiers européens à entrer dans la ville en 1404 et à en rapporter une description (ce que les père et grand-père de Marco Polo n’ont pas fait) est Ruy Gonzalez de Clavijo. L’ambassadeur d’Henri III de Castille doit sa présence à des raisons politiques, après les raisons commerciales de Marco Polo, et missionnaires de Jean du Plan Carpin ou de Guillaume de Rubrouck. L’ambassade de Clavijo sera la seule source européenne connue  décrivant non seulement les contrées autour de Samarcande mais aussi la ville elle-même alors en plein faste, pendant des siècles.

La présence de Clavijo auprès de Tamerlan répond à un projet politique et tactique. Il s’agit alors pour Henri III de rechercher un allié possible en Asie qui lui permettrait de vaincre les Turcs, idée encore une fois typiquement dictée par la connaissance floue du christianisme d’Asie et la légende du Prêtre Jean. C’est la raison pour laquelle la relation du séjour à Samarcande est hiérarchisée, de façon évidente, selon des modalités propres aux récits de voyage pourvus d’un rôle tel que celui de relation d’ambassade. Clavijo sépare donc très nettement les différentes fonctions de sa relation, en introduisant la description de Samarcande au terme du récit de l’ambassade castillane.

A présent que je vous ai raconté ce qui nous advint à Samarkand, je vais vous décrire cette ville, son territoire, et ce que fit Timour Beg pour l’embellir[6].

Priorité est donnée au récit de la réception par Tamerlan, des fêtes données à la cour, de l’échange des cadeaux, du repas, de la préséance des ambassadeurs entre eux. La limite est donc nette entre ce qui concerne le contenu politique, et ce qui concerne le contenu descriptif. En réalité, il y a plutôt une limite entre le protocole diplomatique, les fêtes, la description de Tamerlan, de ses proches, des coutumes de la cour qui laisseront une vive impression chez les contemporains de Clajivo, et la ville elle-même, ses richesse, sa structure, son organisation. L’accent est à nouveau mis sur la prospérité remarquable de la ville, ce qui reprend certes les informations rapportées par Marco Polo mais ce qui possède également une autre fonction, plus stratégique, le but de l’ambassade étant aussi d’évaluer les forces de Tamerlan.

Avec la sobriété de l’ambassadeur relatant de façon la plus distanciée et impersonnelle possible sa rencontre avec la ville, Clavijo entame donc une description d’ensemble destinée à servir d’information. C’est la prospérité de la capitale de Tamerlan qui semble le fasciner, perceptible dans l’accumulation des formulations intensives que vient finalement concentrer une étymologie fantaisiste :

Il y a une telle abondance de jardins et de vignes autour de la ville que lorsqu’un voyageur arrive en vue de celle-ci, il ne voit qu’une masse de verdure avec, au milieu, la cité. Celle-ci et les jardins sont alimentés en eau par de nombreux canaux. Les jardins produisent beaucoup de melons et de coton. Les melons qui poussent sur cette terre en abondance, sont excellents, Il y en a tant à Noël que c’est une merveille. Chaque jour passent des caravanes et des chameaux chargés de melons et les quantités de ceux-ci vendues et consommées sont extraordinaires […] Cette ville est si prospère et si bien alimentée que c’est merveille. C’est à cause de cette prospérité qui lui est propre que lui vient son nom de Samarkand ; son nom véritable est Cimiscante qui signifie « ville grasse », de çimis qui veut dire « grasse » et de cante pour « ville ». À partir de cela on l’appela Samarcande[7].

Ces quelques lignes sont suivies aussitôt d’une description de toutes les marchandises qui affluent à Samarcande : tissus de satin et de soie, bijoux et pierres précieuses, fourrures et cuirs, épices, couleurs, armes, verrerie et poteries… de Russie, de Tartarie, du Cathay, d’Inde. Au milieu de cette évocation des richesses et de la prospérité de la ville, se trouve donc placée l’étymologie de la ville elle-même[8], censée en expliquer la richesse, et la prospère Samarcande se trouve ainsi ne faire plus qu’un avec son nom. L’axiologie extrêmement positive des noms et adjectifs (« excellents », « c’est merveille », « prospère », etc…) manifeste clairement l’admiration éprouvée par Clavijo lors de son séjour dans la capitale de Tamerlan.

Du corpus antique et primitif au récit de l’ambassade de Clavijo qui en est le premier visiteur européen, on voit que fort peu de connaissances parviennent en Europe sur la capitale timouride. Au contraire, elle n’est connue que par une lente élaboration mythique qui en relie l’image aux récits des conquêtes d’Alexandre, aux récits mythiques anciens et au fond nestorien du mythe chrétien du Prêtre Jean. Elle inspire donc déjà l’image d’un espace prospère et prestigieux, indissociable des mythes et des récits anciens qui en feront perdurer le mystère durant les quatre siècles qui suivent.

L’image de la cité déchue : un support mythique  du rêve colonial ?

L’ambassade de Clavijo est la seule ambassade officielle réalisée entre un souverain timouride et un émissaire européen, et en cela, elle apporte un nombre extrêmement important d’informations nouvelles, qui constitueront la totalité du savoir sur Samarcande et son monarque pendant près de quatre siècles. Aucun européen n’entre plus dans Samarcande avant le début du dix-neuvième siècle, et les seules nouvelles connaissances dont bénéficiera jusqu’à cette date l’Europe proviennent des traductions de textes arabes à partir de la conquête en 712 et jusqu’aux treizième et quatorzième siècles (notamment Ibn Battuta), des historiens de Byzance au contact de l’envahisseur, ou encore des explorations russes qui commencent vers le milieu du dix-huitième siècle. Hormis ces sources qui demeurent spécialisées, les Russes et Britanniques envoyés en mission au dix-neuvième siècle vers Samarcande et la capitale de l’émirat de Boukhara ne bénéficient pas de beaucoup plus d’informations concrètes détaillées que les lecteurs de Clavijo. Cependant, cet intervalle durant lequel politiciens, écrivains, géographes, scientifiques reprennent en les répétant les informations connues sur la ville, en n’accédant que très progressivement aux sources nouvelles (arabes et byzantines notamment) possède un autre intérêt : il s’accompagne d’une diffusion plus importante des connaissances géographiques, bien synthétisées dans des ouvrages qui ignorent de moins en moins la « Tartarie », à partir du dix-huitième siècle. Mais surtout, le « thème timouride » comme l’a nommé Vincent Fourniau, connaît dans la culture, les arts, et la pensée politique une vogue durable.

La Chine, traversée, explorée, quadrillée et cartographiée très tôt par les Jésuites a en quelque sorte détourné l’attention des géographes européens pendant des siècles des villes de la Route de la Soie en Asie centrale. Chine et « Tartarie chinoise » sont largement évoquées dans les relations et les descriptions des jésuites depuis le quinzième siècle, mais ce qu’on appelle alors la « Tartarie indépendante » ne l’est pratiquement jamais. Même si la Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de la Chine et de la Tartarie chinoise, par le Père J-B Du Halde, en 1735, rassemble près de trois siècles en un corpus jésuite de connaissances sur la Chine (soit les écrits d’une trentaine de pères missionnaires), et opère dessus un véritable travail de vulgarisation, Samarcande ne connaît pas de telle diffusion par les missionnaires, et cela explique pourquoi les pages consacrées à cette ville sont à peu près les mêmes dans tous les ouvrages qui paraissent entre le seizième et le début du dix-huitième siècle. En effet, la route terrestre qui mène en Chine, passant par Samarcande est abandonnée progressivement au profit de la voie maritime, tandis que la découverte de l’Amérique lance l’Europe vers d’autres terres à découvrir.

La rareté des documents et des récits de voyage sur Samarcande et Tamerlan en Europe et le délai de connaissance du corpus arabe est quelque peu contrebalancé à partir des seizième et dix-septième siècles par la présence d’un corpus extra-européen mais néanmoins proche, le corpus byzantin. La guerre de Tamerlan contre l’empereur Bayazid, connu en Europe sous le nom de Bajazet, aboutit à la synthèse de connaissances nouvelles décisives pour la pensée politique européenne qui va se servir de la figure de Tamerlan comme d’un symbole politico-moral du despote. Cet apport, relativement maigre toutefois, n’est pas à même de renouveler en profondeur les connaissances. Il fait cependant naître en Europe la figure du conquérant de Samarcande, qui sera l’un des vecteurs de diffusion du mythe de sa capitale. Nous y reviendrons.

Au dix-septième siècle, dans sa Description de tout l'univers en plusieurs cartes et en divers traitez de géographie et d'histoire, Nicolas Sanson ne traite de la Grande Tartarie, dont fait partie l’« Ouzbeck ou Zagathay » que de façon nécessairement succincte : « Samarcande, lieu de la naissance du grand Tamerlan et qu’il avait enrichi des plus belles dépouilles de l’Asie et orné d’une académie célèbre, et qui est encore en réputation parmi les Mahométans[9] ».

Très révélateur du prestige de la capitale de Tamerlan sur laquelle les auteurs ne savent pourtant que peu de choses, l’extrait est également intéressant en cela qu’il attribue de façon erronée à Tamerlan Samarcande comme lieu de naissance, erreur symptomatique de la liaison faite dès lors entre le monarque et sa capitale. Les sources limitées restreignent souvent la description des villes de la région à de rapides évocations accompagnées d’une citation de sources que l’on retrouve partout, et dont Clavijo et les sources byzantines sont évidemment les principales. Prenons l’Histoire générale des voyages de l’abbé Prévost qui synthétise, en 1749, l’ensemble des connaissances de son temps :

Ce pays que Bentink nomme Mawara-inahr, est situé à l’Est de la Bukkarie proprement dite, et au Nord de Balk. Il s’étend jusqu’aux frontières de Kashgar dans la petite Bukkarie. Sa longueur est d’environ cinq cens quarante milles de l’Ouest à l’Est, et sa largeur de cinq cens du Sud au Nord.

Il étoit autrefois rempli de Villes florissantes, dont la plupart sont aujourd’hui ruinées ou dans une grande décadence. La principale est Samarkand, qui est située sur une rivière et dans une vallée nommées Soga, à trente-neuf degrés vingt-sept minutes vingt-trois secondes de latitude, suivant les observations d’Ulugbeg, qui régnait en ce Pays en 1447. Elle est à sept journées de Bokhara, au Nord-Est. Il s’en faut beaucoup suivant Bentink, qu’elle ait conservé son ancienne splendeur. Cependant elle est encore très grande et bien peuplée. Ses fortifications sont de gros boulevards de terre. Ses édifices ressemblent beaucoup à ceux de Bokhara, excepté qu’on y voit plusieurs maisons bâties de pierre, dont il se trouve quelques carrières aux environs. Le Château qui sert de résidence au Khan est une des plus spacieux édifices de la Ville ; mais aujourd’hui que cette Province n’a plus de Khan particulier, il tombe insensiblement en ruines. Lorsque le Khan de la grande Bukkarie vient passer quelques mois de l’Eté à Samarkand, il campe ordinairement dans les prairies qui sont près de cette Ville.

L’Académie des sciences de Samarkand est une des plus célèbres et des plus fréquentées de tous les Pays Mahométans. Une petit rivière qui traverse la Ville et qui se jette dans l’Amu apporteroit beaucoup d’avantages aux Habitans par les communications qu’elle pourroit leur donner avec les Etats voisins, s’ils avoient l’industrie de la rendre navigable. Mais pour faire fleurir le Commerce à Samarkand, il lui faudroit d’autres Maîtres que des Tartares Mahométans.

On prétend que cette Ville fabrique le plus beau papier de soie de toute  l’Asie, et dans cette opinion il est fort recherché des Levantins. (On prétend que c’est d’elle que nous tenons cette invention) Le Pays produit des poires, des pommes, du raisin, des melons d’un goût exquis, et dans une si grande abondance, qu’il en fournit l’Empire du Grand-Mogol et une partie de la Perse[10].

On voit que depuis Clavijo, la description ne change pas fondamentalement, et hormis quelques précisions topographiques (dont celles rapportées par le voyageur Bentink au milieu du seizième qui ne va pas toutefois à Samarcande) le principal apport de la description faite par le texte de Prévost est une actualisation des connaissances : sans que beaucoup de savoir nouveau ait été acquis, trois siècles séparent Clavijo de Prévost. La prospère Samarcande où le petit-fils de Tamerlan a construit son célèbre observatoire (dont l’Europe, scientifique cette fois, a entendu parler par les mathématiciens et astronomes arabes) n’est donc plus qu’un vestige de l’histoire glorieuse des timourides, image qui ne la quittera plus. Elle est passée en effet comme l’écrit Prévost au statut de seconde ville du khanat de Grande Boukharie et a donc vu son rôle politique s’amincir à partir de 1507, soit plus de deux siècles auparavant. Il y a probablement une part de fascination, dans les esprits des Européens d’alors, pour cette terre dotée de ressources merveilleuses et au passé prestigieux, que l’on décrit désormais à l’abandon. De là à lui rêver « d’autres maîtres » ?

L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert témoigne quant à elle du peu d’avancée des connaissances géographiques en Europe sur Samarcande. Elle est de plus, comme le rappelle Nouma Broc[11], assez imprécise pour ce qui est de sa nomenclature géographique et manque de méthode en ce qui concerne les régions de l’Asie. La Chine, pourtant à la mode à l’époque, n’occupe que 27 lignes : « vide » incompréhensible compte tenu des connaissances de l’époque diffusées par les Jésuites et qui conduit Samuel Engel, du conseil souverain de Berne à en publier une augmentation : Mémoires et observations géographiques et critiques sur la situation des pays septentrionaux de l’Asie et de l’Amérique, en 1765. Or, ce qui nous intéresse dans cet ajout, c’est que la publication d’Engel bénéficie, concernant l’Asie centrale et la Sibérie, de toutes les découvertes, parutions, et compte-rendus traduits du russe, alors en pleine phase d’une reconnaissance territoriale qui prépare la conquête coloniale du siècle suivant. Cependant, la nomenclature de l’Encyclopédie demeure très imprécise et manque de cohérence, au point de donner lieu à ce qu’on peut qualifier de doublets : le copiste encyclopédique semble parfois avoir pris des renseignements de plusieurs côtés et sans soupçonner l’identité des articles qu’il copiait, il les a multipliés et en a donné deux pour un sans s’en apercevoir. Ainsi les villes de Boukhara et Samarcande ont chacune leur doublet :

BACHARA,  (Géogr.) ville de la grande Tartarie en Asie, dans l'Usbech, sur une riviere qui va se jeter dans la mer Caspienne.

BOCKARA, (Géogr.) " ville assez considérable dans le Zagatay en Asie sur la riviere d'Albiamu ". 1 . On ne se sert plus guère du nom de Zagatay : Bokara ou Bochara est au pays des Usbecks dans la Province de Bokara même. 2 . Cette riviere d'Albiamu est une riviere imaginaire. MM. Baudrand & Noblot donnent à la riviere qui passe à Bokara le nom de Sog ; mais M. de Lisle, dans la Carte de Perse, ne met point de riviere à Bokara. M. Nicolle de la Croix le place sur le Gihon, qui est l'Oxus des anciens ; mais elle en est un peu éloignée sur la Carte de M. de Lisle[12].

Pour Samarcande, l’article est nettement plus long, et on trouve à l’article « Samaracan » une évocation également intéressante.

SAMARCANDE, (Géogr. mod.) grande ville d'Asie, au pays des Usbecks, dans la province de Maweralnahr, sur la riviere de Sogde, à sept journées au nord de la ville de Bockhara […]

Samarcande est la Maraganda de Pline, de Strabon, & des autres anciens. Elle avoit du tems d'Alexandre 70 stades de circuit, c'est-à-dire environ 3 lieues de France ; mais elle avoit trois fois cette étendue, lorsque les Mogols l'assiégèrent. Il ne faut pas s'en étonner, parce que cette ville renfermoit dans son enceinte, non-seulement des champs labourables, des prés, & une infinité de jardins, mais encore des montagnes & des vallées. Elle avoit douze portes éloignées d'un mille l'une de l'autre. Ses murailles étoient revêtues de tourelles, & entourées d'un fossé profond, sur lequel passoit un aqueduc qui conduisoit les eaux de la riviere en divers quartiers de la ville.

Genzis - Kan, premier empereur des anciens Mogols & Tartares, forma le siège de cette ville, en 1220, & la prit par la mésintelligence qui regnoit entre tant de différens peuples qui l'habitoient. Le sultan Mehemet ne put la défendre avec une armée de cent dix mille hommes.

Tamerlan descendant de Genzis - Kan par les femmes, & qui subjugua autant de pays que ce prince, établit Samarcande pour la capitale de ses vastes états. […] il mourut en 1406, dans une extrême vieillesse, après avoir régné 36 ans, plus heureux par sa longue vie & par le bonheur de ses petits - fils, qu'Alexandre le Grand, auquel les orientaux le comparent.

Il n'étoit pas savant comme Alexandre, mais il fit élever ses petits-fils dans les sciences. Le fameux Oulougbeg, qui lui succéda dans les états de la Transoxane, fonda dans Samarcande la premiere académie des sciences, fit mesurer la terre, & eut part à la composition des tables astronomiques qui portent son nom ; […]. Aujourd'hui la grandeur de Samarcande est tombée avec les sciences ; & ce pays occupé par les tartares Usbecks, est redevenu barbare, pour refleurir peut-être un jour.

Tout même nous porte à l'imaginer. Samarcande est encore une ville considérable, dont la position est des plus heureuses, pour faire le commerce de la grande Tartarie, des Indes, & de la Perse. Elle ne manque de rien pour sa subsistance ; enfin, elle a autour d'elle à dix lieues à la ronde, un grand nombre de bourgades, dont les jardins délicieux font passer la fameuse vallée dans laquelle elle est située, pour un des quatre paradis terrestres que les Orientaux mettent en Asie[13].

SAMARACAN,  (Géog. mod.) ville d'Asie, dans la partie orientale de l'île de Java, à 7 lieues au sud-ouest de Japara, avec laquelle elle trafique.

Paul Lucas parle d'une autre Samaracan, grande ville ruinée en Asie, assez près des frontieres de la Turquie & de la Perse, en allant d'Ispahan à Alep par Amadam. Tout ce que ce voyageur raconte de la magnificence des ruines de cette ville, ne doit passer que pour un roman de son invention[14].

« Refleurir peut être un jour » : l’Europe et la Russie, semblent à l’époque lire dans le passé de la ville la promesse d’un renouveau futur, pourvu qu’elle change de « maître ». N’y aurait-il pas dans cette fascination pour le vestige d’un glorieux empire tombé, comme le pressentiment d’un nouvel empire, colonial celui-là, à gagner ? On peut en proposer l’hypothèse, et lire le mythe déjà en marche de la ville comme lié au futur projet colonial qui verra le mythe naître à proprement parler. Certes, aucun des pays d’Europe n’est encore lancé dans la conquête coloniale à l’époque. Mais la Russie des Tsars, notamment Catherine II, lance très tôt une reconnaissance systématique d’un territoire qui implicitement s’en trouve ainsi revendiqué.

Le texte de Paul Lucas évoqué dans le doublet encyclopédique relate en réalité le récit d’un commerçant dans la Turquie et au Moyen Orient. Publié en 1704, il semble tout particulièrement intéressant pour notre sujet dans la mesure où le voyageur découvre un beau jour une mystérieuse ville perdue : Samaran. Est-ce à dire que dès 1704, la capitale de Tamerlan, qui partage nombre de traits de ressemblance avec la cité inconnue de Paul Lucas, nourrisse l’imagination des voyageurs ?

Le vingt-quatrième nous partîmes devant le jour, & traversâmes une assez grosse rivière à gué, après laquelle on entre par une grande porte bâtie de pierres de vingt pieds de longueur, & plus de cinq à six sur chaque façade dans une Ville dont les rues étaient pavées de pierres, mais si belles qu’elles paraissaient de marbre.

Je ne pus m’empêcher de m’attrister de voir une Ville si grande toute ruinée. L’on m’assura que le tour de ses murailles avait 26 à 30 milles. Il y passe une rivière aussi grosse et aussi belle que la Seine, sur laquelle on voit encore qu’il y eu quantité de ponts. Plusieurs beaux Palais, & plusieurs Temples entiers servent de demeure aux serpents qui y sont en grand nombre, d’une espèce particulière, car ils ont tous des cornes. Comme je m’écartai un peu de la Caravane pour aller voir le dedans de ces beaux édifices, en y voulant entrer plus de cent serpents se présentèrent comme pour m’en défendre l’entrée. Je leur fis un grand salamalec, & et ne fus pas plus avant. Il y en a dans toutes ces ruines, à ce que me dirent ceux de notre Caravane & l’on m’en compta la fable. La Ville, me dit-on, avait été bâtie par des esprits, et une Reine nommée Samaran y ayant amené beaucoup de peuple pour l’habiter, lui avait donné son nom ; mais que depuis les serpents l’avaient tout à fait détruite. Le nom que lui donne la fable, si c’en est une, est si peu éloigné de Sémiramis, qu’il se pourrait bien faire que la Reine de ce nom l’aurait bien fait bâtir. Cependant, comment n’aurait-elle point été connue des Géographes et des Voyageurs anciens qui nous restent. Quoi qu’il en soit, il paraît qu’elle a été une des grandes villes du monde. […] Les dehors font connaître que c’était un lieu délicieux. L’on y voit encore comme les traces de magnifiques Jardins, & cela se connaît par quantité de terrasses qui sont les unes sur les autres. L’on voit quantité de gros canaux quarrés bâtis de pierre, qui marquent n’avoir été faits que pour conduire de l’eau dans ces lieux de plaisance ; l’on y voit encore des restes de murailles peintes de paysages et de grands arbres[15].

Cette « affabulation » de Paul Lucas présente l’avantage de recourir aux éléments fabuleux et au discours qui caractérisait déjà chez les voyageurs anciens la « merveille ». Elle dégage ainsi par des éléments fabuleux ce qui est susceptible de créer la fascination pour cette ville manifestement imaginaire. La ruine après la grandeur d’une cité autrefois prospère, la présence magique d’esprits, d’une Reine fondatrice (Bibi Khanoum, épouse préférée de Tamerlan n’en serait pas éloignée comme modèle réel), des serpents gardiens auxquels le narrateur s’adresse de façon tout à fait burlesque. L’évocation de "Samaran" a beau être ici tout à fait fantaisiste, elle témoigne également l’emprise de la littérature sur la géographie en offrant, sans doute pour la première fois dans le cas de Samarcande, l’exemple d’une géographie poétique relevant plus du voyage extraordinaire que du récit sérieux. Pourtant, Tamerlan et sa capitale sont aussi entrés en Europe d’une autre façon, comme figure politico-morale fascinante, et le mythe géographique de la ville qui y est attaché.

Etienne Leterrier

À suivre sur le prochain numéro d’Astrolabe

Notes de pied de page

  1. ^ Arrien, Histoire d’Alexandre (l’Anabase), traduit du grec par Pierre Savinel, Paris, Editions de Minuit, collection « Arguments », 1984, p. 134.
  2. ^ Chapitre 52.
  3. ^ Marco Polo, Le devisement du monde, (1ère éd. Nuremberg, 1477), Editions Imprimerie nationale, Paris, 2004, p. 68-69.
  4. ^ Ibid.
  5. ^ Ibid.
  6. ^ Lucien Kehren (éd.), Ruy Gonzalez de Clavijo, La route de Samarkand au temps de Tamerlan, trad. et commenté par Lucien Kehren, Paris, Editions Imprimerie Nationale, 1990.
  7. ^ Ibid.
  8. ^ L’étymologie actuelle favorisée par les historiens et archéologues fait provenir le nom « Samarcande » du sanskrit samara, « la rencontre, l’affrontement » et du mot kand, « le lieu ».
  9. ^ Nicolas Sanson, Description de tout l'univers en plusieurs cartes [], Amsterdam, François Halma, 1700, p. 341.
  10. ^ Antoine François Prévost (trad.), Histoire générale des voyages [], vol. VII, Paris, Didot, 1749, p. 209.
  11. ^ Nouma Broc, La Géographie des philosophes, géographes et voyageurs français au dix-huitième siècle, Paris, Ophrys, 1975.
  12. ^ Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, version numérisée 1.0, Redon, 2000.
  13. ^ Ibid.
  14. ^ Ibid.
  15. ^ Paul Lucas, Voyage du sieur Paul Lucas au Levant […], Paris, Nicolas Simart, 1704, p. 133-136.

Référence électronique

Etienne LETERRIER, « L’IMAGE DE SAMARCANDE, », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Juillet 2006, mis en ligne le 24/07/2018, URL : https://crlv.org/articles/limage-samarcande