L’AMÉRIQUE MÉRIDIONALE À LA FIN DU XVIIIe SIÈCLE

L’AMÉRIQUE MÉRIDIONALE À LA FIN DU XVIIIe SIÈCLE
Le voyage de Félix de Azara (1781 – 1801) dans le bicentenaire de sa publication

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Militaire et cartographe, Félix de Azara voyage dans l’Amérique du Sud pendant vingt ans à la fin du XVIIIe siècle et, en particulier, il parcourt le Paraguay, l’Argentine, l’Uruguay et la partie méridionale du Brésil.

Le voyage et la publication du récit d’Azara coïncident avec deux événements importants dans l’histoire de l’Amérique méridionale : l’expulsion des jésuites des territoires espagnols (survenue treize ans avant le voyage d’Azara) et l’effondrement de l’empire colonial espagnol (juste un an après la parution des Voyages d’Azara). La relation du voyage d’Azara est publiée dans une langue qui n’est ni celle de son auteur ni celle du public directement concerné : les Voyages dans l’Amérique méridionale sont publiés en 1809 en français, à Paris, et leur importance est particulièrement appréciée, à leur époque, par le cercle d’hommes de sciences et naturalistes qui se réunissent autour du Muséum d’Histoire Naturelle ; Saint-Hilaire, Humboldt et Darwin (pour ne citer que les plus célèbres) y feront constamment référence.

Les Voyages de Félix de Azara doivent leur importance à trois aspects capitaux liés entre eux : la cartographie, le panorama historique et les notes et observations sociologiques et anthropologiques sur les peuples amérindiens.

Profond connaisseur de la réalité politique sud-américaine, Azara imaginait probablement la création d’un protectorat ou d’un État tampon entre les dominations espagnole et portugaise, mais ses vicissitudes personnelles et l’effondrement de l’empire espagnol ont finalement arrêté ce projet. Mais l’étude géographique d’Azara et la cartographie qui en dérive sont imprégnées de politique : le voyageur connaissait très bien le retard accumulé par l’Espagne dans ces domaines, surtout par rapport à la Grande Bretagne qui venait de découvrir la façon de calculer la longitude. D’ailleurs, les Voyages d’Azara présentent une réflexion économique, pour réorganiser et mieux exploiter les ressources, planifier le repeuplement et stimuler les activités productives, tout en défendant le territoire. La pensée d’Azara se situe, donc, à l’opposé de la politique jésuite, que l’Amérique du Sud a subie jusque peu d’années avant le voyage de l’espagnol. Azara raisonne selon des idées économiques, qui visent à établir des rapports commerciaux avec les indigènes, au lieu de continuer à proposer une conquête spirituelle et militaire stérile. Les descriptions anthropologiques et ethnologiques d’Azara sont extrêmement intéressantes et modernes : elles présentent des peuples effondrés et un territoire détruit par la machine jésuite. Azara décrit les tribus de la région, les provinces et leurs villes, en accompagnant tout cela avec des tableaux donnant les chiffres du commerce et de la population.

Deux cents ans après leur parution, les Voyages de Félix de Azara gardent toute leur modernité impressionnante et font réfléchir sur le fort contraste entre la célébrité et l’accueil positif qu’ils reçurent en France, au moment de leur parution, et la presque indifférence montrée par le milieu espagnol au début du XIXe siècle.

Alessandra Grillo

Quatrième de couverture

Félix de Azara (1742-1821) arrive en Amérique pour participer à la démarcation de la frontière coloniale entre les empires espagnol et portugais. Ingénieur, cartographe et militaire, il parcourt pendant vingt ans cette Amérique méridionale (Paraguay, Argentine, Uruguay et sud brésilien actuels) dont il nous livre ici la première description historique et géographique à vocation scientifique. Ses descriptions naturelles explorent un paysage vertigineux et inconnu avec la méthode et la clarté d’un esprit des Lumières. Ses analyses historiques retracent les fondations et les migrations qui ont façonné la région et dressent un bilan critique, engagé et informé de la politique coloniale espagnole et du projet missionnaire jésuite au Paraguay. Sur le plan ethnologique, une description précise et désintéressée des populations indiennes vient tempérer celles des jésuites en nous livrant le portrait lucide d’une humanité première, diverse et athée que ni la croix ni l’épée n’auraient su comprendre.

La qualité des descriptions historiques, naturelles et ethnologiques de Félix de Azara a fait de ses Voyages une source incontournable pour ceux qui se sont intéressés – de Humboldt à d’Orbigny, de Von Martius à Bonpland – à l’histoire naturelle et civile du continent. La modernité de l’argument d’Azara – lu, commenté et repris par les cercles intellectuels latino-américains qui préparèrent les indépendances – s’inscrivit ainsi dans le processus de formation républicaine. La circulation des Voyages en Amérique contraste avec l’indifférence qu’ils suscitèrent dans l’Espagne du XIXe siècle.

Deux cents ans après sa parution (Paris, 1809), cette première réédition de la version originale des Voyages reprend également l’« Introduction à l’histoire naturelle de la province de Cochabamba », de Thaddäus Haencke.