VIA SAN MICHELE, 1854

VIA SAN MICHELE, 1854
Edouard Delessert, écrivain-voyageur et photographe, pionnier du calotype en Sardaigne

 

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Edouard Delessert, Cagliari, Rue Saint-Michel, 1854, in Sei settimane nell’isola di Sardegna, a cura di Emilio Caredda e Mauro Rombi, Sassari, Carlo Delfino editore, 2001, p. 137.

 Edouard Delessert (Paris 1828-1898) fut l’un des premiers voyageurs photographes en Sardaigne. En 1850 il fonda la revue L’Athenaeum français, à laquelle collaborèrent entre autres Prospère Mérimée, Olympe Aguado et Félicien de Saulcy. Écrivain, voyageur et photographe, Delessert avait accompli d’autres voyages comme en témoignent les récits Vingt et un jours à la mer Morte, 1851 récit de son voyage en Palestine en compagnie de son ami archéologue Félicien de Saulcy ; Voyage aux villes maudites, accompagné d’une carte et de notes scientifiques, par F. de Saulcy, membre de l’Institut, 1 vol. in-18, Paris, Victor, Lecou, 1853 ; et Une nuit dans la cité de Londres, Paris, Librairie Nouvelle, 1854.

Edouard Delessert débarque sur l’île de Sardaigne en 1854, à l’âge de 26 ans. Le voyageur aspire à constituer une importante documentation photographique et des notes de voyages qui lui serviront ensuite à la composition d’un guide sur les voies principales de l’île pour les voyageurs qui souhaiterons s’y rendre, et qui pourrait se révéler utile à ceux qui emprunteront le même parcours, comme l’auteur l’écrit dans la conclusion[1] de son récit Six semaines dans l’île de Sardaigne. Son ouvrage fut publié à Paris en 1855, un an après l’accomplissement du voyage, par Librairie Nouvelle. Le recueil de ses photographies, publié séparément du récit de voyage, donne lieu au célèbre album[2]Cagliari et Sassari, 40 vues photographiques, publié à Paris chez Goupil et Comp. en 1854, dont les quarante photographies sont en format 19 sur 25 cm, et dont il reste actuellement deux exemplaires, un appartenant à la Bibliothèque Nationale de France, à Paris, et l’autre au Musée Royal de Tourin.

L’image choisie, extraite des quarante photos de l’album sur la Sardaigne de Delessert, représente la via San Michele de la ville de Cagliari, rue à travers laquelle, on descend vers la mer, en partant de la partie haute de la ville, Castello, et du Bastione. Deux églises s’élèvent sur l’arrière plan de la photo, l’une en position plus centrale, l’église de Sant’Anna[3] (que Delessert en se trompant nomme l’église de Sainte Hélène), et l’autre, sur l’avant dernière ligne de l’horizon, l’église San Michele[4], surgissant juste avant la mer, les langues de terre et les montagnes sur le fond à gauche, seule séparation entre le ciel et l’eau. Les deux églises avec le clocher de la première comme point culminant, constituent une forme harmonieuse presque en triangle et donnent à la photographie un élan vertical. Tandis que la profondeur de l’image et la perspective sont remarquablement restituées grâce à la rue Saint Michel, qui se veut, d’après le titre donné à l’image, le sujet principal de la photographie en question. C’est ainsi que le voyageur dépeint la rue :

En quittant le Musée on peut longer le bastion, contre lequel s’adosse la tour de l’Eléphant : depuis ce bastion on découvre toute la partie occidentale de la ville, et en particulier la rue Saint-Michel, sorte de Corso souvent rempli de monde parce que là se font, sur le pavé de galet pointu et glissant, des courses de tous les genres dont nous avons vu que les Sardes se montrent très-friands [sic] ; à droite, au milieu des maisons qu’on a sous ses pieds, se dresse l’église de Sainte-Hélène, avec sa coupole et son clocher en forme de minaret perfectionné ; au fond de la rue Saint-Michel, qui fait au milieu de sa longueur un léger coude, c’est ‘église portant le même nom que la rue ; une grille massive en fer défend l’entrée de Saint-Michel, sa façade, parée comme la cathédrale des éternelles fenêtres entourées d’ornements de mauvais goût, ennuie par sa régularité prétentieuse ; enfin, à gauche et dans le fond, on distingue la petite route établie sur cet isthme bordée de poteaux télégraphiques, qui dessine le contour de la rade et se perd au pied des montagnes occidentales de la baie. Un soleil brillant illuminait les toits des maisons, et l’eau bleue de la mer servait de repoussoir aux teintes brunâtres des tuiles et aux blanches murailles des habitations. Vue depuis le Camino Nuovo ou de cette promenade sur les remparts, Cagliari double de grandeur et semble vraiment une belle ville[5].

Fasciné par la photographie, et notamment les nouveaux champs d’expérimentation qu’elle propose, Delessert se laisse charmer par la lumière. La description de la rue que nous avons présentée ci-dessus, n’est pas accompagnée dans l’édition du récit par la photographie et, à notre connaissance, la photographie de la rue Saint-Michel et la description de la rue n’ont jamais été proposées ensemble, l’une à côté de l’autre. L’observation attentive de la photographie et la lecture de la description en parallèle suscitent une impression étonnante ; Delessert semblerait en effet décrire, à travers ses mots, la photographie ; comme si le voyageur, au moment de la rédaction de son récit pour la publication, une fois revenu en France, avait placé sous ses yeux la photographie de la rue pour mieux se remémorer les faits et les lieux, et mieux enrichir sa description des souvenirs de son passage.

La rue, déserte sur la photo, est animée dans le récit par les scènes de vie observées personnellement par le voyageur, affinée par les détails de l’église Saint Michel, pratiquement invisibles sur la photo et laissés à l’imagination de l’observateur-lecteu. D’autant plus que la description joue avec la lumière, si chère à Delessert, les nuances de blanc de noir et de brun, des toits, des tuiles, des murs et du soleil. Seule touche de couleur dans la description, le bleu de la mer, tel un coup de pinceau posé par l’artiste sur son œuvre.

La photographie, comme d’ailleurs la plupart des clichés pris par Monsieur Delessert, ne parait pas dans la première publication du récit. Ce dernier contient en effet seulement deux des nombreuses photographies prises par l’auteur lors de son voyage. Ces deux images ont été par ailleurs reproduites sous forme de gravure par le procédé photomécanique. La couleur et le cadrage de l’image d’origine ont aussi été modifiés. Il en résulte une qualité de l’image nettement inférieure par rapport au calotype mais tout aussi captivante :

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Grotta della vipera’ et ‘Nuraghe’, in Edouard Delessert,
Six semaines dans l’Ile de Sardaigne,
Paris, Librairie Nouvelle, 1855

Delessert utilise pour ses photographies du voyage en Sardaigne une technique très récente pour son époque, celle du calotype, inventée seulement 3 années auparavant par Blanquart Evrard et Gustave Le Gray. Cette image résulte de la nouvelle technique, puisqu’elle a été imprimée sur papier à partir d’un négatif ciré. Cette nouvelle technique était bien plus pratique pour les photographies de reportage, car entre autres, elle allégeait les bagages du voyageur, le papier étant en effet bien plus léger à porter par rapport aux plaques de verre utilisées pour le daguerréotype. Edouard Delessert avait été introduit à la photographie par le même Gustave Le Gray et par son oncle Benjamin Delessert qui fut l’un des fondateurs de la Société Héliographique, première association photographique au monde.

La photographie de la rue saint Michel de Cagliari, constitue, avec les autres 39 photos de l’album de Delessert, un témoignage historique important sur la Sardaigne. Le recueil photographique de Delessert, malgré les contraintes de la technique utilisée et les influences des canons esthétiques du paysage de l’époque, laisse apercevoir, dans certains calotypes, une sensibilité à la lumière et des qualités artistiques.

Première édition du récit de voyage :

Edouard Delessert, Six semaines dans l’île de Sardaigne, Librairie Nouvelle, Paris, 1855.

Rééditions du récit de voyage en Sardaigne de Delessert :

Edouard Delessert, Sei settimane nell’isola di Sardegna, a cura di Emilio Caredda e Mauro Rombi, Sassari, Carlo Delfino editore, 2001, ISBN 88-7138-195-5

Autres récits de voyage écrits par Edouard Delessert:

Vingt et un jours à la mer Morte, 1851

- Voyage aux villes maudites, accompagné d’une carte e de notes scientifiques, par F. de Saulcy, membre de l’Institut, 1 vol. in-18, Paris, Victor, Lecou, 1853

- Une nuit dans la cité de Londres, Paris, Librairie Nouvelle, 1854

- Cagliari et Sassari, 40 vues photographiques, Paris, Goupil et Comp., 1854

 Tania Manca

Notes de pied de page

  1. ^ Edouard Delessert, Six semaines dans l’Ile de Sardaigne, Paris, Librairie Nouvelle, 1855, p. 221.
  2. ^ L’album fut publié dans un premier temps en fascicules hebdomadaires.
  3. ^ Eglise du petit baroque piémontais, construite entre 1785 et 1817.
  4. ^ Ce furent les Pères jésuites, établis à Cagliari depuis 1564 qui firent construire l’église de San Michele au XVIIe siècle, dans ses élégantes formes baroques.
  5. ^ Edouard Delessert, Six semaines dans l’Ile de Sardaigne, op. cit., p. 177-178.

Référence électronique

Tania MANCA, « VIA SAN MICHELE, 1854 », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Septembre 2006, mis en ligne le 25/07/2018, URL : https://crlv.org/articles/via-san-michele-1854