STUPEUR ET TREMBLEMENTS D'AMÉLIE NOTHOMB

Stupeur et tremblements d’AMÉLIE Nothomb
Un voyage infernal dans une entreprise japonaise

Les expériences viatiques ont beaucoup marqué la vie d’Amélie Nothomb, fille d’un diplomate belge en poste au Japon, en Chine, à New York etc. Elles ont inspiré plusieurs de ses romans qu’elle qualifie d’autobiographiques comme le Sabotage amoureux sur son enfance en Chine, Métaphysique des tubes sur ses impressions enfantines à Kobe, Stupeur et tremblements, ou plus récemment Biographie de la faim, publié en 2004 qui fait le bilan des voyages de l’héroïne.

Stupeur et tremblements, paru en 1999 chez Albin Michel, présente un autre forme d’expérience viatique : la volonté d’une européenne de s’intégrer à la culture et aux modes de fonctionnements d’une entreprise nipponne. Ce roman fut adapté par Alain Corneau. Son film est sorti en France en mars 2003, avec comme interprètes principaux Sylvie Testud dans le rôle d’Amélie-san, et Kaori Tsuji dans le rôle de Fubuki Mori.

Pistes des analyses trans-artistiques

L’écrivain définit l’expérience de son héroïne comme l’échec retentissant d’une intégration dans une entreprise japonaise. La structure du livre suit la succession des descentes sociales d’Amélie pendant une année d’expérience professionnelle : elle passe d’un statut de traductrice stagiaire à celui de ‘dame-pipi’. Cette œuvre pose le problème du regard que porte une héroïne belge, connaissant couramment la langue nipponne, sur la société japonaise de l’entreprise (notamment son rapport à la hiérarchie), et sur la condition de la femme dans ce pays (les dogmes de son éducation, le lien entre perfection et idée du suicide, la conception de l’amour et du mariage).

Le film de Corneau, éponyme du roman, semble se présenter comme une interprétation assez fidèle du livre. Les relations étroites entre le livre et le film posent le problème plus général de la transposition trans-artistique. Comment transposer à l’écran des procédés littéraires, et en particulier les différents niveaux de comique ? L’emploi systématique de la voix-off permettrait au cinéaste de se rapprocher des techniques narratives du roman. Une comparaison des motifs récurrents qui traversent les deux œuvres est également pertinente pour comprendre le rapport entre structure romanesque et structure filmique.

On étudiera aussi la structure oppositionnelle intérieur-extérieur (emprisonnement et contraintes humiliantes d’Amélie dus à l’entreprise opposés au motif de la défenestration mentale de l’héroïne), ainsi que le contraste entre l’image du Japon moderne de l’entreprise et la représentation du Japon traditionnel artistique (tension entre la fascination d’une enfance au Japon et la réalité sociale des adultes). Les questions centrales auxquelles nous tenterons de répondre sont : comment le film présente-t-il ces contrastes ? Quelles sont ses innovations par rapport au livre ?

La notion d’étranger s’exprime dans le roman par la présentation de différents types et niveaux de racisme anti-occidentaux ressentis ou subis par l’héroïne. Le racisme physiologique, la théorie de la supériorité des races, et la présentation du révisionnisme des aspects sombres de l’histoire japonaise sont des thèmes très présents chez Amélie Nothomb. Ils explicitent, de manière violente, la relation entre l’héroïne et ses supérieurs japonais. On s’interrogera sur les choix de présentation, de condamnation et de mise en scène de ces types de racisme chez Alain Corneau. Amélie Nothomb cite une scène centrale du film Furyo du cinéaste japonais Oshima, réalisé en 1983. Cette séquence présente le supplice, par un gradé japonais, d’un soldat américain, joué par David Bowie. Nous nous interrogerons sur le rôle de cette référence dans l’œuvre littéraire et de cette mise en abyme dans le film.

Dans cet article nous étudierons le rapport entre roman d’éducation et satire du fonctionnement d’une entreprise japonaise, le regard d’une étrangère sur la société japonaise et les différents racismes auxquels elle est confrontée. Chaque étude thématique présentera des comparaisons entre le livre et son adaptation cinématographique.[1]

Roman d’éducation et satire du fonctionnement d’une entreprise japonaise

1. Motivations du voyage

Le livre et le film sont des récits rétrospectifs au passé et à la première personne du singulier. L’incipit du livre présente le système hiérarchique dans lequel s’inscrit l’héroïne, système renforcé ou mimé par le parallélisme de la structure syntaxique :

Monsieur Haneda était le supérieur de monsieur Omochi, qui était le supérieur de monsieur Saito, qui était le supérieur de mademoiselle Mori, qui était ma supérieur. Et moi, je n’étais la supérieure de personne. (p.7, op.cit.)

Ce système est la structure principale qui ordonne la construction du récit. La fermeture ou la clôture du livre présentent les demandes de démission d’Amélie, en fin de contrat, à ses quatre supérieurs (du moins important au plus important au sein de l’entreprise), une présentation du retour d’Amélie en Europe, de la publication de son premier roman Hygiène de l’assassin en 1992 et de la lettre de félicitation de Mori Fubuki (son ancienne supérieure directe).

L’incipit du film, quant à lui, décrit explicitement la motivation du voyage d’Amélie par la voix-off (voix de la narratrice) et la voix de l’héroïne, jouée par Sylvie Testud. Elle explique cette volonté de vivre et de travailler au Japon par sa naissance et son enfance merveilleuse dans ce pays :

Je suis née au Japon. J’y ai passé mes cinq premières années de ma vie. Quitter le Japon fut pour moi un arrachement, un véritable exil. Ce premier exil m’a tant marqué qu’au seuil de ma vie adulte je décidai de revenir vivre au Japon, donc d’y travailler. Je me sentais capable de tout accepter afin d’être réincorporée à ce pays dont je me suis si longtemps cru originaire. Voici comment j’ai voulu devenir une vraie japonaise. (Transcription des premières paroles du film.)

Ce retour au Japon est ressenti par elle comme un retour aux sources et non comme un besoin de dépaysement ou la recherche d’un exotisme. Le décor de la première séquence présente le Japon traditionnel à travers l’image d’un jardin très célèbre de Kyoto, créé au XVIe siècle. Ce rapport de causalité entre souvenirs d’enfance et motivation adulte du voyage se présente par la succession ou le passage, dans le même décor du jardin, de l’image de l’héroïne enfant à celle d’Amélie adulte. Le procédé utilisé est la substitution d’images sans changement de plan. Il permet de dynamiser le récit et de renforcer ses liens logiques. La présentation d’Amélie enfant ou adulte dans le jardin de Kyoto devient un motif récurrent du film. Ce motif est totalement absent du livre. Le film, dès le début plus explicatif, suit l’ordre chronologique de la vie d’Amélie tandis que le livre présente in medias res les relations hiérarchiques au sein de l’entreprise où va travailler l’héroïne. C’est lors d’une confrontation entre Amélie et M.Saito que l’écrivain revient sur son enfance japonaise :

Certes, je n’avais jamais eu l’ambition de devenir un foudre de guerre du commerce international, mais j’avais toujours éprouvé le désir de vivre dans ce pays auquel je vouais un culte depuis les premiers souvenirs idylliques que j’avais gardés de ma petite enfance.[2]

C’est lors d’un moment de crise professionnelle que la narratrice explique son acceptation des humiliations subies par la fascination enracinée dans son enfance pour le Japon.[3] Cette tension est quant à elle marquée dès les premières phrases du film : « Je me sentais capable de tout accepter afin d’être réincorporée à ce pays dont je me suis si longtemps cru originaire. »

La clôture du film présente la réconciliation de Fubuki et d’Amélie en 1993 à travers leur représentation imaginaire dans le jardin de Kyoto, c’est-à-dire dans le même décor utilisé au début du film. Les deux personnages sont présentés côte à côte sous leurs physiques d’adulte puis d’enfant. Ainsi le film présente une structure circulaire par la répétition-variation d’un même motif scénique. Ce procédé est absent du livre.

2. Structures du livre et du film en rapport à la présentation du Japon

Le livre n’est pas divisé en chapitre. Nous pouvons néanmoins le diviser en sept parties dont les six premières décrivent une expérience viatique infernale. La première partie est composée des pages 7 à 35. Amélie se confronte aux décisions absurdes de son supérieur M. Saito qui ne lui donne aucun travail en adéquation avec ses compétences. Cette partie est fondée sur une disproportion entre obéissance à la hiérarchie imposée aveuglement par M.Saito et emploi attendu par Amélie. Le principal procédé utilisé est le comique de répétition. Le motif de la défenestration mentale de l’héroïne par la vue plongeante de Tokyo commence à se répéter. Le mouvement général de la partie est une succession de « gaffes » et d’échecs d’Amélie. Le film suit fidèlement cette trame narrative. Cette partie est composée des chapitres 2, 3, 4 et du tout début du chapitre 5 du DVD.[4] Elle correspond aux 31 premières minutes du film.

La construction du film contrairement à celle du livre se nourrit, dès l’incipit, des variations Goldber de Jean-Sébastien Bach alors qu’aucune référence musicale n’est présente dans l’œuvre littéraire. Alain Corneau a choisi l’interprétation de Pierre Hantaï. Ce choix musical est interprété par le cinéaste comme une des différences majeures entre un livre et un film. Il explique ainsi son choix esthétique à Michel Zumkir :

La musique est une des grandes différences entre un film et un livre. […] À la lecture, je suis arrivé très vite à l’idée de Bach. J’ai pensé qu’il était dans le livre. Qu’il y avait dans le roman cette espèce de tu et à toi avec la transcendance qu’on trouve dans la musique, ainsi que l’espèce de mathématique qu’il y a dans ces variations. J’étais sûr que la musique allait être un dialogue, jouer comme un contrepoint à l’histoire. Que cette musique allait rappeler le raffinement interne du Japon. Ou plutôt de l’idée que l’on s’en fait.[5]

Le cinéaste présente ainsi la tension entre la musique et les problèmes de communication et de différenciation de culture. Nous pourrions également interpréter le choix de la forme musicale comme une transposition de la structure littéraire de répétitions du schéma de la chute sociale d’Amélie. L’autre grande différence du film avec le livre est la présence des dialogues en japonais.

La deuxième partie (de la fin de la page 35 à 57) concerne l’affaire du beurre allégé. Elle détermine les nouvelles relations entre l’héroïne et Fubuki Mori, sa supérieure directe. Elles deviennent ennemies, après une explication orageuse. Cette partie semble le noyau de l’intrigue qui se transforme en un conflit interindividuel symbolique des relations de fascination et d’humiliation de l’héroïne envers le Japon. Cette idée d’une « relation paradoxale », expression utilisée dans le livre, semble se confirmer par les déclarations d’Amélie Nothomb lors d’une interview de Christiane Charette en novembre 1999, sur Radio-Canada :

Christiane Charette - Alors, parlez-moi de Mademoiselle Mori parce que finalement elle est le personnage central de votre livre, après vous.

Amélie Nothomb – Donc, Mademoiselle Mori était ma supérieure directe. C’était une grande et jeune japonaise d’une très grande beauté. […] Ça a été en fait le pire de mes bourreaux pendant l’année entière que j’ai passée dans cette entreprise. Mais ça n’empêche qu’elle a toujours exercé sur moi une véritable fascination. Elle était très intelligente, très belle, très impressionnante. Et on peut dire que dans ce livre, elle va symboliser finalement le Japon et les relations ambiguës que je vais avoir avec cette très belle jeune femme japonaise vont être tout à fait symboliques des relations que je vais avoir avec le Japon lui-même, cette fascination/incompréhension.

Cette deuxième partie correspond au chapitre 5 à 6 du film (de la 31ème à la 43ème minutes.) La troisième partie, de la page 57 à 92 (de la 44ème à la 67ème minutes du film) issue logiquement du conflit entre Amélie et Fubuki, relate l’expérience de l’héroïne dans deux affectations de moins en moins importantes. La scène principale est le délire nocturne de l’héroïne dû à son surmenage. Dans la quatrième partie de la page 93 à 114, l’écrivain présente une réflexion générale sur la condition de la femme japonaise (avec une brève comparaison avec la condition de l’homme japonais) ainsi que le comportement de Fubuki envers les célibataires. Fubuki devient la représentante et la victime des dogmes de son pays. Ce passage n’est pas mis en scène dans le film. Son aspect principal est néanmoins résumé par M.Tenshi pour expliquer à Amélie la délation de Fubuki :

Amélie, avez-vous idée de ce que ça signifie pour une japonaise de 29 ans d’être encore célibataire ? Pendant sept ans, elle s’est vouée corps et âme à son travail. C’est à force d’être irréprochable qu’elle a dépassé l’âge convenable du mariage.[6]

La cinquième partie, de la page 114 à 164, décrit l’ultime emploi de l’héroïne dû à la vengeance de Fubuki. Elle doit nettoyer les toilettes de l’étage. Elle correspond dans le film au passage de la 68ème à la 85ème minutes. L’écrivain et le cinéaste se réfèrent à une scène essentielle entre David Bowie et Ryuichi Sakamoto du film Furyo de 1983 du réalisateur japonais Nagisa Oshima[7] Le paroxysme du conflit qui oppose Amélie à Fubuki est également représenté dans le film par la scène imaginaire de leur duel au revolver, dans les toilettes des femmes. Cette scène est une innovation du film par rapport au livre. Lasixième partie décrit les demandes de démission de l’héroïne en fin de contrat (de la page 164 à 186, de la 86ème à la 98ème minutes du film) et la dernière, sa vie de retour en Europe (de la 98ème à la 100ème minutes du film, au chapitre 12 du DVD.)

La structure du roman est résumée par l’auteur à travers l’emploi d’un comique de disproportion entre ambition enfantine démesurée et mystique de l’héroïne et réalité matérielle de ses expériences adultes successives dans l’entreprise. Ce résumé s’inscrit dans la cinquième partie du livre :

Récapitulons. Petite, je voulais devenir Dieu. Très vite, je compris que c’était trop demander et je mis un peu d’eau bénite dans mon vin de messe : je serais Jésus. J’eus rapidement conscience de mon excès d’ambition et acceptai de « faire » martyre quand je serais grande.

Adulte, je me résolus à être moins mégalomane et à travailler comme interprète dans une société japonaise. Hélas, c’était trop bien pour moi et je dus descendre un échelon pour devenir comptable. Mais il n’y avait pas de frein à ma foudroyante chute sociale. Je fus donc mutée au poste de rien du tout. Malheureusement – j’aurais dû m’en douter –, rien du tout, c’était encore trop bien pour moi. Et ce fut alors que je reçus mon affectation ultime : nettoyeuse de chiottes. (p. 131-132, op.cit.)

Nature et fonctions des comiques

Il existe plusieurs natures et niveaux de comiques. Ils ont un rapport étroit à l’absurdité de la systématisation aveugle des codes ou des fonctionnements hiérarchiques de l’entreprise ou plus généralement de la société japonaise. Ils côtoient même parfois le tragique. L’écrivain utilise aussi différentes fonctions du comique, et en particulier sa fonction de dénonciation. Les principaux comiques employés sont : le comique de répétition, le comique de situation, le comique de disproportion, le comique d’auto-dérision ou d’auto-dénigrement, le comique de délire mystique (décalage entre réalité et plongée dans l’imaginaire.) Tous ces comiques ont un rôle soit de satire, soit de contrepoint aux humiliations de l’héroïne. Le niveau le plus haut du comique passe pour Amélie par le renversement total des valeurs. Comment ces comiques sont-ils mis en scène dans le livre et le film ?

1. Le comique de répétition

Il est présenté dès la première scène de travail d’Amélie. Il découle de l’attitude mécanique de son supérieur M.Saito vis-à-vis du travail demandé, la rédaction en anglais d’une lettre d’invitation insignifiante :

Monsieur Saito lut mon travail, poussa un petit cri méprisant et le déchira :

- Recommencez. […] Mon supérieur lut mon travail, poussa un petit cri méprisant et le déchira : - Recommencez. […] Je passai les heures qui suivirent à rédiger des missives à ce joueur de golf. Monsieur Saito rythmait ma production en la déchirant, sans autre commentaire que ce cri qui devait être un refrain. Il me fallait à chaque fois inventer une formulation nouvelle. Il y avait à cet exercice un côté : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour » qui ne manquait pas de sel. (p.10-12, op.cit.)

L’héroïne est obligée de réécrire indéfiniment la même demande à cause de l’ordre méprisant de son supérieur. Cet exercice rhétorique imposé de manière absurde par M.Saito rappelle à l’auteur un passage célèbre du Bourgeois Gentilhomme de Molière, où le Maître de philosophie, à la demande de Monsieur Jourdain, formule par des tours agrammaticaux la phrase : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. » Par cette référence à cette scène IV de l’Acte II du Bourgeois Gentilhomme, un autre niveau de comique vient se superposer ou s’inscrit en filigrane du comique de répétition d’une même séquence dans le livre d’Amélie Nothomb (travail donné-cri de l’employeur qui le déchire et réécriture de plus en plus délirante d’Amélie.) Ce comique moliéresque tend à ridiculiser l’attitude monomaniaque ou l’idée fixe qui préside aux actions d’un personnage principal. C’est également le cas de l’Avare ou Le Malade imaginaire.

Le film utilise le procédé de l’accélération temporelle par ellipses et reproduit fidèlement la référence intertextuelle du livre par l’intermédiaire de la voix-off (uniquement réservée, dans tout le long-métrage, à la voix de l’héroïne.) Ainsi il ne transpose pas la référence littéraire au Bourgeois Gentilhomme en une référence cinématographique équivalente comme, par exemple, des séquences ou des plans de films comiques. La voix-off permet ainsi au cinéaste une adaptation plus fidèle aux procédés littéraires, par l’utilisation de la citation ou de la quasi-citation. Cette utilisation du comique renverse la notion de hiérarchie car le dominant se retrouve ridiculisé et ainsi dominé.

Ce comique dénonce le sens métaphorique de l’ordre de M. Saito. Il s’agit par ses actions répétées d’asseoir sa domination sur sa nouvelle employée, et de lui montrer la différence hiérarchique qui les sépare. L’héroïne est confrontée à l’impossibilité du dialogue envers son supérieur. Ce problème de communication s’exprime ainsi : « J’eus envie de demander où était mon erreur, mais il était clair que mon chef ne tolérait pas les questions […]. »[8]

Ce comique de répétition se transforme en « calvaire » dans un autre passage du livre et du film par la répétition du schéma : demande de photocopillage de milliers de pages – jet à la poubelle du travail d’Amélie par M. Saito. Ainsi torture morale et humiliation sont fortement reliées au mécanisme du comique de répétition.

2. Le comique de situation

Il est basé sur un comique de disproportion de comportement. Un des exemples, uniquement présent dans le livre, décrit les tentatives outrées de séduction de Fubuki envers des cadres célibataires. Ses réactions sont totalement en décalage avec sa froideur habituelle et son comportement odieux envers Amélie.[9]

Ce comique de disproportion est d’autant plus pertinent qu’il s’inscrit dans l’histoire dramatique d’Amélie fondée sur la disproportion entre ses compétences et les tâches de plus en plus humiliantes que ses supérieurs lui imposent. La disproportion est ainsi un des moteurs du comique et sur un plan plus général l’élément essentiel du fonctionnement tragique de l’intrigue.

3. Le comique par renversement des valeurs

Il est utilisé dans deux moments clés du livre et reproduits dans le film. Ce sont la scène nocturne de délire mystique d’Amélie (produite par sa saturation de vérification de comptes) et surtout sa réaction face à son ultime emploi aux toilettes.

La scène de délire nocturne[10] repose sur un renversement imaginaire de position de l’héroïne. En effet, elle se croit Dieu, après s’être dénudée et débarrassée de son corps par une défenestration mentale. L’humiliation que lui impose Fubuki permet paradoxalement à Amélie d’atteindre la gloire céleste comme Jésus l’a atteinte par la crucifixion :

Fubuki, je suis Dieu. […] Tu commandes, ce qui n’est pas grand-chose. Moi, je règne. La puissance ne m’intéresse pas. Régner, c’est tellement plus beau. Tu n’as pas idée de ma gloire. […] Jamais je n’ai été aussi glorieuse que cette nuit. C’est grâce à toi. Si tu savais que tu travailles à ma gloire ! Ponce Pilate ne savait pas non plus qu’il oeuvrait pour le triomphe du Christ. »[11]

Le comique prend la forme d’une libération du corps par des figures souples dans une danse d’Amélie de bureau en bureau et par une adresse intérieure de délire verbal mystique à Fubuki. L’héroïne met également en scène sa mort par une réécriture comique de l’eucharistie.

Vous devriez visionner le film de la 61ème à la 65ème minutes, au début du chapitre 8. La mise en scène se rapproche de la chorégraphie d’autant plus que le cinéaste choisit la musique de Bach. Sylvie Testud joue avec un regard fixe et sa voix est basse. Elle étreint l’ordinateur de manière sensuelle.

Le comique est utilisé par l’héroïne comme une source de protection intérieure contre la dégradation morale qu’elle subit. Il devient même un instrument pour combattre son humiliation et supporter son nouveau poste de préposé aux toilettes. Le comique de dérision pure ne peut fonctionner pour Amélie qu’après un processus de renversement total de la réalité, des valeurs, des repères d’une norme intériorisée. Ce comique, étroitement lié au non-sens et à l’absurde, acquiert un rôle salvateur et libérateur. Ce passage exprime cette nature et fonction du comique :

Dès le moment où je reçus l’incroyable affectation, j’entrai dans une dimension autre de l’existence : l’univers de la dérision pure et simple. J’imagine que j’y avais basculé par activité réflexe : pour supporter les sept mois que j’allais passer là, je devais changer de références, je devais inverser ce qui jusque-là m’avait tenu lieu de repères.

Et par un processus salvateur de mes facultés immunitaires, ce retournement intérieur fut immédiat. Aussitôt, dans ma tête, le sale devint le propre, la honte devint la gloire, le tortionnaire devint la victime et le sordide devint le comique.

J’insiste sur ce dernier mot : je vécus en ces lieux (c’est le cas de le dire) la période la plus drôle de mon existence qui pourtant en avait connu d’autres. Le matin, quand le métro me conduisait à l’immeuble Yumimoto, j’avais déjà envie de rire à l’idée de ce qui m’attendait. Et lorsque je siégeais en mon ministère, je devais lutter contre de furieux accès de fou rire.» (p.136-137, op.cit.)

Ce comique se nourrit aussi d’ennoblissement de vocabulaire (« siéger en mon ministère », « sceptre » pour brosse à récurer, « promotion » comme mot antiphrastique pour désigner son emploi de dame pipi) et de jeux de mots (comme l’expression « aller au lieu » remplacé par « vivre en ces lieux ».)

L’héroïne utilise le comique comme une arme contre sa tortionnaire Fubuki. En effet, il lui permet de ne pas démissionner et d’entraîner le déshonneur de sa supérieure directe au sein de l’entreprise :

Mon retournement des valeurs n’était pas pur fantasme. […] Il était clair qu’elle [Fubuki] avait tablé sur ma démission. En restant, je lui jouais un bon tour. Le déshonneur lui revenait en pleine figure.[12]

Dans le film, le comique de renversement est uniquement présenté, à la 75ème minute, par l’image d’Amélie marchant dans les toilettes en arborant un grand sourire et en portant de manière allègre des rouleaux de papier toilette. La voix de l’héroïne par l’intermédiaire de la voix-off explique son attitude décalée : « Cette incroyable affectation me fit entrer dans une dimension autre de l’existence : l’univers de la dérision pure et simple.»[13] Ce comique de renversement n’est pas plus développé dans le film. Ainsi le film utilise un procédé de condensation par rapport à l’écrit.

Les structures d’opposition

Deux oppositions semblent structurer le film. La première est l’opposition entre l’emprisonnement de l’héroïne dû au système codé et hiérarchique de l’entreprise et le motif du survol diurne ou nocturne de la ville par Amélie. Cette répétition correspond au motif récurrent de la défenestration mentale dans le livre. Elle est accentuée dans le film par l’adjonction d’un extrait des Variations Goldberg de Bach à chaque survol de la ville par Amélie. Ainsi la répétition musicale est reliée à la libération et à l’évasion de l’héroïne. Ce survol est, par exemple, présent de la 20ème minute 45 à la 20ème minute 59, puis de la 33ème minute 37 à la 33ème minute 50.

La deuxième opposition concerne les rapports d’Amélie au Japon. En effet, le monde de la réalité de l’entreprise moderne s’oppose au monde du Japon traditionnel idéalisé par l’enfance de l’héroïne. Le film utilise ici une innovation par rapport au livre puisqu’il représente ce contraste – et cela dès le début du film – par la répétition d’une séquence présentant l’héroïne enfant (puis adulte, puis avec Fubuki) dans un jardin de Kyoto créé au XVIe siècle. Cette séquence s’oppose à la machine infernale de l’entreprise qui broie Amélie et explique de manière plus imagée la fascination persistante de l’héroïne pour le Japon et sa volonté de ne pas démissionner. La scène la plus forte de cette opposition est le passage du plan d’Amélie dans les toilettes à cette image de l’enfant dans un jardin harmonieux et agencé avec toute la précision et la maîtrise de l’art japonais. Vous visionnerez ainsi le film de la 73ème à la 75ème minutes.

Un passage du livre, repris partiellement en voix-off accentue ce lien de causalité entre souvenirs d’enfance et réactions de l’héroïne face aux tortures de Fubuki :

J’imagine que n’importe qui, à ma place, eût démissionné. N’importe qui, sauf un Nippon. Me donner ce poste, de la part de ma supérieure, était une façon de me forcer à rendre mon tablier. Or, démissionner, c’était perdre la face. […] Je me conduirais comme une Nippone l’eût fait. En cela, je n’échappais pas à la règle : tout étranger désirant s’intégrer au Japon met son point d’honneur à respecter les usages de l’Empire. […]

J’étais consciente de cette injustice et pourtant je m’y soumettais à fond. Les attitudes les plus incompréhensibles d’une vie sont souvent dues à la persistance d’un éblouissement de jeunesse : enfant, la beauté de mon univers japonais m’avait tant frappée que je fonctionnais encore sur ce réservoir affectif. J’avais à présent sous les yeux l’horreur d’un système qui niait ce que j’avais aimé et cependant je restais fidèle à ces valeurs auxquelles je ne croyais plus. Je ne perdis pas la face. Pendant sept mois, je fus postée aux toilettes de la compagnie Yumimoto.[14] (p.133-134, op.cit.)

Cette citation montre aussi le problème de l’intégration d’une étrangère dans une société qu’elle a idéalisée dans son enfance.

Le regard d’une étrangère sur le Japon

1. Les niveaux de racisme

Dans l’interview qu’Amélie donne à Christiane Charette (en novembre 1999), l’écrivain reprend ainsi l’expression de « tragi-comédie raciste » employée par la journaliste :

On peut dire ça, c’est une tragédie comédie raciste, avec une nuance bien évidemment que tous les japonais ne sont pas racistes, c’est comme en Europe aussi, il y a du racisme, mais tout le monde n’est pas raciste. Au Japon, il y a du racisme, même beaucoup de racisme, mais tous les japonais ne sont pas racistes. Mais, en revanche, quelques individus le sont. Elle [Fubuki], par exemple. C’est un racisme assez particulier parce qu’on ne vous dit pas en pleine figure : « Va-t-en sale blanche » mais on vous fait comprendre avec beaucoup de sous-entendus que vous appartenez vraiment à une race inférieure, enfin que vous n’appartenez pas du tout au peuple élu, qui est bien évidemment le peuple japonais.

Dans le livre, différents niveaux de racisme anti-occidental sont présentés.

Le premier niveau du racisme provient des thèses racialistes du XIXe siècle correspondant aux rapports entre race et caractéristiques physiques. Il n’est présent que dans le livre[15] et concerne les remarques de certains cadres japonais concernant l’hygiène corporelle d’un cadre hollandais Piet Kramer. L’écrivain utilise des dialogues très crus. Ces répliques montrent que, pour ses Japonais, un individu représente sa race et qu’il est déterminé par les caractéristiques physiques de son appartenance occidentale. Selon leur logique, l’être ne peut alors échapper ni à son hérédité ni à la sueur malodorante propre à sa race. Ce passage illustre ce racisme :

Il n’y eut plus aucun doute : la transpiration de Piet Kramer puait. Et personne, dans le bureau géant, n’eût pu l’ignorer. […] Quand l’odorant étranger s’en alla, ma supérieure était exsangue. […] Le chef de la section, monsieur Saito, donna le premier coup de bec : - Je n’aurais pas pu tenir une minute de plus ! Il avait ainsi autorisé à médire. Les autres en profitèrent aussitôt :

- Ces Blancs se rendent-ils compte qu’ils sentent le cadavre ?

- Si seulement nous parvenions à leur faire comprendre qu’ils puent, nous aurions en Occident un marché fabuleux pour des déodorants enfin efficaces !

- Nous pourrions peut-être les aider à sentir moins mauvais, mais nous ne pourrions pas les empêcher de suer. C’est leur race. […] si personne n’avait relever le scandale axillaire du Hollandais, elle [Fubuki] eût pu encore s’illusionner et fermer les yeux sur cette tare congénitale de l’éventuel fiancé.[16]

Cette scène raciste s’inscrit dans l’intrigue puisque Mademoiselle Fubuki voulait se rapprocher de ce célibataire. Ce premier niveau de racisme est condamné par l’ironie de l’écrivain : « Les narines de cette dernière [Fubuki] palpitait : il n’était pas difficile d’en deviner la raison. Il s’agissait de discerner si l’opprobre axillaire du Hollandais communiait sous les deux espèces. »[17]

Le deuxième niveau du racisme correspond à la question de la supériorité et de l’infériorité des races, à leur inégalité présentée sous la forme d’une classification des races selon leur intelligence. M.Saito et surtout Fubuki Mori humilient et rabaissent Amélie au nom de la supériorité de la race nippone sur la race occidentale (et même d’un meilleur fonctionnement du cerveau nippon.) Ce racisme est omniprésent dans les répliques de dialogues du livre et du film. Il est relié fortement au culte de l’obéissance prôné par la société japonaise. La première confrontation d’Amélie au racisme de ses supérieurs est due à sa parfaite maîtrise de la langue japonaise. Elle a gêné une délégation amie et M. Saito, furieux, la convoque dans un bureau vide. M.Saito utilise, sans le savoir, une injonction paradoxale puisqu’il ordonne à Amélie d’oublier le japonais. Pour lui, l’ordre rigide doit nier et transcender la réalité, le bon sens et la Raison :

Je le suivis jusqu’à un bureau vide. Il me parla avec une colère qui le rendait bègue :

- Vous avez profondément indisposé la délégation de la firme amie ! Vous avez servi le café avec des formules qui suggéraient que vous parliez le japonais à la perfection ! / - Mais je ne le parle pas si mal, Saito-san. / - Taisez-vous ! De quel droit vous défendez-vous ? Vous avez créé une ambiance exécrable dans la réunion de ce matin : comment nos partenaires auraient pu se sentir en confiance, avec une Blanche qui comprenait leur langue ? À partir de maintenant, vous ne parlez plus japonais. / Je le regardais avec des yeux ronds. / - Pardon ? / - Vous ne connaissez plus le japonais. C’est clair ? […]/ - […] Je vous donne l’ordre de ne plus comprendre le japonais. /- C’est impossible. Personne ne peut obéir à un ordre pareil. / - Il y a toujours moyen d’obéir. C’est ce que les cerveaux occidentaux devraient comprendre. / « Nous y voici », pensai-je avant de reprendre : - Le cerveau nippon est probablement capable de se forcer à oublier une langue. Le cerveau occidental n’en a pas les moyens. / Cet argument extravagant parut recevable à monsieur Saito.[18]

Vous pouvez visionner la scène du film correspondante à partir de la 11ème minute du film. Le visage de Sylvie Testud marque l’incompréhension et l’étonnement, même la stupéfaction, tandis que M.Saito fait des gestes brusques et nerveux.

Ce racisme est aussi présenté comme un instrument ou un support à la jouissance sadique personnelle de Mlle Mori, en particulier lors de la scène de démission d’Amélie.[19] Ce racisme est alors intégré à une relation paradoxale entre les deux héroïnes : haine et jouissance de Fubuki face à Amélie et de fascination, masochisme et incompréhension d’Amélie envers Fubuki.

Le paroxysme de cette relation est présenté par deux procédés dans le film : la scène imaginée par Amélie du duel au revolver (innovation du film) dans laquelle l’héroïne est tuée par Fubuki, et une séquence essentielle du film Furyo d’Oshima de 1983 représentant le supplice de David Bowie dont la tête dépasse du sable. Cette reprise d’un extrait cinématographique reproduit la référence littéraire d’Amélie à ce film japonais. Cette référence s’inscrit, dans le livre, non seulement dans une comparaison que construit l’héroïne entre sa relation à Fubuki et celle des personnages principaux du film, mais également dans la présentation et la condamnation implicite d’un racisme basé ou nourri d’un révisionnisme historique.[20] Ce révisionnisme concerne les aspects sombres de l’Histoire nippone : en particulier les années 30 et la seconde guerre mondiale. Il est ainsi exprimé par Fubuki et dénoncé par Amélie :

Un jour, comme elle se lavait les mains, je lui demandai si elle avait vu ce film. Elle acquiesça. Je devais être dans un jour d’audace car je poursuivis : - Avez-vous aimé ? – La musique était bien. Dommage que cela raconte une histoire fausse. (Sans le savoir, Fubuki pratiquait le révisionnisme soft qui est encore le fait de nombreux jeunes gens au pays du Soleil-Levant : ses compatriotes n’avaient rien à se reprocher quant à la dernière guerre et leurs incursions en Asie avaient pour but de protéger les indigènes contre les nazis. Je n’étais pas en position de discuter avec elle).[21]

Le terme même de « révisionnisme » et la référence historique précise sont absents du film. Ils sont remplacés par une phrase affirmative et sèche de Fubuki jugeant le film : « Malheureusement, l’histoire est mensongère »[22]

Nous vous invitons à visionner les deux procédés du film : la scène du revolver de 1h17 à 1h17 et 47 secondes et la scène d’Oshima et le retour à l’intrigue de 1h22 à 1h25.

2. Présentation d’ordre général de la condition de la femme japonaise

Cette présentation générale est propre au livre. Elle apparaît comme une explication au comportement de Fubuki. Ce passage de la narration d’une expérience personnelle à un mini-essai sociologique (développé de la page 92 à 113), à une réflexion sur les dogmes, les interdits et la structure de la société japonaise confère alors une dimension emblématique à Fubuki. En effet, celle-ci devient la représentante de la femme japonaise. Ce passage du particulier, du singulier au général s’exprime ainsi : « Tout s’expliquait : à la compagnie Yumimoto, Dieu était le président et le vice- président était le Diable. Fubuki, elle, était ni Diable ni Dieu : c’était une Japonaise. Toutes les Nippones ne sont pas belles. […] »[23] Ses réflexions découlent de sa perception de Fubuki : « Ainsi pensai-je en contemplant Fubuki. »[24]

L’énonciation est diverse : on passe d’un « je » personnel à un « je » représentant la voix de la Coutume japonaise, l’instance morale rigide ou la Divinité organisatrice de la société nippone. Ce dernier « je » peut s’illustrer ainsi : « Je ne pourrai jamais énumérer tous tes devoirs, car il n’y a pas une minute de ta vie qui ne soit régentée par l’un d’entre eux. » Ce « je » va s’adresser directement à son public féminin par des commandements. Le « tu » est alors un interlocuteur général. C’est une figure d’énallage personnelle qui renforce ce rapport entre les dogmes moraux et la femme japonaise qui les subit. L’impératif est le temps le plus utilisé du passage. L’une des problématiques majeures de cette société est le rapport entre la volonté de perfection et le suicide. Le suicide est perçu de manière très positive. Selon Amélie Nothomb, la femme japonaise est éduquée dans l’interdiction du rêve, du plaisir, de la jouissance, et dans le culte du travail et de la perfection. Elle n’a pas d’échappatoire. Le système pour les femmes est ressenti comme paradoxal dans le rapport entre travail et mariage. Ce paradoxe douloureux pour la femme japonaise s’exprime ainsi :

Il y avait donc une incohérence dans le règlement prévu pour les femmes : être irréprochable en travaillant avec acharnement menait à dépasser l’âge de vingt-cinq ans sans être mariée et, par conséquent à ne pas être irréprochable. Le sommet du sadisme du système résidait dans son aporie : le respecter menait à ne pas le respecter.[25]

Conclusion

Stupeur et tremblements d’Amélie Nothomb raconte, dans un style vif, cinglant et ironique, une aventure viatique forte vécue comme très violente par l’héroïne, double de l’écrivain.

Le film, malgré sa fidélité au texte littéraire, possède sa propre originalité au niveau structurel, linguistique et musical. En effet, Alain Corneau utilise la répétition des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach comme contrepoint à l’emprisonnement et l’humiliation de l’héroïne dans une entreprise étrangère. La répétition-variation de la séquence présentant Amélie dans un jardin de Kyoto donne un caractère circulaire à la structure du film et s’oppose à la machine infernale moderne de l’entreprise japonaise. Elle explicite aussi le comportement d’Amélie face à ses affectations de plus en plus humiliantes. Le film utilise la langue japonaise dans ses dialogues. Cela tend à mieux illustrer la notion d’étranger et les problèmes « d’intégration raciale » (expression de l’écrivain) ressentis par l’héroïne belge. Dans le roman sont présentés le racisme physiologique présentant la race comme déterminant les caractéristiques physiques de l’individu, le racisme de l’inégalité des races, et le racisme issu et nourri par le révisionnisme historique. Ces trois racismes sont présentés de manière crue, et dénoncés par l’écrivain par le biais de l’ironie et du comique. Dans le film, seul le racisme sur la supériorité et l’infériorité des races est omniprésent, principalement dans des scènes de dialogues entre Amélie et ses supérieurs M. Saito et Fubuki Mori. Ce racisme s’inscrit dans « la relation paradoxale » qu’entretiennent Amélie et Fubuki. Cette relation est symbolique de la relation de fascination et d’incompréhension de l’héroïne pour le Japon.

Bibliographie des œuvres d’Amélie Nothomb (Paris, Albin Michel)

Hygiène de l’assassin, 1992

Le Sabotage amoureux, 1993

Les Combustibles, 1994

Les Catilinaires, 1995

Péplum, 1996

Attentat, 1997

Mercure, 1998

Stupeur et tremblements, 1999 (Prix du roman de l’Académie française

Métaphysique des tubes, 2000

Cosmétique de l’ennemi, 2001

Robert des noms propres, 2002

Antéchrista, 2003

Biographie de la faim, 2004

Acide sulfurique, 2005

Journal d’Hirondelle, 2006

Sur Amélie Nothomb

ZUMKIR, Michel, Amélie Nothomb de A à Z, Portrait d’un monstre littéraire, le grand miroir, 2003.

Amélie Nothomb, authorship, identity and narrative practice, Actes du colloque tenu à Edinburgh en 2001, dirigé par Susan Bainbrigge et Jeannette de Toonder, New York, Peter Lang, 2003

 

Notes de pied de page

  1. ^ Nous utiliserons Stupeur et tremblements, Albin Michel, collection Le Livre de Poche, 1999 ; et le DVD du film : 2003 Les Films Alain Sarde, France 3 Cinéma-Divali Films, en version française.
  2. ^ NOTHOMB, Amélie, Stupeur et tremblements, Paris, Albin Michel, Livre de Poche, 1999, p.22-23.
  3. ^ Idem, p.134.
  4. ^ Les chapitres sont délimités par l’organisation même du DVD. Le premier chapitre est le générique.
  5. ^ ZUMKIR, Michel, Amélie Nothomb de A à Z, Portrait d’un monstre littéraire, le grand miroir, 2003 p.36.
  6. ^ Transcriptions des paroles de M.Tenshi, dans le film.
  7. ^ Ses principaux films sont Contes cruels de la jeunesse de 1960, La cérémonie de 1971 et L’Empire des sens de 1975.
  8. ^ NOTHOMB, Amélie, Stupeur et tremblements, op.cit., p. 11.
  9. ^ Idem, p.106.
  10. ^ Idem, p.82-85.
  11. ^ Idem, p.83.
  12. ^ Idem, p.138.
  13. ^ Transcription du film. Cette phrase est une citation partielle du livre.
  14. ^ NOTHOMB, Amélie, Stupeur et tremblements, op.cit., p.133-134.
  15. ^ Idem, p.111-113.
  16. ^ Idem, p.112-113, souligné par nous.
  17. ^ Idem, p.111.
  18. ^ NOTHOMB, Amélie, Stupeur et tremblements, op.cit., p.20-21.
  19. ^ « -[…] Quelle est d’après vous, l’origine de cette incapacité ?/ La réponse coulait de source. Je m’amusais beaucoup : - C’est l’infériorité du cerveau occidental par rapport au cerveau nippon. / Enchantée de ma docilité face à ses désirs, Fubuki trouva une répartie équitable : - Il y a certainement de cela. Cependant, il ne faut pas exagérer l’infériorité du cerveau occidental moyen. […]», NOTHOMB, Amélie, Stupeur et tremblements, op.cit., p.168-169.
  20. ^ Vous pouvez vous reporter au passage du livre, p.153-156.
  21. ^ Idem, p.155-156.
  22. ^ Transcription de la version française.
  23. ^ Idem, p.92.
  24. ^ Idem, p.103.
  25. ^ Idem, p.105.

Référence électronique

David RAVET, « STUPEUR ET TREMBLEMENTS D'AMÉLIE NOTHOMB », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Septembre 2006, mis en ligne le 25/07/2018, URL : https://crlv.org/articles/stupeur-tremblements-damelie-nothomb