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AU PAYS DE JOULUPUKKI
Voyage dans les traditions de Noël en Finlande et dans la Laponie finlandaise
Noël, neige, froid, le Père Noël et ses rennes : tous ces mots nous renvoient tout de suite aux pays du Nord et, parmi eux, à la Finlande in primis, qui depuis plusieurs années a construit un business commercial sur la figure de Joulupukki, le Père Noël, qui habite la ville de Korvatunturi, près de Rovaniemi en Laponie où, du « parc technologique » bâti sur le Cercle polaire, il se tient en contact avec les enfants du monde entier à travers la poste et Internet. D’ailleurs on est dans le XXIe siècle… Mais l’histoire du Père Noël et des traditions liées aux fêtes de la fin de l’année remonte bien plus loin dans le passé.
La fête de Noël
La solennité chrétienne de Noël a effectivement remplacé les fêtes païennes du solstice d’hiver, qui se célébraient à partir du 21 décembre, surtout dans les pays du nord, traditionnellement liés au culte du soleil. En Suède les solennités commencent déjà le 13 décembre, avec la fête de sainte Lucie et les traditionnelles visites des filles habillées en blanc, menant la lumière dans les maisons des villages. Xavier Marmier, qui voyage en Scandinavie au XIXe siècle et qui consacre une grande partie de sa recherche littéraire aux cultures nordiques, rappelle qu’en Suède Noël est appelé Julnat, « la nuit de la roue », car c’est pendant cette nuit que « la roue du soleil tourne au solstice d’hiver. »[1]
Un autre voyageur du XIXe siècle, Louis Antoine Léouzon Le Duc, connu en France pour sa première traduction française du Kalevala, le poème épique finlandais, visite la Finlande pendant les fêtes de Noël et nous restitue une image très précise des mœurs et des traditions qu’encore aujourd’hui on met en place pendant la période des festivités de la fin de l’année. En particulier, Léouzon Le Duc cite la légende de la naissance des célébrations de Noël :
Une ancienne légende raconte qu’après trente-cinq jours d’obscurité pendant lesquels les habitants du nord étaient restés blottis dans leurs cabanes, ils envoyaient un messager sur la plus haute montagne du pays pour voir de là s’il n’apparaissait pas quelque loueur, présage du prochain retour du soleil. À la nouvelle que l’astre approchait, un frémissement s’emparait de tous les êtres. Hommes, femmes, enfants, vieillards, accouraient pour le saluer ; les morts eux-mêmes secouaient leur poussière, venaient au sommet de leurs tertres funéraires, mêler leur joie à la joie universelle.[2]
La présence des morts n’est pas fortuite : les Lapons craignent les Julhes ou Julhius, les malins esprits de Noël, souvent identifiés avec les esprits des morts, qui pourraient attaquer les vivants et auxquels, par conséquent, on offre de la nourriture près des arbres dans lesquels ils demeurent[3].
L’arbre de Noël
Noël n’est pas Noël s’il n’y a pas un sapin dans chaque maison. Il y a deux possibles interprétations de l’origine de cette tradition, l’une n’excluant pas l’autre : d’un côté, les bougies allumées sur les branches renvoient au mythe de la découverte du feu, l’arbre incendié par un éclair pendant un orage et vénéré/craint par les premiers hommes comme un don des dieux. De l’autre côté il y a une interprétation toute nordique, liée à la mythologie germanique, à laquelle Léouzon Le Duc se réfère :
L’arbre de Noël est probablement un souvenir du frêne “Ygdrasill”, cet arbre du monde célébré par l’Edda, "dont la couronne était humectée par un nuage brillant, source de la rosée, et qui s’élevait, toujours vert, au-dessus de la fontaine d’Urda."[4]
Dans Edda de Snorri Sturluson, Yggdrasill est l’arbre du monde, ce qui permet de mettre en contact le monde des dieux, avec celui des vivants et celui des morts. Son nom signifie « cheval de Yggr », où « cheval » est métaphore d’échafaud et « Yggr » est un des noms d’Odin, car le dieu, à la recherche de la sagesse suprême avait été pendu à cet arbre pour neuf jours et neuf nuits. Urðr est une des sources qui naissent aux pieds d’Yggdrasill et elle produit une argile qui sert à maintenir le tronc de l’arbre toujours mouillé et vivant[5]. L’arbre cosmique est présent dans la tradition finnoise et lapone aussi, sous la forme d’arbre ou de colonne ou d’échelle sur lesquels le chaman monte pour se mettre en contact avec les autres mondes et en ce sens la croyance a été étendue en prenant la forme du sapin de Noël.
L’arbre du monde Yggdrasill
À table !
Léouzon Le Duc est une importante source pour les célébrations de Noël en Finlande ; il habite Helsinki pour deux ans (1842 – 1844), en étant précepteur des enfants d’une noble famille de comtes russo-suédoises. La première année il reste en ville, en participant aux traditions suédoises de Noël, pendant qu’en 1843 il passe Noël à la campagne, à Porvoo (près de la capitale), chez une famille de paysans, en expérimentant l’accueil finlandais. Dans les deux cas, ce qui frappe le plus la curiosité et, on dirait, l’estomac du voyageur est la quantité et le choix des nourritures typiques de Noël. Un marathon qui mérite d’être lue dans les mots de Léouzon Le Duc :
D’abord le jambon de porc. Aux temps païens, on servait un porc entier, le porc de Frey, dieu des moissons. Tous les convives, l’un après l’autre, étendant la main sur la tête de l’animal ornée de bandelettes, s’engageaient par serment à accomplir dans l’année quelque action d’éclat. Aujourd’hui le jambon de Noël n’est plus qu’une occasion de se porter des toasts et de s’adresser des compliments. Après le jambon vient le riz chaud arrosé de lait froid ; puis le Vörtbröd, pain bistré fait avec de la farine de froment et de la bière non fermentée ; enfin le lustfisk. Qu’est-ce que le lustfisk ? Imaginez-vous une merluche dessalée, bouillie pendant trois jours dans une eau de cendres mêlée de chaux vive, et farcie ensuite, avec du poivre, de la moutarde et du raifort : Voilà le lustfisk ! Bien que mon estomac fût habitué déjà à des choses fort excentriques, j’avoue que cette merluche ainsi apprêtée m’effraya un peu ; mais la comtesse m’avait prévenu, et, par politesse, pour son beau-père, qui tenait beaucoup aux traditions, j’en demandait deux fois. Je m’en vengeai, du reste, en noyant le lustfisk sous des rasades exceptionnellement multipliées de vins de France et d’Espagne.[6]
Si le souper suédois prévoit des nourritures traditionnelles mélangées avec quelques innovations apportées de l’étranger, par exemple les boissons (il faut rappeler que le voyageur demeure chez une classe sociale aristocratique), le repas de Noël finlandais est une explosion de tradition, conservée encore aujourd’hui à la campagne et en Laponie. On laisse encore la parole à Léouzon Le Duc :
Dans certains villages de Languedoc on dit du jour de Noël : « C’est le jour où l’on mange tant. » En Finlande, comme d’ailleurs dans tous les pays du Nord, on ajoute : « C’est le jours où il faut boire. » Jamais proverbe n’a été mieux rempli. L’eau-de-vie de grains ou de pomme de terre, la bière, la taaria (petite bière), la Mesi ou Sima (sorte d’hydromel), le vin de myrtilles, de vrais vins achetés à la ville voisine, coulent à flots. On boit jusqu’à l’ivresse. […] Quant aux mets qui figuraient sur la table, ce furent indépendamment du lustfisk et du riz au lait des villes, un jambon d’ours, du lard et du renne fumé, du poisson sec et un quartier d’élan. Pour assaisonnements, le lingon, espèce de baie rouge légèrement acide, et l’åkerbär, petit ananas du Midi. Un immense gâteau se dressait au milieu de plats comme pièce d’honneur : le joulu leipä ou touko leipä (miche de Noël ou de la semence).
Ce gâteau que les Scandinaves appellent Julkusa, Julkage, représente différentes figures suivant l’inspiration ou le caprice des maîtresses de maison. En Suède et en Norvège, on lui donne de préférence la forme d’un animal, surtout d’un porc, en mémoire du porc mythologique du dieu Frey. En Finlande, on le pétrit à l’image de quelque instrument aratoire. En Finlande, d’ailleurs, le gâteau de Noël se rattache aussi aux traditions païennes. Il rappelle le grand pain que les anciens Finnois plaçaient au milieu des tas de grain, le jour consacré à Ukko, dieu du tonnerre et des saisons, pour y être conservé jusqu’aux semailles. Malheureusement, on demeura fidèle à ce souvenir : le superbe gâteau que je regardais avec tant de convoitise, après être resté sur la table pendant tout la période de Noël, c’est-à-dire depuis le 25 décembre jusqu’au 13 janvier, puis suspendu au plafond de la salle, ne fut découpé que le jour où la charrue ouvrit son premier sillon. Tel est l’usage chez tous les paysans finnois. Nous nous dédommageâmes sur une foule de couronnes et de brioches, la plupart rehaussées d’épices et incrustées de fruits sauvages d’un goût savoureux.
On attribue une grande vertu au gâteau de Noël : on le mêle aux semences afin d’en augmenter la fécondité, on en fait manger aux garçons de ferme pour accroître leurs forces et les préserver des maladies ; parfois on en conserve un morceau d’un Noël à l’autre, afin d’avoir toujours sous la main un spécifique infaillible contre tous les maux.[7]
Le Père Noël : histoire d’un mythe[8]
Et le Père Noël ? N’est-il pas le symbole de Noël ? L’homme habillé en rouge, qui amène les cadeaux aux enfants en voyageant sur un traîneau tiré par des rennes est une icône très récente et si l’on veut chercher les vraies origines de cette tradition, il faut remonter de presque 10 000 ans. Dans la philosophie animiste l’Esprit de la Nature est représenté par une figure cornue, l’Herne, avec une forte connotation phallique, esprit de la chasse et de fertilité, et souvent identifié avec le chaman de certaines communautés nomades.
L’Herne dans une gravure du Moyen Âge
En cette optique s’insère la tradition encore vivante en Finlande et en Scandinavie, que Léouzon Le Duc nous décrit en toutes ses particularités :
« Tout-à-coup la porte s’ébranla et l’on vit apparaître une sorte de quadrupède, aux cornes recourbées, à la barbe hérissée, aux pieds crochus. C’était le bouc de Noël, Julbock, souvenir des anciens Scandinaves qui sacrifiaient un bouc à leurs dieux, dans la fête du solstice d’hiver. Ce bouc distribua les cadeaux, les jetant l’un après l’autre au milieu du salon.[9] »[10]
Et la tradition reste dans le nom, car en finlandais le Père Noël s’appelle Joulupukki, de « Joulu », Noël, et « pukki », chèvre.
La culture gréco-romaine a fusionné la figure de l’Herne avec le dieu pastoral Pan et ensuite, dans le contexte nordique, avec le dieu Wodan/Odin. Une icône si païenne doit être tout de suite remplacée par une figure chrétienne et saint Nicolas fait le cas de l’Église, qui superpose les fêtes dédiées à ces divinités avec le nouveau culte. Une autre preuve de cette fusion est la figure de Eckart, le serviteur de Wodan, qui continue à exister en Hollande sous les traits de Zwarte Piet, le valet de saint Nicolas.
Quand les Hollandais débarquent en Amérique en 1626, ils amènent avec eux le culte de Sinter Claes, le patron des marins, vénéré à l’occasion des fêtes d’hiver et, quand la Nouvelle Amsterdam est cédée aux Anglais, la croyance en saint Nicolas reste à New York. Son histoire est mentionnée par Washington Irving dans son Knicherbocker History of New York, qui donne l’idée en 1823 à Clement C. Moore d’écrire le célèbre conte A Visit from Saint Nicholas ; une quarantaine d’années après, l’illustrateur Thomas Nast est chargé de produire des images pour une nouvelle édition du livre de Moore. Nast ne sait pas du tout comment représenter le saint, mais en tant que bavarois il s’inspire des histoires des elfes, en dessinant une figure de gnome effrayant et peu amical, habillé en peaux de bêtes et avec une courte baguette menaçant filles et garçons.
Le saint Nicolas de Thomas Nast
Au cours des années, le Santa Claus de Nast devint un peu plus amical, jusqu’en 1931, quand Coca-Cola™ le choisit comme publicité. Coca-Cola ne pouvait pas faire de la publicité en représentant des enfants qui buvaient, cela étant interdit par la loi. On décida donc de montrer cette figure de bon homme, sympathique et souriant, en train de boire la célèbre boisson. C’est le succès et voilà l’image du Père Noël qui reste dans l’iconographie du monde entier.
Santa Claus dans la publicité de Coca Cola en 1931
Alessandra Grillo
Notes de pied de page
- ^ Xavier Marmier, L’Arbre de Noël. Contes et légendes, Paris, Hachette, 1873, p. 5
- ^ Louis Antoine Léouzon Le Duc, Vingt-neuf ans sous l’étoile polaire – Deuxième série: Le Renne: Finlande, Laponie, Isles d’Åland, Paris, Maurice Dreyfous, 1879, p. 21
- ^ Johannes Scheffer, Lapponia, id est regionis Lapponum et gentis nova et verissima descriptio. In qua multa De origine superstitione, sacris magicis, victu, cultu, negotiis Lapponum, item Animalium, metallorumque indole, quæ in terris eorum proventium, hactenus incognita. Produntur, et eiconibus adjectis cum cura illustrantur, Francofurti, ex officina Christiani Wolffii, 1673, p. 118 (trad. fr. : Histoire de la Laponie, sa description, l’origine, les mœurs, la manière de vivre de ses Habitans, leur Religion, leur Magie, & les choses rares du Païs, Paris, Olivier de Varennes, 1678, p. 89)
- ^ Louis Antoine Léouzon Le Duc, Souvenirs et impressions de voyage dans les Pays du Nord de l’Europe: Suède – Finlande – Danemark – Russie, Paris, Ch. Delagrave, 1886, p. 38
- ^ François-Xavier Dillmann (éd.), L’Edda. Récits de mythologie nordique par Snorri Sturluson, Paris, Gallimard « L’aube des peuples », 1991
- ^ Louis Antoine Léouzon Le Duc, Vingt-neuf ans cit., p. 23-24
- ^ Ibid., p. 98-100
- ^ Voir sur le Père Noël : Tony van Renterghem, When Santa was a Shaman. The Ancient Origins of Santa Claus & the Christmas Tree, Woodbury, Llewellyn Publications, 1995 (trad. fr.: La Fabuleuse Histoire du Père Noël. Origines, légendes et traditions, Paris, Éditions du Rocher, 1996) ; Jeremy Seal, Nicholas: The Epic Journey from Saint to Santa Claus, New York & London, Bloomsbury, 2005 ; Gerry Bowler, Santa Claus: A Biography, Toronto, McClelland & Stewart Ltd, 2005
- ^ « Les cadeaux de Noël s’appellent Julkläpper (de Jul, Noël, et Klappa, frapper), parce qu’il est d’usage de les annoncer en frappant à la porte du salon où sont réunies les personnes auxquelles ils sont destinés. En Finlande, comme en Danemark, en Suède et en Norvège, on fait à Noël des cadeaux en nature, et au jour de l’an, les cadeaux en argent. » (n.d.A.)
- ^ Ibid., p. 22