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RENÉ BAZIN
Un voyageur aux environs de 1900
La notoriété de l’académicien René Bazin a évolué d’un immense succès à un oubli presque complet en moins d’un siècle. Pourtant certains de ses textes résistent bien à une lecture contemporaine critique qui pourrait lui restituer une place, certes mineure, mais honorable dans l’école naturaliste du XIXe siècle.
Il faut tout d’abord rappeler que René Bazin (1853-1932) a été un écrivain très célèbre et l’un des plus lus de sa génération. Alors qu’il n’était qu’un jeune angevin diplômé en Droit, il fut introduit d’abord à la Faculté catholique d’Angers où il devint professeur de Droit criminel en 1882, puis dans le milieu journalistique local, puis national, par son beau frère Ferdinand Bazin, plus âgé que lui de six ans, qui l’avait précédé dans ces deux voies. C’est donc sous forme de feuilleton qu’à 30 ans, en 1883, René Bazin publie son premier roman « Stéphanette » dans un journal local : « l’Union ». Son second roman « Ma tante Giron » paraîtra en 1885 à Paris.
Dès lors, cet écrivain prolifique connaîtra un succès grandissant publiant surtout des romans, mais aussi des essais, des biographies et des récits de voyages, une soixantaine d’ouvrages en tout. Le tirage de certains de ses romans donne une idée de leur retentissement : « La terre qui meurt » paru en 1899 a été tiré à 166.000 exemplaires, « Les Oberlé » (1901) à 200.000, « Le blé qui lève » (1907) à 99.000. Ce succès a été durable puisque les rééditions dans les collections bon marché de Calmann-Lévy atteignent des tirages de plus de 250.000 pour « Donatienne » en 1907, « De toute son âme » en 1908 et « Le blé qui lève » en 1911. Ce succès fut aussi international puisque au total, on relève cent trente et une éditions étrangères de ses romans (et même une en arabe) ; « Les Oberlé » ont été traduit en douze langues, « La terre qui meurt » en onze, « Donatienne » en huit.
Plusieurs fois couronné par l’Académie française, René Bazin y sera élu en 1903, à 50 ans, après l’immense succès du roman « Les Oberlé ». Il y siégera 29 ans, jusqu’à sa mort en 1932. Dès 1934, une thèse de doctorat d’État en lettres modernes « Aspects du mouvement traditionaliste et social dans la littérature française : René Bazin » a été soutenue à l’université de Paris par John Sinclair.
La gloire de cet écrivain l’a placé dans cette sorte d’icône de référence que constituaient « les trois B » (R. Bazin, H. Bordeaux et P. Bourget) pour les milieux traditionalistes de cette époque : celle qui suivit la défaite de 1870, l’affaire Dreyfus et les lois de 1905 de séparation de l’Église et de l’État. Mais on peut penser avec le recul qu’il a été un peu victime de ses admirateurs, presque tous partageant ses positions idéologiques. En l’encadrant, ils l’ont « encagé » en quelque sorte dans l’aspect finalement le plus daté de son œuvre pour un lecteur moderne. En voulant maintenir sa célébrité sur les bases où elle fut édifiée en son temps, ils ont contribué à lui faire une réputation –réductrice et trop univoque- d’auteur clérical, nationaliste, agrariste et finalement très conservateur qui est partiale et qui lui a nui. Un zèle trop partisan autour de sa mémoire aura sans doute, et malheureusement, accéléré la mise au placard, voire le rejet, des écrits de René Bazin, notamment à partir de la Libération où l’évidence du talent de l’écrivain n’a pas protégé son œuvre d’une identification anachronique et trop rapide à l’idéologie du régime de Vichy[1].
À partir des années 60 (qui voient aussi le déclin du catholicisme), cette désaffection d’ordre politique et morale est devenue plus littéraire avec le phénomène de « décristallition mémorielle »[2] analysé par la critique moderne. L’orientation prise par la littérature à partir du milieu du siècle, ses débats et ses valeurs formelles n’ont pu que contribuer à dévaloriser la vision du monde et le style anecdotique et sentimental de René Bazin, désormais classé comme un écrivain régionaliste plutôt mineur et naïvement passéiste, le monde rural et social qu’il dépeint et désire étant définitivement passé aux oubliettes au cours des « trente glorieuses ».
Mais les récits de voyage de René Bazin, dépourvus presque totalement d’intentionnalité moralisante et convenant merveilleusement à son talent de contemplatif et de conteur ouvrent dans son œuvre une « fenêtre » attrayante et souvent très amusante pour un lecteur contemporain et sans préjugé à son égard. Ainsi récemment, une réédition de son récit de voyage en Corse[3] a été particulièrement appréciée des insulaires pour la qualité de ses observations.
Ces voyages sont plus nombreux qu’on ne le pense généralement et leurs récits sont peu connus. Ils se situent pour la plupart entre 1880 et 1920, se déroulant d’abord en France pour des reportages journalistiques ou pour documenter avec précision les paysages et les personnages de ses romans (l’Alsace pour « Les Oberlé », le marais vendéen pour « Madame Corentine »), puis dans des pays mitoyens (Grande Bretagne, Italie, Espagne) ou beaucoup plus lointains (l’Algérie pour la biographie de Ch. de Foucauld). Enfin, au faite de sa carrière, René Bazin a été amené à participer à des déplacements officiels : en Orient pour accompagner le voyage de l’empereur d’Allemagne Guillaume II (en 1898), au Spitzberg (en 1906), puis au Canada (en 1912).
Dans ces récits, croquis peu apprêtés en apparence, mais au fond très soignés, on perçoit un amour de la vie, une curiosité bienveillante, une relation attentive et confiante à la nature qui rapprochent de façon assez inattendue René Bazin de notre époque et de certaines de ses préoccupations. On pourrait même imaginer une réédition, dans les collections dédiées aux récits de voyage qui fleurissent actuellement, d’un choix de ces pérégrinations pour leur intérêt historique, sociologique, mais surtout littéraire : le style en est parfait, le vocabulaire précis, la description, minutieuse et lyrique à la fois, de certains paysages parfois très émouvante. Cet aspect de l’œuvre de René Bazin est injustement méconnu, d’autant qu’on ne peut en retrouver la trace que dans des éditions très anciennes qui ne sont plus sur le marché.
La grande tradition des écrivains voyageurs
La tradition des récits de voyage est très ancienne et très féconde dans la littérature française. La preuve en est l’existence d'un centre de recherche en Sorbonne : « Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages » et, plus récemment, le succès du festival breton « Étonnants voyageurs ».
Schématiquement, on peut distinguer deux veines dans ce genre, séparées par une frontière assez indécise : celle des « voyageurs-écrivains », sans visée proprement littéraire qui racontent leurs observations comme le Président de Brosses (1709-1777) ou, tout près de nous, Nicolas Bouvier (1929-1998) et celle des « écrivains-voyageurs » qui font de la littérature avant tout et dont les plus célèbres sont évidemment Chateaubriand (1768-1848), Stendhal (1783-1842), la cohorte des « Orientalistes » (première moitié du XIXe siècle) ou, au XXe siècle, Blaise Cendrars (1887-1961).
René Bazin, en qui se mêlent les deux traditions, écrit justement à une époque charnière où la littérature romantique, lyrique (Chateaubriand) ou distanciée (Stendhal), s’efface pour laisser place, à la suite de Flaubert et de Maupassant, à l’émergence du naturalisme, à un ton apparemment plus neutre, marqué d’un souci d’objectivité, puis de reportage critique qui ouvre la porte au journalisme. Le développement de celui-ci tout au long du XIXe siècle fera donc très naturellement souvent appel à de bonnes plumes pour des enquêtes et des reportages.
Ce glissement de la littérature au journalisme amènera d’ailleurs ces plumes à devenir plus polémiques que dans des œuvres de fiction, l’exemple le plus connu étant bien sûr celui de Zola. C’est ainsi que l’on peut noter parmi les contemporains « écrivains-voyageurs » de René Bazin, chacun se caractérisant différemment du point de vue politique et de celui du tempérament : Anatole France, Maurice Barrès, Pierre Loti… René Bazin se situant clairement, et d’ailleurs explicitement, du coté des conservateurs.
Les voyages de René Bazin
Ces voyages ont été nombreux et lointains car René Bazin semble en avoir eu une sorte de passion[4], ce qui ne concorde pas avec l’image simplificatrice, évoquée ci-dessus, d’un tranquille écrivain angevin, enraciné dans sa province et son pays avec des romans magnifiant la vie paysanne (« Le blé qui lève », « La terre qui meurt ») ou le patriotisme (« Les Oberlé »).
En effet, tout en étant professeur de Droit, l’écrivain était aussi rédacteur à « l’Etoile », journal légitimiste, ce qui l’introduisit au « Journal des débats » par l’entremise de Ludovic Halévy, puis à « La Revue des Deux Mondes » dirigée par Brunetière. À partir de 1889, ces journaux, ainsi que « Le Figaro », « L’Echo de Paris », « La Gazette de France » l’enverront en reportage. Beaucoup plus tard, à la suite de son élection à l’Académie française, il fera parti de délégations officielles. À partir de 1891 où il publiera « À l’aventure, croquis italiens », René Bazin poursuivra ses voyages et publiera ses carnets et récits plusieurs années de suite dans des magazines ou des journaux, après que ses cinq ou six premiers romans (1884-92) lui aient permis de s’affirmer comme un très bon écrivain français. Mais René Bazin voyageait aussi à titre personnel, pour le plaisir de découvrir des pays et des mœurs ou pour aller voir des amis et des parents, en particulier en Grande Bretagne où il avait des filles religieuses.
Ces voyages ont donc, pour la plupart, donné lieu à des textes soit par leur relation directe comme il vient d’être dit, soit de façon plus diffuse en nourrissant la documentation nécessaire à l’élaboration de romans ou de biographies. Leur motivation évolue donc au cours du temps entre le reportage et le projet romanesque ou biographique. Le tableau synoptique joint en annexe permet de dénombrer quatorze voyages de l’écrivain ayant donné naissance à des publications entre 1889 et 1922, certains courts, d’autres constituant de véritables périples, les uns en Europe mais d’autres, beaucoup plus exotiques, au Proche Orient et même en Amérique du Nord.
Cette petite note s’est basée sur les voyages qui ont fait l’objet d’une publication soit sous forme de feuilletons, soit regroupés, parfois un peu artificiellement, pour être édités[5]. Il existe dans le « Fonds René Bazin », déposé aux archives d’Angers, des « Carnets de voyage » qui couvrent les années 1890 à 1930 et qui restent à exploiter.
Les premiers textes concernent la proche Europe. Il s’agit tout d’abord d’un vagabondage en Italie (1890 à 1893) qui donnera lieu à trois récits : « À l’aventure : Croquis italiens », « Sicile », « Les Italiens d’aujourd’hui ». Ils sont nourris d’observations poétiques et sociologiques. Le récit du voyage en Sicile (avec un itinéraire passant par la Tunisie et Malte) s’aventurera davantage dans le domaine politique en abordant par exemple la question de la Mafia et des célèbres « bandits ». L’écrivain consacrera beaucoup de textes à l’Italie qu’il semble avoir particulièrement aimée[6].
Le voyage en Espagne représente un grand périple de près de deux mois à l’automne 1894 d’abord dans tout l’ouest de la Péninsule (San Sébastian, Burgos, Valladolid, Salamanque, Madrid, Tolède), avec un crochet par Lisbonne, puis dans le sud (Cordoue, Grenade, Gibraltar, Séville…). « Terre d’Espagne » a d’abord paru en feuilleton dans un magazine littéraire bimensuel « La lecture » en septembre 1895. Le récit est construit au fil des lieux et des rencontres ; par petites touches il aborde la vie culturelle, urbaine, sociale, religieuse et politique avec de très intéressants rappels de l’histoire récente du pays.
En 1898, notre auteur, commandité vraisemblablement par « Le Figaro » pour suivre le voyage à connotation assez stratégique de Guillaume II, prendra l’Orient-express jusqu’à la Mer Noire, puis il débarquera à Constantinople pour attendre le passage de l’empereur. De là il ira à Alexandrie par Smyrne, le Pirée et la Crète, puis ce sera Jaffa, Jérusalem, enfin Beyrouth et Damas. Ce voyage, où René Bazin pourra croiser l’empereur à trois reprises, lui donnera l’occasion d’observer les méandres de la diplomatie occidentale au Moyen-Orient à la fin du XIXe siècle, la lutte souterraine entre les religions et les pouvoirs, notamment la concurrence acharnée entre les Russes, les Anglais et les Allemands. Ce voyage est raconté en quelques 70 pages ajoutées de façon tout à fait artificielle à un volume de courtes nouvelles : « Croquis de France et d’Orient » publié en 1899.
En 1913, sous le titre un peu vague de « Nord-Sud », René Bazin va rassembler des récits de voyage en fait assez hétéroclites. En effet, il relate tout d’abord un voyage aux USA et au Canada où il participe (avec Lamy, Rochambeau, Blériot) à la « Délégation Champlain » destinée à honorer des traces historiques de la présence française en Amérique du Nord : la guerre d’indépendance, l’instauration d’institutions religieuses (recueillant notamment des exilés de la suppression des congrégations en France), et surtout la permanence de notre langue et de nos coutumes au Canada.
Ensuite, il s’agit de souvenirs de différents séjours en Angleterre (Norfolk et Yorkshire) où notre écrivain participe à des dîners et des chasses au renard qui lui permettent d’observer les mœurs et la psychologie de l’aristocratie anglaise.
Puis c’est la Corse où René Bazin a circulé, en utilisant toutes sortes de moyens de transport en 1907, observant minutieusement et souvent avec admiration les paysages, les gens du peuple et du « monde ».
Le livre se termine par le récit d’une équipée au Spitzberg à bord de « L’Ile-de-France », avec 184 passagers. Ce grand voyage devient une aventure assez rocambolesque puisque le paquebot s’échoue plusieurs jours au milieu des glaces et que les passagers doivent être transférés sur une île. C’est l’occasion pour l’écrivain d’une observation un peu ironique d’une croisière plutôt mondaine et surtout d’une description émerveillée de paysages de l’antarctique au milieu desquels il est allé longuement se promener seul.
Ces récits de voyage ne sont pas dénués d’intérêt documentaire en ce qui concerne les moyens de transport de l’époque ou les grandes questions que posait alors l’actualité politique (l’expulsion des congrégations, les rivalités commerciales entre les grandes puissances européennes) mais ils valent surtout pour les remarquables qualités d’observation (des paysages comme des humains) de René Bazin et sa capacité à les donner à voir au lecteur avec la précision d’un aquarelliste mais aussi parfois le lyrisme fusionnel d’un vrai poète.
L’intérêt d’une lecture contemporaine de René Bazin demande certes une mise en perspective historique mais suppose aussi un goût pour la langue classique et la capacité de percevoir et estimer l’homme sympathique qui se profile derrière l’œuvre.
Pour éviter tout malentendu, il faut d’évidence à un lecteur d’aujourd’hui une bonne culture historique et littéraire qui lui permette de replacer l’écrivain dans son époque et les polémiques qui la traversèrent. Cet effort de clarification lui permettra tout d’abord de dégager les aspects pittoresques de ces voyages qui gardent beaucoup d’intérêt historique et sociologique ; il lui donnera aussi et surtout un accès plus direct au charme puissant et intemporel d’une écriture de peintre, à la fois élégante et empathique.
1. Le plaisir du texte
La tradition de concision et d’élégance de la langue française, telle qu’elle a été instaurée par les grands écrivains du XVIIIe siècle (Voltaire, Diderot, Rousseau…), a été conservée et transmise tout au long du XIXe siècle naturaliste par Flaubert et Maupassant en particulier. À la fin de ce siècle, René Bazin se situe parfaitement dans ce lignage de même que Anatole France et Maurice Barrès, mais son apport est particulier en ce qui concerne le vocabulaire, les nuances des différents « parlers » et surtout une perception très affinée des couleurs.
Comme les grands écrivains évoqués ci-dessus, René Bazin utilise presque toujours des phrases courtes, à la syntaxe impeccable, dont la compréhension est par conséquent immédiate. Cette clarté ne laisse place à aucune hésitation, ce qui rend la lecture de l’académicien très aisée même pour des enfants ou pour ceux qui ne sont pas familiers des livres, ce qui explique d’ailleurs en partie que beaucoup de ses romans aient été des best sellers.
Mais ce qui pourrait rendre ces textes finalement un peu ternes et uniformes est combattu par la richesse d’un vocabulaire d’une précision remarquable, qu’il s’agisse du nom des plantes et des arbres, de la géographie et de l’habitat, des vocables techniques de l’époque, particulièrement en matière d’agriculture, ou même d’un certain patois local (qui n’est pas sans faire penser à George Sand)[7]. Ainsi nous apprenons que les saules argentés sont appelés des « luisettes » dans le Val de Loire.
Surtout le lecteur averti sent immédiatement un amoureux de la langue qui la maîtrise et la sert dans toutes ses subtilités, notamment en utilisant avec adresse ce que les linguistes appelleront plus tard ses différents niveaux. Notre écrivain se fait l’écho avec une oreille très fidèle des conversations anecdotiques d’un dîner mondain à l’étranger, y compris de leur affectation, comme des réflexions d’un paysan angevin :
« Un homme qui buvait ses cinq barriques par an sans même que les yeux lui bercillent », « C’est vantié ben possible, mais pour le sûr, j’en savons ren » et l’écrivain commente « Quand on a dit vantié cela permet de rêver encore »[8]. Cette sensibilité particulière s’étend aussi aux littératures étrangères puisque le voyage en Espagne est l’occasion d’évoquer quelques écrivains espagnols comme J.-M. de Pereda, connu pour avoir assoupli la rigidité de la langue espagnole en introduisant une langue populaire dans ses romans.
Cependant c’est davantage à un peintre qu’à un musicien que René Bazin fait irrésistiblement penser[9]. Le meilleur de son talent, celui qui survit de toute évidence au passage du temps est là. On est frappé par l’extrême précision apportée à la définition de toutes les nuances changeantes d’un ciel (l’ascension de l’Etna) et de toutes les couleurs qui composent un paysage qu’il soit français ou exotique. D’ailleurs, il dit dans « Nord-Sud »: « Je n’écris pas un livre, mais des notes où le paysage a la plus grande part ». On a souvent parlé d’aquarelliste à propos de cet écrivain, et certes il en a la luminosité (claire ou sombre) :
« C’est enfin la couleur dont je rêvais » (devant le golfe de Porto). « Je sens venir un paysage. Joie des yeux, joie de toute l’âme, je vous devinais déjà » (« En Espagne »). Sa touche le situe généralement entre le virgilien Corot et le naturaliste Daubigny, mais il a aussi sa place, modeste mais réelle, parmi les peintres avant-gardistes de son époque puisqu’il peut faire penser à Signac et aux symbolistes (il cite lui-même Whistler). Son amour de la peinture est d’ailleurs très clairement exprimé à plusieurs reprises : au musée du Prado de Madrid sa description émue d’un Van Eyck se termine : « Ce tableau m’avait pris les yeux ». Cette passion pour la peinture, qui le fera souvent fréquenter les musées au cours de ses voyages, aboutira d’ailleurs à un livre qui lui sera entièrement consacré : « Notes d’un amateur de couleurs » (1917).
Surtout, le lecteur d’aujourd’hui ne peut qu’être frappé par la sorte d’empathie paysagère qui envahit l’auteur devant le maquis corse ou les glaciers du Spitzberg. C’est une relation fusionnelle à la nature, à la fois sensuelle et élégiaque, dont le lyrisme aboutit parfois à de véritables « visions ». Ainsi, la description du surgissement du temple de Ségeste au terme d’une marche assez hasardeuse, par une nuit noire et plutôt terrifiante, prend des accents impressionnants où l’on peut trouver un écho, certes assourdi, de Chateaubriand.
La palette de René Bazin demeure plus prosaïque en général, mais non sans charme. Le récit, jamais encyclopédique ni pédant, fourmille de détails concrets et traduit sa curiosité et même son plaisir à connaître la réalité d’un pays. Il cherche à définir l’atmosphère des villes : « Les villes ont un regard qu’on rencontre tout de suite, sévère ou accueillant…Salamanque est souriante… Burgos ressemble à une veuve très fidèle » (« En Espagne »).
Sur le grand plateau désolé de la Castille « le muletier va n’ayant d’autre ombre autour de lui que celle de son chapeau » (ibidem). C’est ainsi qu’il sait tracer rapidement de petites vignettes emblématiques de la vie populaire espagnole ou italienne. Les danses des bohémiennes à Séville, les fêtes votives en Italie, la journée d’une famille sur une terrasse napolitaine sont racontées avec un sens du rythme (qui vient directement de l’art oral du conte traditionnel) et avec un entrain maîtrisé auquel il est difficile de résister. Les transitions sont souvent remarquables, par exemple lorsque le récit précis, alerte et sans emphase d’une chasse à courre au renard en Angleterre se termine en apothéose par la vision d’un parc à la française au soleil couchant. Après ce galop haletant, l’écrivain offre à son lecteur un point d’orgue ébloui et totalement musical, c’est d’un véritable artiste.
Par ailleurs, cette facilité du récit peut faire naître d’heureuses formules lyriques même dans le registre politique qui ne s’y prête pourtant guère :
« Nos amis d’Orient attendent les frégates de France »[10]
2. L’intérêt historique et sociologique
Les voyages, à la charnière du XIXe et du XXe siècle, qu’ils soient proches ou lointains, n’allaient pas de soi. Les chemins de fer étaient lents (New-York-Washington à 80 km/h) et loin de couvrir tous les territoires. Les automobiles étaient rares et les routes difficiles, les paquebots coûteux et même dangereux (le naufrage du Titanic a eu lieu en avril 1912, soit cinq jours avant l’embarquement de René Bazin pour la croisière au Spitzberg). Les voitures à cheval étaient inconfortables (diligence crevée, aux vitres cassées, traînée par sept mules à 70 km à l’est de Saragosse, landau à deux chevaux en Corse). Les voyages européens de l’écrivain comportaient la plupart du temps de longues marches à pied, accompagnées souvent de guides, par exemple en Italie, en Corse, en Espagne, ainsi qu’en Alsace allemande[11]. Enfin, l’hôtellerie était lacunaire dès qu’on s’éloignait des grandes villes et souvent spartiate.
Il fallait donc, pour entreprendre ces voyages, une organisation de longue main, des moyens financiers non négligeables (ils ont été souvent apportés par les journaux commanditaires) et surtout un solide réseau de relations pour disposer de recommandations donnant accès à des gîtes ou à des sites privés. Le statut social de bourgeois bien introduit dans les milieux journalistiques et, pour ses derniers voyages, la notoriété de l’académicien lui ont certainement beaucoup servi.
Mais dans cet environnement et avec ces contraintes, René Bazin n’a pas du tout la position d’un dilettante et son regard d’observateur avisé va bien au-delà de la contemplation d’un paysage ou d’un ciel. Il cherche à percevoir et à nous traduire l’expression profonde d’un pays et d’un peuple. Ainsi, en Espagne, l’écrivain est fasciné par la tauromachie et ses remarques tranchent avec celles d’autres voyageurs contemporains :
« Les Espagnols n’aiment pas le sang, ils ne le voient pas ; mais ils aiment le jeu terrible qui se joue là, le triomphe de l’intelligence et de l’adresse sur la brute formidablement armée »[12].
À Madrid il écrit :
« L’Espagnol a de beaux usages, il est simple, il est droit, qu’il soit hidalgo ou homme du peuple…. leur noblesse n’est pas à établir, elle s’impose ».
Il qualifie de « jolie courtoisie » l’usage madrilène d’aller saluer une nouvelle famille qui arrive dans une rue par une démarche de voisinage. Il parle de « l’accueil composé d’amitié, de menuet et d’éternité » des fermes québécoises qu’il a visitées en 1912 (en ajoutant toutefois que l’âme du canadien français est « miné par la richesse, l’alcool, la politique et la mortelle Révolution ». Il s’intéresse à toutes les classes sociales et il évoque aussi, avec un amusement assez admiratif, le bal organisé pour sa domesticité chaque année par la vieille aristocratie anglaise, tradition certainement disparue depuis longtemps.
Partout René Bazin manifeste beaucoup d’attention et de sympathie pour les travailleurs des champs, des rues, des ports :
« l’espèce naïve et populaire que j’aime tant ».
Il en fait d’attendrissants croquis :
« Deux enfants et leur mère, vendeurs de ces melons, dont on mange la pulpe, au cirque, et dont on jette la coque aux toreros malheureux, s’étaient entourés de quatre murs de fruits verts, et, étendus au milieu, la tête sur un melon, attendaient le petit jour » (« Terre d’Espagne »).
Mais l’intelligence sensible de l’écrivain, dont on a souligné l’acuité en matière de paysages, maintient vis-à-vis de ce peuple une certaine distance (qu’on appellerait maintenant « paternaliste ») qui la limite (à la différence du regard d’un Maupassant par exemple), encore que certains passages trahissent une sensibilité authentique à l’injustice sociale[13].
Au-delà des aspects pittoresques qui peuvent amuser son lecteur, l’écrivain s’élève à des analyses plus intellectuelles de l’organisation économique, sociale et culturelle d’un pays. On sent qu’il s’est documenté avant de partir, mais surtout qu’il prend des notes précises sur place dont il saura alimenter sans pédantisme son récit ultérieur. Par exemple, il décrit de façon détaillée le système social unique qu’il découvre dans une grande exploitation du Léon :
« Un des rares coins du monde qui ait conservé des mœurs originales »
mais où tout le monde sait lire et où le médecin est payé par tous. Rien ne lui échappe des prix du marché de Séville, du fonctionnement de l’abattoir, des difficultés de survie des pauvres bacheliers de Salamanque. Il découvre à Bilbao l’Espagne industrielle :
« des propriétaires de mines, des avocats, des occupés qui causent de leurs affaires… les hommes qui s’amusent ne vivent qu’à moitié ».
Il a une analyse très critique de l’enseignement et du mauvais niveau de formation en Espagne :
« Un peuple assis dans l’ombre de la tradition : un sommet docte, une bonne moyenne intelligente qui sait fort peu, le néant énorme… ».
Certaines notations sont historiquement très intéressantes, ainsi celles qui concernent la Mafia sicilienne dont René Bazin parle d’un ton léger, comme d’un phénomène pittoresque et restreint, ce qu’il était peut-être encore à l’époque.
Dans ces différents domaines, on peut relever une évolution de plus en plus conservatrice de René Bazin face à l’industrialisation et au modernisme en général. Après le texte admirant les industriels et les hommes d’affaires espagnols, écrit en 1895, il juge dans « Nord-Sud », publié en 1913, que « les cheminées d’usine travaillent à une œuvre de mort » au Canada. Dès 1893-94, la grande misère, le clientélisme et la corruption qui s’ensuit, observées en Corse ou en Sicile, ne l’amènent pas à prolonger ces constats par une réflexion économique et politique sur leurs causes. Ses principes et peut-être certains préjugés s’y opposent, alors que beaucoup de journalistes et d’écrivains contemporains, disposant des mêmes possibilités d’information, abordent très directement ces questions dont on peut dire qu’elles ne s’inscrivaient pas vraiment dans le champ des intérêts et de la sensibilité de notre auteur. Mais sur le plan politique alors que le premier ouvrage de René Bazin, la biographie de Joseph de Maistre, est clairement royaliste, la mort du Comte de Chambord en 1883 et sans doute davantage encore l’encyclique de 1890 appelant les catholiques à se rallier à la République lui fit définitivement abandonner cette position désormais irréaliste et marginale[14].
Mais pour comprendre certaines opinions de René Bazin qui paraissent trop lacunaires et même quelquefois partiales, il ne faut surtout pas oublier le climat de nationalisme militant qui a suivi l’humiliante défaite de 1870. Cela le conduit à une certaine exaltation des caractéristiques supposées du peuple français (les mères et les soldats en particulier), toutes les comparaisons dont ces voyages sont l’occasion, se faisant toujours à l’indéniable avantage de nos compatriotes. Mais il est important de signaler ici l’absence totale d’antisémitisme dans les écrits de René Bazin. Bien que son orientation politique ait pu le faire basculer dans le camp des antidreyfusards, au moment de l’Affaire, il se distingua par sa neutralité et son refus de prendre parti, position exceptionnelle à l’époque et dans son milieu.
Par-delà leurs nombreux aspects pittoresques, certains voyages officiels, en particulier celui au Moyen-Orient en 1898, nécessitent des rappels historiques et provoquent des aperçus politiques. Qu’il s’agisse de l’histoire de la Crète que quitte justement à cette date le dernier soldat turc après deux siècles d’occupation ottomane. Qu’il s’agisse à Beyrouth de l’évocation de l’expédition française pro-chrétienne en 1860 qui scella l’amitié franco-libanaise. Qu’il s’agisse enfin de la rencontre sur le bateau de paysans russes orthodoxes en pèlerinage à Jérusalem… René Bazin en resitue les contextes avec son aisance habituelle. Il s’engage aussi, de façon très intéressante, même pour un lecteur moderne, dans l’analyse de la stratégie géopolitique à l’origine de ce voyage de Guillaume II : Il est venu comme prince protestant installer un temple luthérien à Jérusalem dans un acte de prise de possession et de consécration religieuse.
« Je sentais que tout cela était fait contre nous, contre l’influence catholique et française, contre la tradition, contre le vieux droit et le vieil honneur de chez nous »[15].
L’écrivain note aussi, non sans ironie, la surprenante déclaration de l’Empereur au Sultan de Damas lorsqu’il proclame son amitié pour les trois cent millions de musulmans du monde qu’il considère avec beaucoup de naïveté comme indissolublement liés au Califat de Damas ! Forte contestation des deux cotés !
En Espagne, René Bazin rencontre à deux reprises la reine, jeune régente d’un petit roi né après la mort de son père. Ses interlocuteurs évoquent l’histoire de leur pays en des termes sur lesquels il sait attirer l’attention de son lecteur :
"Nous souffrons encore de cette gloire d’avoir découvert l’Amérique… au XIXe siècle, amis et ennemis nous ont été funestes" (« Terre d’Espagne »).
D’une excursion à Gibraltar, enclave anglaise, il perçoit que la position britannique ne tiendrait pas militairement en cas de conflit.
3. Le portrait au naturel d’un homme sympathique par-delà son image officielle
Du point de vue d’un lecteur d’aujourd’hui que nous avons adopté, l’un des aspects les plus attachant de ces récits de voyages est sans doute le portrait au naturel et presque à son insu d’un homme éminemment sympathique par-delà les commentaires un peu hagiographiques de ses biographes, ce que laisse pressentir d’ailleurs le portrait, pourtant de style assez officiel, qu’en a fait le peintre Maxence en 1904[16].
Nous avons évoqué les conditions parfois difficiles des voyages de l’époque. Il y fallait des qualités physiques et morales dont on peut certainement créditer notre auteur, on les devine en filigrane dans ses récits car il est dénué de toute vantardise. Outre la santé et l’endurance que demandaient de très longues marches (parfois sous des climats extrêmes), il fallait un certain courage pour affronter des solitudes éventuellement périlleuses dans le maquis corse ou les glaces du Spitzberg. Compte tenu de toutes les exigences de pareils voyages à l’époque, il faut créditer ce paisible père de famille nombreuse (huit enfants) d’une certaine intrépidité et d’une curiosité de jeune homme.
Sur un autre plan, les récits de René Bazin témoignent aussi d’étonnantes facultés de disponibilité et de souplesse pour passer avec aisance, comme il le fait, d’une atmosphère à l’autre, de la sauvagerie d’une excursion sur les pentes de l’Etna aux grands salons et aux rituels des châteaux et des chasses du Yorkshire, ou encore lorsqu’il rencontre au Portugal le roi et la reine de ce pays, cette dernière étant une princesse française.
Aux qualités physiques et psychologiques que nous venons d’évoquer, il faut ajouter, beaucoup plus importantes, les qualités morales qui faisaient de notre académicien à la fois un homme de bonne compagnie et un écrivain certes conscient de son talent, mais gardant une bonne distance par rapport à sa célébrité. Il ne semble pas en effet, comme beaucoup, avoir été prisonnier de son image pourtant flatteuse. Pour s’en tenir à notre sujet, dans ses récits de voyage à la première personne, René Bazin ne cherche jamais à se mettre en valeur bien que les circonstances aient pu s’y prêter quelquefois.
On ressent ces qualités humaines surtout au ton des anecdotes qu’il rapporte avec bonhomie et parfois une ironie fine mais jamais acerbe. Bien au contraire, il cherche à nous faire vivre ses affinités et ses coups de cœur. René Bazin était certainement un homme plein de gentillesse sans affectation, gai, prévenant et même parfois facétieux[17], quoiqu’un peu corseté, bien sûr, par les bonnes manières bourgeoises de son temps.
Plus profondément, un lecteur un peu cultivé ne peut pas demeurer insensible à la sensualité qui affleure presque constamment dans ses descriptions de la nature et davantage encore dans celle de certains personnages rencontrés, en particulier les femmes (du peuple ou du monde[18]). Cet amour discret mais fort de la vie sous toutes ses formes, qui ne va pas sans une certaine ingénuité et que l’auteur ne cherche jamais à exploiter pour racoler l’intérêt du lecteur, est l’un des charmes les plus puissants et les plus intemporels de René Bazin. Cet aspect de son écriture pourrait, à lui seul, renouveler et rajeunir sa réputation et lui valoir un public plus large que celui, régional et traditionaliste, qui est le sien depuis la dernière guerre.
À l’évidence, René Bazin est davantage un naturaliste, comme presque tous les romanciers de son temps, qu’un analyste et encore moins un polémiste. Bien que les idées qu’il défend, avec une indéniable sincérité, s’y prêtent assez logiquement, il ne montre aucun dogmatisme, aucun sectarisme pour les faire partager dans ses récits de voyage. La grande bienveillance qu’il éprouve vis-à-vis de ses semblables l’éloigne constamment d’une attitude de procureur. Bien au contraire, il fait preuve, en dernière analyse, d’une tempérance humaniste qui est sans doute le véritable reflet de sa personnalité sereine. Il a certes des convictions profondes, dont il ne fait jamais mystère, mais sans intransigeance. Son humour peut-être et surtout son bon goût et son sens bien ligérien de la mesure lui font éviter le radicalisme vers lequel on a parfois cherché assez maladroitement à tirer son œuvre pour en prolonger, après sa mort, l’influence morale et politique.
En revanche, le sens et le respect de la nature que l’on sent à chaque détour de ses voyages pourrait en faire une sorte de précurseur des écologistes d’aujourd’hui. Ainsi, bien qu’il soit lui-même chasseur dans son Anjou natal, on sent une certaine réticence chez notre auteur devant le carnage des animaux à peau et à fourrure auquel se livrent, à grands frais, certains participants hystériques de la croisière dans le Grand Nord.
En conclusion
Une lecture moderne mais bienveillante et non prévenue de René Bazin ne lui attribuerait sans doute plus la qualification de « romancier de la vraie France » qui fut le titre d’une biographie rédigée en 1936, quatre ans après sa mort, dans l’aura persistante de sa gloire.
Actuellement, l’écrivain peut certainement nous intéresser davantage par ses qualités d’artiste[19] et même d’homme de cœur que par ses positions intellectuelles, morales et politiques très marquées par les conflits entre la République franc-maçonne et laïque et l’Eglise traditionnelle dont il fut un peu le porte drapeau. Cet affrontement explique d’ailleurs à la fois que son élection à l’Académie française en 1903 fut vécue par beaucoup de catholiques légitimistes[20] comme un succès de leur parti, mais aussi que cette élection ne fut acquise qu’à la troisième candidature. Par ailleurs, René Bazin fut nommé Chevalier de la Légion d’Honneur en 1900, mais le grade d’Officier demandé en 1918 par le conseil d’administration de la Société des Gens de Lettres, lui fut refusé par Barthou (président du Conseil) car il était considéré comme un adversaire de la laïcité ; il n’obtint la rosette qu’en 1918.
Ces épisodes sont maintenant définitivement dépassés et la stature de l’écrivain, dépouillée des circonstances historiques qui ont beaucoup fait pour sa gloire en son temps, demeure digne d’intérêt pour un nouveau public sensible au riche courant naturaliste du siècle dernier sur le plan littéraire, à l’authenticité de la relation de l’homme à la nature sur le plan moral et artistique.
En effet, nous l’avons dit, René Bazin n’était pas un intellectuel mais un artiste. Évalués à cette aune, certains de ses écrits méritent toujours d’être lus, autant que ceux d’un Maurice Genevoix ou d’un Alphonse Daudet par exemple, en la compagnie desquels il serait plus juste de le placer maintenant que dans celle des polémistes antirépublicains de son époque.
Pour demeurer sur le terrain de l’art, et plus précisément de la littérature, on peut aller plus loin et se demander si le positionnement idéologique de l’écrivain, tellement à l’unisson de son époque et de son milieu, orientant toute son œuvre, n’a pas contraint et limité un grand talent qui pouvait lui faire dépasser cet environnement immédiat et atteindre l’universel, lui conférant l’envergure d’un « classique ». C’est à cette interrogation et presque à ce regret que conduit la lecture de ces récits de voyage qui échappent, eux, presque entièrement aux visées morales et politiques de l’œuvre romanesque ou biographique.
Anne René-Bazin et Nicole Lebel
Association des amis de René Bazin
Notes de pied de page
- ^ Aux causes de cette descente au purgatoire de René Bazin, il faut ajouter le succès ambigu du premier roman « Vipère au poing » de J. Hervé-Bazin. En effet, l’homonymie apparente des deux auteurs, qui pouvait faire croire à une filiation plus directe (Jean Hervé-Bazin n’était que le petit neveu de René Bazin), accentuait le parfum de scandale d’une dénonciation par le plus jeune de la cruauté froide des familles bourgeoises traditionnelles dont l’aîné avait justement illustré les vertus dans beaucoup de ses écrits. La parution de ce roman en 1948 a donc contribué à renforcer la caricature de l’oncle en bourgeois bien-pensant et définitivement démodé.
- ^ Cette terminologie scientifique se réfère au phénomène inverse de la « cristallisation » par lequel Stendhal caractérise le fait de tomber amoureux (ici l’engouement pour un auteur) : le plus petit événement nourrit et renforce sans aucune objectivité le sentiment positif ou négatif qu’inspire une personne ou, en l’occurrence, une œuvre.
- ^ « Promenade en Corse » – Éditions C. Latour – Mars 1999
- ^ Peut-être initiée par un voisin et ami de la famille, Théodore Pavie, professeur au Collège de France, grand voyageur et dessinateur.
- ^ Il s’agit de « Sicile » (1893), « Terre d’Espagne » (1895), « Croquis d’Orient » (1899), « Nord-Sud » (1913), et « Paysages et pays d’Anjou » (1926) pour des promenades quasi domestiques. « À l’aventure : croquis italiens » (1891) et « Les italiens d’aujourd’hui » (1894) n’ont pas été pris en compte dans cette rapide étude, mais pourraient l’étoffer par la suite.
- ^ Au point qu’il rapportera de Florence la reproduction d’une faïence de Della Robia (l’aîné) « La vierge aux raisins », qu’il fera sceller sur la façade sud de sa maison angevine, l’original étant à la National Gallery de Washington.
- ^ N’oublions pas que René Bazin, du fait de sa santé délicate, a passé une partie de son enfance à la campagne.
- ^ « Paysages et pays d’Anjou » – 1926
- ^ Il faut d’ailleurs noter que, dans sa jeunesse,René Bazin avait pensé s’adonner à la peinture et que ses carnets de voyage s’agrémentent de nombreux croquis.
- ^ « Croquis de France et d’Orient » Calman-Lévy – 1899
- ^ où le Dr Bucher, fondateur du Musée Alsacien ainsi que le marqueteur Spindler se mirent à sa disposition.
- ^ « Terre d’Espagne » – Calmann-Lévy - 1894. C’est bien là aussi une réflexion de chasseur, comme son enthousiasme à découvrir la chasse aux oiseaux dans les marais du Guadalquivir.
- ^ Il écrit à propos de la plage de San-Sebastian : « Dès le matin, les couples de boeufs qui traînent les cabines de bain sont descendus sur la plage, et ont commencé à remonter les petites boîtes à rayures brunes, bleues ou rouges…Une servante s’est baignée, dans l’eau frangée à peine d’écume blanche. Elle y est restée longtemps, riant d’être libre, battant la mer de ses deux bras superbes. Quand elle est sortie, les jambes nues, vêtue d’une jupe écarlate et d’une chemise, et ses cheveux noirs dénoués, elle avait l’air de la Jeunesse qui vient. Elle s’est arrêtée au bord ; elle a renversé un peu la tête pour regarder toutes ces maisons de riches, dont les miradors vitrés étincelaient au soleil nouveau : ses yeux noirs ont cessé de sourire ; elle a repris conscience de la vie et je ne l’ai plus vue……Alors, les baigneurs de la société élégante sont arrivés… » « Terre d’Espagne » – Calmann-Lévy – 1894.
- ^ Notre auteur, on le sait, catholique fervent et militant, a toujours tenu la ligne d’une fidélité absolue aux directives des papes.
- ^ « Croquis de France et d’Orient » Calmann-Lévy p. 385
- ^ Ce peintre, célèbre en son temps était un élève de Gustave Moreau et une expositions qui lui a été récemment consacrée au Musée des Beaux-Arts de Nantes rend justice à son œuvre.
- ^ La légende familiale veut que ce petit homme amusât les siens, le soir, en franchissant à saute-mouton les fauteuils du salon.
- ^ Dans ce domaine, René Bazin n’échappe pas à certains clichés de son époque et de son milieu quand il note que les femmes de sa société, ont « des mots heureux ou « disent les choses joliment ». En revanche, il a l’intuition que la civilisation américaine donnera jour à des créations artistiques spécifiques, en particulier par la médiation des femmes cultivées, ce qui est prémonitoire quand on pense au rôle des égéries américaines dans la carrière des peintres français du XXe siècle.
- ^ D’ailleurs en le recevant à l’Académie française, Brunetière s’exclamait : « Vous êtes peintre et vous êtes poète, vous resterez peintre et poète ».
- ^ Le courant démocratique et social du catholicisme n’avait pas encore émergé, notamment à la suite de l’encyclique « Rerum novarum », et les plumes remarquables que furent au service d’une foi plus moderne celles de P. Claudel et de F. Mauriac ne s’étaient pas encore exprimées.
Référence électronique
Anne RENE-BAZIN, « RENÉ BAZIN », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Septembre / Octobre 2011, mis en ligne le 10/08/2018, URL : https://crlv.org/articles/rene-bazin