Voyage au pays des roubles via Munich et Berlin par un militaire français

«Les ouvrages sur la Russie ne manquent pas. Ont-ils épuisé la matière? Loin de là. Ce n'est pas un volume, c'est une bibliothèque entière qu'il faudrait écrire pour raconter tout ce qui se passe en un seul jour dans l'empire russe. En effet, quatre-vingt millions d'hommes, en voie de réforme, fournissent des sujets d'observation à l'infini. L'aspect du tableau change, d'ailleurs, avec une mobilité surprenante. Ceux qui ont vu la Russie, il y a trente ou même vingt ans, ne la reconnaîtraient plus aujourd'hui. Sans être promus à la quatorzième classe [sc. grade d'officier au service civil], les paysans tranchent d'égal avec les seigneurs, et ne se rangent plus sur leur passage. En bas le sang coule encore (de par les verges); en haut l'injustice n'a pas cessé de régner; mais déjà la lutte est engagée entre les hommes de guerre qui détiennent le pouvoir et les hommes de science qui le leur disputent. Une fois encore, les armes céderont à la toge. Une grande part de ce résultat reviendra aux universités russes qui jettent, bon an mal an, dans la circulation une dizaine de mille esprits éclairés dont beaucoup se croient appelés à combattre la routine et les traditions surannées. Autre signe des temps, le rouble commence à rivaliser de puissance avec l'autocrate qu'on vénère tant, parce qu'il peut donner beaucoup. Aussi ai-je intitulé ce livre Voyage au pays des roubles, au lieu de l'intituler: Voyage dans l'empire des tsars»(1877, 2e éd./I-II).