Conférences du Séminaire du Professeur François Moureau
Avant l'invention tardive de l'écrivain-voyageur au cours du XIXe siècle, le "relateur" n'est jamais un voyageur "pour le plaisr", ce qu'un néologisme britannique appellera vers la fin du XVIIIe siècle un "touriste". Le voyage et sa relation ont une fonction "utile" pour reprendre un adjectif de Baudelot de Dairval ("De l'utilité des voyages", 1686) donnant des conseils aux "savants" de son époque en quête de belles "antiquités". Missionnaires, diplomates, archéologues, naturalistes, ethnologues plus ou moins conscients voient dans la relation de voyage un discours spécialisé qui doit faire volontairement l'impasse sur l'anecdote au profit d'une mise en forme d'un simple fragment du réel justifiant cette entreprise d'écriture. Le voyage savant se donne des oeillières pour mieux voir. Mais c'est aussi la condition pour avoir l'impression, peut-être illusoire, de dominer l'infinie variété du monde. Dans les décennies de l'âge moderne où se développe la science expérimentale et "l'autopsie" personnelle qui se substitue à la vérité d'autorité, la relation savante témoigne pour sa part de ce déchirement et de cette remise en question. Le texte lui-même offre l'occasion de vérifier la marche de "l'esprit humain" dans cette rhétorique oscillant entre discours lettré et paradoxes du réel.