Le voyage, considéré comme l’adjuvant des progrès de l'art médical, était bien reconnu par les anciens. Dès Hippocrate (Ve-IVe s. avant J.-C.) s’affirme l'importance du voyage pour la formation de médecins. À partir de la Renaissance, le renouvellement des études médicales amène de nombreux médecins à se former dans les universités européennes. La littérature théorique sur le voyage, qui commence à se développer au XVIe siècle et qui donnera naissance à "l’art de voyager ", est étroitement liée à ces voyages vers les universités européennes. En s’appuyant sur une pratique bien enracinée dans la profession, les médecins de la Renaissance ont joué un grand rôle dans ce mouvement de définition de l’art de voyager. Cet intérêt pour le voyage de la part des médecins ne cessera pas aux siècles suivants, bien au contraire.
L’importance des voyages scientifiques aux XVIIIe et XIXe siècles a fait l’objet de nombreuses études. Toutefois, bien que la contribution des médecins à ce mouvement de découverte, d’étude ou de formation ait été relevée par la plupart des auteurs, les différents aspects du voyage médical n’ont pas retenu, de la part des chercheurs contemporains, l’attention qu’ils méritent. En effet, la catégorie de médecins voyageurs a souvent été assimilée à la masse des savants naturalistes. Cette assimilation n’est que très partiellement pertinente.
En effet, elle semble oublier que, dans cette période, on assiste à l'émergence dans le domaine médical d'un processus de transformation profonde et durable, qui débouche sur un nouveau style de pratique, un nouveau regard médical, une manière inédite de concevoir la maladie, son déroulement, son issue. De même, à terme – sans doute encore distant – vont se jouer de nouvelles modalités d’envisager la thérapeutique. Cette médecine, supposée s’appliquer systématiquement au lit du malade, et révolutionner de la sorte la pratique médicale au XIXe siècle, se double d’une révolution sur le plan institutionnel également, mais dont le dévoilement lui aussi n’est sans doute pas toujours et partout immédiat. L’organisation même de l’hôpital, son architecture, ses fonctionnalités multiples, son rôle social et culturel vont eux aussi subir de profondes mutations : l’hôpital asile, ou hospice, est peu à peu entraîné dans une dynamique visant à l’établissement d’institutions vouées de plus en plus exclusivement aux soins, à la spécialisation (comme les cliniques médicales, les maternités, les asiles d’aliénés, …). Là encore, ce qui semble en être l’issue inéluctable, l’hôpital médicalisé actuel, mettra un temps très long à s’imposer, de même que, à la faveur de mouvements complexes, l’émergence de la faculté de médecine moderne, visant à l’unification professionnelle et à la systématisation de l’enseignement médical.
Ainsi, cette présentation cherche à apporter une lecture différente de l’étude des aspects proprement médicaux des voyages dans la période qui va de la fin des Lumières à l’époque romantique, époque qui voit le développement de la médecine anatomo-clinique. Elle essaie de dégager une catégorie spécifique à l'intérieur de celle plus générale des voyages savants : les voyages médicaux, en entendant par là les voyages entrepris dans le but, soit de perfectionner une formation médicale, soit de collecter des observations pour contribuer à l’avancement des connaissances médicales. Elle évoque également l’influence que la pensée de cette période a eue sur la pratique des voyages médicaux pendant la première moitié du XIXe siècle. L'exposé, qui part de la théorie pour ensuite l’illustrer à travers l’étude d’un cas, met en évidence deux aspects fondamentaux qui caractérisent la pratique du voyage médical dans ces années : l’un de type éducatif, qui continue en quelque sorte la tradition classique et celle du Grand Tour pédagogique européen ; l’autre, plus novateur, s’encadre dans une perspective heuristique visant à donner à la médecine une fonction dynamique dans le processus de connaissance du réel, et aux médecins un rôle actif dans la construction d’une société plus soucieuse du bien être de l’humanité.
Cette réflexion est basée essentiellement sur l’analyse et la mise en parallèle de deux textes genevois inédits et pratiquement inconnus jusqu’à ces jours.
L’un a une orientation théorique. Il s’agit d’un mémoire d’une trentaine de pages, rédigé entre1806 et 1810, par Louis Odier (1748-1817), le plus célèbre médecin genevois de l'époque napoléonienne. Cet écrit, conservé dans les archives de l’Académie des Sciences de Paris, traite de l’importance des voyages médicaux et viens d'être publié dans son intégralité dans le livre Médecins-voyageurs (cf. bibliographie). L’autre texte, représente, du moins en partie, la réalisation pratique de cette théorie. Il est constitué de 54 carnets manuscrits (composés de plus de 4000 pages et des 350 dessins) contenant le récit du voyage médical en Europe effectué par un autre genevois, le jeune médecin Louis-André Gosse (1791-1873) entre 1817 et 1820. Ils sont conservés à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève.
Mots clés : voyage, médecine, histoire, sciences, pédagogie, Genève, France, Europe
Bibliographie
Pour une bibliographie exhaustive sur le sujet voir :
Daniela Vaj, Médecins voyageurs. Théorie et pratique du voyage médical au début du XIXe siècle d'après deux textes genevois inédits, avant propos de Vincent Barras, Genève, Georg Editeur, Bibliothèque d'histoire de la médecine et de la santé, 2002, 376 p.; 208 ill. 6 cartes.
Sources citées
Manuscrits
Musée d’histoire des sciences de Genève
MHS 29, Odier, Louis, Mémoire sur les voyages médicaux, lu le 3 may 1806.
Archives de l’Académie des Sciences de Paris
Dossiers des séances, séance du 18 février 1811
Odier, Louis, Mémoire sur les avantages qu’on retireroit en France d’une fondation analogue à celle du Dr. Radcliffe pour l’entretien de deux médecins voyageurs, et sur les meilleurs moyens d’organiser cet établissement. Présenté à la classe des sciences Physiques et Mathématiques de l’Institut National, par Louis Odier, Docteur en Médecine, Professeur de l’Académie Impériale de Genève, Correspondant de l’Institut, et membre de plusieurs sociétés savantes, Genève, juin 1810; 26 folios non numérotés.
Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève
mss. fr. 2673-2677 et ms. fr. 2679, Gosse, Louis-André, Carnets du voyage en Europe (1817-1820).
Imprimées
Zwinger Theodor, Methodus apodemica in eorum gratiam, qui cum fructu in quocunq ; tandem vitae genere peregrinari cupiunt, Basileae, 1577.
Bartholinus, Thomas, De peregrinatione medica tractatus, Copenhagen, 1674.
Frank, Johann Peter, “ Oratio Academica De Medicis Peregrinationibus quam Die 15 Iunii 1792 publice recitavit ”, in Delectus opusculorum medicorum antheahac in Germaniae diversis academiis editorum, XI, Ticini, 1792, pp. 357-382.
Odier, Louis, Extraits d’un ouvrage du Dr. Alexandre Flajani de Rome (sur les établissemens publics, relatifs à la Médecine), Genève, 1811.
Monfalcon, Jean Baptiste, article Médecin dans Dictionnaire des sciences médicales, par une société de Médecins et de Chirurgiens, Paris, C. L. F. Panckoucke (éd.), 1819, pp. 279-380.
Marchant, Léon, Voyage, dans Dictionnaire des sciences médicales, par une société de Médecins et de Chirurgiens, Paris, C. L. F. Panckoucke (éd.), 1822, pp. 383-399.
Speranza, Carlo, Della medica peregrinazione; discorso inaugurale per la Laurea in medicina detto nel giorno 3 giugno 1830 dal Cav. Carlo Speranza, Professore nell’Università di Parma, ecc.”, in Annali Universali di Medicina, LXV, Fascicolo 194, 1833, pp. 225- 246.
Frank, Joseph, Lettera di Giuseppe Frank ai chiarissimi signori compilatori del giornale delle scienze mediche di Torino sui viaggi d’istruzione medica extrait du Giornale delle scienze mediche di Torino, agosto 1839, 23 p.
Sava, Roberto, Sui pregi e i doveri del Medico, Milan, Martinelli e C., 1845.