TROIS « VOYAGEUSES EN ORIENT »

TROIS « VOYAGEUSES EN ORIENT »
Les précurseures francophones[1]

 

Il nous semble intéressant de revenir ici sur les débuts d’une tradition historique, littéraire et culturelle, « le voyage en Orient des femmes », qui s’est développée surtout au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, à travers les textes de trois écrivaines-voyageuses d’expression française, qui restent assez méconnues : la comtesse de La Ferté Meun (1821), la baronne Wolfradine de Minutoli (1826), d’origine polonaise, et Ida Saint-Elme (1831)[2]. La première a voyagé en Asie Mineure et les deux dernières en Égypte, avec également, pour Saint-Elme, une étape à Alger, où elle arrive en novembre 1830, quatre mois seulement après le débarquement français.

De nombreuses chercheuses ont analysé la littérature du voyage au féminin du XIXe siècle comme une « gendered production », située aux croisements des discours idéologiques d’impérialisme, de féminité, et de féminisme ambiants[3]. Il s’agit souvent de montrer de quelle manière les récits de voyageuses peuvent être considérés en marge de - ou de façon alternative à - la thèse célèbre  et controversée d’« orientalisme », proposée par Edward Saïd[4]. Nous nous proposons d’examiner les influences du genre (gender) sur ces textes précoces, avant la « normalisation », voire la « codification », des discours idéologiques que nous venons de mentionner. Nous rappelons que le voyage et son écriture restaient des domaines surtout masculins au XIXe siècle[5]

Pouvons-nous dégager, chez ces pionnières, des particularités propres à un regard et/ou à une écriture - ou des stratégies d’écriture - spécifiquement féminin(s)? Par ailleurs, être femme permet à ces voyageuses d’accéder aux lieux réservés aux femmes (harems, bains), ce qui leur confère une expérience particulière par rapport aux voyageurs-hommes. Comment exploitent-elles cette possibilité ? Peut-on noter, de la part des voyageuses occidentales vis-à-vis des femmes rencontrées, une solidarité de genre ? Quelle place faut-il accorder aux autres discours de la différence (socio-culturelle, de classe, d’ethnicité) dans les représentations de l’altérité culturelle féminine ? Pouvons-nous dégager de ces textes des signes précurseurs des récits de voyageuses qui viendront plus tard dans le siècle ?[6] Ces auteures manifestent-elles une volonté d’inscrire l’écriture du voyage au féminin dans une tradition spécifique ?

Il faut remonter au XVIIIe siècle et aux Lettres dites « de l’ambassade turque » de l’anglaise Lady Mary Wortley Montagu (1689-1762) pour trouver la fondatrice du genre laïque du récit de voyage en Orient au féminin[7]. Publiées à titre posthume à Londres, en 1763, avec une traduction française la même année, et de nombreuses rééditions, ses Lettres célèbres furent le fruit de son séjour d’une année à Constantinople, quarante-cinq ans plus tôt, du mois d’avril 1717 au mois de juin 1718, lorsque son mari fut nommé ambassadeur auprès de la Sublime Porte. Son ouvrage, dans lequel elle revendique notamment l’authenticité de son regard de femme sur le monde féminin turc fermé aux voyageurs hommes, va servir de modèle ou de contre-modèle pour les voyageuses postérieures[8].

1. La comtesse de La Ferté Meun « sous l'influence des Mille et une Nuits »

Une centaine d’années après Lady Montagu, la comtesse de La Ferté Meun (1759-1838) a séjourné à Constantinople où elle accompagnait son gendre, le duc de Rivière, nommé ambassadeur de France. Elle a cinquante-six ans lorsqu'elle part en voyage en 1816, et soixante et un ans au moment de la publication en 1821 de ses Lettres sur le Bosphore ou relation d'un voyage en différentes parties de l'Orient pendant les années 1816 à 1819. Cet ouvrage est le premier exemple que nous ayons trouvé d'un récit de voyage en Orient écrit par une femme française[9]. La similitude de la situation et la forme épistolaire nous laissent croire que La Ferté Meun s’est inspirée de sa devancière célèbre à la cour ottomane.

Dans sa préface, l’auteure indique que ses lettres furent destinées à un homme anonyme qui lui demande la permission de les publier. Elle nie en outre toute volonté et toute responsabilité de publication, de même que toute qualité d'écrivaine, ce qui contraste avec l’autorité de la parole de Montagu, qui était déjà une femme de lettres reconnue au moment de partir pour Constantinople. D’autres voyageuses vont ressentir le même besoin de justifier leur voyage et l’écriture de celui-ci, domaines auparavant masculins[10], par des préfaces où elles se livrent à une auto-dévaluation de leur récit. Celle de La Ferté Meun mérite d'être citée :

...puisque vous croyez que mes observations et mes historiettes peuvent un moment intéresser le Public, je vous laisse tout à fait le maître de disposer de ma correspondance ; mais n’oubliez pas que je ne suis point auteur, que je ne veux point l’être ; que j’ai écrit pour vous seul des observations dont tout le mérite est d’être exactes et recueillies sur les lieux ; qu’enfin j’ai causé avec vous, et que je ne dois pas être jugée sur des prétentions qui sont loin de moi.

Mme de La Ferté Meun « fait grâce » des descriptions des monuments connus, « on les trouve dans presque toutes les relations des voyageurs qui ont écrit sur Constantinople », pour laisser la place aux descriptions de la vie mondaine à Constantinople : audiences de l'ambassadeur à la cour ottomane, cérémonies et fêtes musulmanes et chrétiennes. Elle se sert des événements, comme la peste ou les incendies, pour encadrer des anecdotes inspirées par les décors et les thèmes des Mille et une Nuits. Il s'agit souvent d'intrigues moralisatrices qui montrent la force de la religion et de l'amour, à travers des portraits romanesques de femmes ottomanes mais aussi européennes. On remarque que les rencontres véritables avec les femmes turques sont peu nombreuses.

Les visites au bain turc et aux harems font partie cependant de l'itinéraire de la voyageuse. La description qu'elle fait du premier semble peu probable. Selon l'écrivaine, elle visite un bain turc en compagnie des hommes : « Malgré l'austère réserve que la jalousie des Orientaux impose à notre sexe, nos compagnons de voyage pénétrèrent dans l'enceinte où se baignaient quelques femmes, qui se cachèrent aussitôt à nos yeux »[11]. C'est seulement en compagnie d'autres femmes, et d'une amie qui parle turc, lors de ses visites dans les harems, que le contact avec les femmes turques devient possible, « la conversation fut très suivie, grâce aux talents et à l'amabilité de Me F... ». À l'instar de Lady Montagu, Mme de La Ferté Meun assure à son lecteur que ces dames « n'ont point l'air malheureuses »[12]. Les visites protocolaires restent néanmoins superficielles. « Après avoir été bien examinées, et lorsque nous eûmes fait ensemble échange de curiosité sur nos costumes, nous prîmes congé et rejoignîmes nos compagnons de voyage »[13].

Mme de La Ferté Meun consacre une lettre à un « portrait des femmes », où, en décrivant l'histoire du sérail de Sultan, elle révèle ses critères esthétiques occidentaux. Elle trouve les filles de pacha habillées d'une parure riche, « mais sans goût », tout comme les jardins qu'elle juge « sans goût et mal dessinés ». L'aristocrate montre plus d'enthousiasme pour le bain en marbre blanc, « avec ses fontaines dont l'eau est chaude », chez la femme d'un dignitaire. En évoquant la Sultane Validé qui venait de mourir, La Ferté Meun participe par ailleurs à l’élaboration du mythe des origines françaises de la mère du Sultan Mahmoud II[14].

Nous retenons néanmoins la description d'une rencontre que Mme de La Ferté Meun situe dans un jardin public où elle fut approchée par une dame turque qui voulait lui parler, en dehors de la présence de son interprète. Les barrières linguistiques obligent cependant l'interprète à rester, mais l'écrivaine profite de cette rencontre pour accorder la parole à la dame turque, Esma. Cette dernière raconte ses six mois passés au harem du Grand Seigneur, en faisant le portrait d'un sultan plutôt juste et généreux. Nous pouvons penser que le recours à cette stratégie textuelle dénote une volonté d'échange, une volonté de faire parler l'« autre », le sujet de son observation. Ce désir de laisser s'exprimer l'autre femme caractérisera un grand nombre de récits de voyageuses au cours du siècle.

Tout comme Lady Montagu, la comtesse de la Ferté Meun, par sa position à l'ambassade, n'a pas véritablement accès au monde populaire. Ses visites protocolaires aux « grandes dames » sont vouées à rester superficielles, en raison des difficultés de communication. Les anecdotes qui parsèment son récit laissent donc libre cours à son imagination, à laquelle l'expérience fait défaut.

Nous déplorons le même défaut chez la voyageuse prussienne, la baronne de Minutoli qui recule devant les possibilités qui se présentent de rencontrer des femmes égyptiennes.

2. La baronne de Minutoli « encombrée de bagage culturel »

La baronne Wolfradine de Minutoli, née comtesse de Schulenburg (1794-1868), n’a que vingt-six ans lorsqu’elle part pour l’Égypte en 1820 avec son nouveau mari, l’archéologue allemand, Heinrich von Minutoli (1772-1846) qui devait y diriger une expédition scientifique[15]. C’est trois ans après son retour en Europe, et à partir de son journal de voyage, qu’elle rédige, directement en français, son livre Mes Souvenirs de l’Égypte (1824) en deux volumes[16].

L’Avertissement à l’ouvrage souligne la nouveauté du petit format (in-18), plus commode que les livres gigantesques déjà publiés sur l’Égypte, ainsi que la « qualité de femme » de l’auteur qui lui a permis de pénétrer dans

les retraites les plus mystérieuses de l’Égypte moderne ; c’est à ce titre qu’elle a pu voir quelques-uns de ces harems, où nos savants, même les plus intrépides n’ont jamais pu entrer ; et c’est ainsi qu’elle a pu se procurer, sur les mœurs et les habitudes du sérail, des renseignements qu’on cherchait en vain dans le grand ouvrage de la commission d’Égypte...

Le sexe de l’auteur fait ainsi partie de la publicité pour l’œuvre que l’éditeur cherche à vendre.

La baronne est néanmoins soucieuse de mettre son texte sous le signe du masculin. Elle reconnaît dans sa préface qu’après avoir été encouragée par l’auteure Caroline de Lichtfield, et après avoir reçu l’approbation de la baronne Montolieu, son texte « manquait encore de correction ». Il est donc signalé que ses Souvenirs sont « revus et publiés » par M. Raoul Rochette, membre de l’Institut, dont le nom et le titre suivent le nom de l’auteure, sur la page de titre. D’autres voyageuses sentiront le besoin d’ « auteur-iser » leur écriture en se cachant sous un pseudonyme masculin, ou par la préface d’un auteur connu.

La voyageuse, qui adresse ses souvenirs à sa sœur, tient pourtant à s’ériger en modèle pour d’autres femmes. Ainsi, à propos de ses Souvenirs, toujours dans sa préface, elle note que s’ils

n’enrichissent en rien le domaine de la science et celui de l’architecture ; [ils] ne seront peut-être pas sans intérêt pour les personnes de [son] sexe, qui, en apprenant qu’une femme a parcouru, sous d’heureux auspices, ces régions lointaines, jusqu’aux limites du tropique, ne craindront pas de [la] suivre dans [ses] courses, et de s’aventurer sur [ses] pas...

Elle dévalorise son écriture en tant qu’écriture de femme, afin d’en assurer la réception. Malgré l’avertissement de M. Rochette et cette déclaration à volonté « inspiratrice », le récit de Minutoli montre les réticences de l’auteure à s’aventurer plus loin que les confins de son propre espace culturel.

Peu après l’arrivée des Minutoli à Alexandrie, le baron repart pour un voyage scientifique en Libye, laissant sa femme dans la maison de la famille du consul de Prusse. La baronne fréquente surtout la société européenne mais elle s’aventure de temps en temps dans des excursions, montée sur son mulet, « habillée à la française ». À propos des femmes égyptiennes, elle note que son œil est « beaucoup plus souvent frappé par les traits de la laideur que par les formes séduisantes de la beauté »[17]. Quant aux bains, elle n’a senti « nulle disposition » à les visiter ; elle remarque par ailleurs qu’ils sont « trop connus pour en parler en détail ». Elle ne visite pas non plus le harem du Pacha, parce qu’elle n’a pas les moyens d’acheter des cadeaux assez opulents. La position avantageuse de la voyageuse s’avère ainsi parfois trompeuse. La baronne ne profite pas forcément des occasions qui lui sont offertes, par son sexe, de rencontrer des femmes égyptiennes.

Lorsqu’elle rend enfin visite à une dame d’origine syrienne, à Damiette, elle exprime un sentiment de solidarité féminine, quand elle témoigne de l’ordre patriarcal dans la maison où « Tous les hommages se concentrent [...] sur le chef de la famille ». Ainsi, elle fait l’observation suivante :

Ce que j’ai trouvé de plus révoltant pour mon sexe, c’était de voir même les mères oubliant toute la dignité de leur caractère, rendre des hommages respectueux à leurs fils, se lever en leur présence et s’empresser à les servir en esclaves. Ces abus revoltans, qui constatent les usurpations du sexe le plus fort sur le sexe le plus faible, sont un effet d’islamisme donc l’influence ne se fera jamais sentir à nos femmes d’Europe[18].

En expliquant l’abaissement de la femme égyptienne par la religion de l’islam, l’écrivaine se pose comme sujet-femme autre, européenne libre et libérée de la domination masculine. La comparaison renforce et valorise son identité culturelle. Autre signe de différence : la « familiarité extrême » de la maîtresse de maison avec ses domestiques. Minutoli est particulièrement surprise que sa propre femme de chambre soit admise à sa table. L’aristocrate accepte difficilement le manque de distinction des classes.

C’est également à Damiette, chez la femme d’aga où elle peut mettre « plus de simplicité à ses offrandes », que la voyageuse décide de visiter un harem et de « connaître enfin une habitation qui renferme tant de choses contraires au goût, aux idées et aux mœurs de l’Europe »[19]. Elle révèle ainsi que la rencontre n’est jamais neutre, toujours médiatisée qu’elle est par des idées préconçues.

La difficulté de communication dans le harem est exacerbée par le problème de langues. Minutoli, qui parle l’italien (en plus de l’allemand et du français), engage une femme médecin portugaise qui parle l’italien et l’arabe pour l’accompagner. Comme les femmes turques du harem ne parlent que le turc, une deuxième interprète est engagée. La conversation nécessite donc trois langues et « deux bouches étrangères ». Les femmes égyptiennes curieuses posent des questions sur l’Europe. Lorsque la voyageuse les informe que les maris européens n’ont qu’une seule femme et point d’esclaves, les femmes ne savent pas comment répondre : « elles se regard[aient] entre elles, indécises si elles devaient applaudir à cet usage ou s’en moquer »[20]. Quand ses hôtesses lui proposent les bains, Minutoli prétexte « son état de grossesse » pour refuser.

Lors d’une deuxième visite dans un harem de femmes égyptiennes et arabes, sans interprète, Wolfradine baisse les yeux à cause de la « mise indécente » des femmes. Leur « curiosité sur [sa] toilette, et leur importunité devint si choquante » qu’elle repart aussitôt. Si, d’après ses observations limitées et surtout les remarques de « quelques dames levantines », Minutoli conclut, à l’instar de Lady Montagu, que « le sort des femmes en Orient est beaucoup moins malheureux que nous ne nous l’imaginons », et qu’elles profitent de « libertés incroyables », elle relativise cette liberté lorsqu’elle reconnaît que l’éducation des Égyptiennes est tellement négligée qu’elles ignorent une quantité de jouissances dont la privation leur paraîtrait « pénible et insupportable »[21]. Selon l’écrivaine, ce « système de compensations », cette « justice divine » empêchent les femmes orientales de se plaindre « de l’abus du pouvoir d’un sexe et de l’iniquité d’une religion qui les condamne à une espèce de nullité morale et politique »[22].

Ce texte est révélateur de la position avantageuse de la voyageuse en Orient, avantage qui n’est cependant pas toujours entièrement exploité. Malgré l’avertissement de son éditeur, les contacts superficiels et les jugements de Minutoli en disent plus sur l’auteure, ses préjugés et codes culturels, que sur les femmes rencontrées.

Ces deux premiers récits sont écrits par des femmes d’origine aristocratique ; leurs rencontres se limitent aux contacts mondains. La vision de l’écrivaine Ida Saint-Elme, d’origine modeste, est bien différente, notamment quant à l’affirmation d’une autre possibilité, celle d’un sujet féminin qui serait moins soumis à des codes culturels. On trouve cependant, dans son récit de voyage en Égypte, l’expression du sentiment d’une « distinction » sociale qui lui était peut-être refusée en France.

3. Ida Saint-Elme : « Je ne suis pas une femme, je suis un intrépide voyageur »

En 1831, une dizaine d'années après la publication des Lettres sur le Bosphore de Mme de La Ferté Meun et le voyage des Minutoli, Ida Saint-Elme (1776-1845), écrivaine d’une certaine renommée, surnommée la Contemporaine, fit publier La Contemporaine en Égypte, en six volumes[23]. En un style fort marqué par la personnalité vive de l'auteure, est raconté le voyage de plus de deux ans qu'elle fit en Égypte et en Algérie (Tomes 5 et 6), en 1828, à l'âge de cinquante ans, avec son amant de vingt ans son cadet[24].

Ce qui frappe tout d’abord est l’ampleur de son récit en six volumes, un véritable journal détaillé du voyage, où l’auteure rassemble les anecdotes et rencontres quotidiennes de leur périple. Nous constatons également le désir manifeste de Saint-Elme de s’assimiler au modèle masculin du voyageur. Ainsi, il est intéressant pour nous de voir de quelle manière une subjectivité féminine autre se manifeste dans son texte.

***

Contrairement aux voyageuses précédentes qui accompagnaient des hommes lors de leurs voyages en Orient, Saint-Elme se fait accompagner ; de plus, elle affirme son désir de voyager comme motivation au départ. Dès la préface, « chapitre qui n'est pas un », elle fait un plaidoyer pour le voyage, même si « le besoin de mouvement est une des plus cruelles passions qui puissent nous atteindre aux époques fixes et calmes »[25] :

Pour celui qui a la passion d’aller, d’aller toujours, d’aller çà et là, sans plan, sans but, sans envie d’arriver ; pour celui qui veut aller, et qui s’inquiète de peu, pourvu qu’il aille, que fait la route et la façon d’aller ?[26]

Elle s'extasie de son séjour en Égypte : « j'ai dormi, j'ai rêvé, j'ai vécu dans ce voyage plus que dans aucun autre temps de ma vie ; je suis sortie de cette épreuve une femme toute nouvelle »[27]. Le voyage pour Saint-Elme est occasion de renouvellement. De retour d’Égypte, dans son salon d'où elle écrit son récit, elle se plaint de ces « petits appartements [sic] dans lesquels se renferme une femme pour le reste de ses jours »[28].

Saint-Elme, qui voyage sous un vêtement d’homme (elle est très fière lorsque Ibrahim Pacha ne la reconnaît pas comme femme), revendique ainsi le modèle masculin du voyageur qui part à la recherche de l'aventure :

Donnez-moi la grande route, les plaisirs et les dangers du chemin ! donnez-moi le soleil, la pluie, la poussière, les glaçons ! Mieux vaut le soleil et la pluie que ce boudoir où je suis mal à l’aise, que ce tapis moelleux, que ces parfums qui entêtent, que ce luxe misérable et vaniteux, et que pourtant j’ai tant aimé ! Ainsi pensant, ce n’est plus moi que l’on plaint, c’est moi qui plains les autres femmes, c’est moi qui ai de la pitié pour la vie arrangée et méthodique ; moi, je ne suis pas une femme, je suis un intrépide voyageur.[29]

Par cette déclaration, l’auteure refuse la vie de réclusion et le rôle traditionnellement attribué aux femmes. Bien qu'elle se considère comme figure d’exception, son texte est souvent marqué par le genre et son point de vue féminin. Ainsi, par exemple, en critiquant le gouvernement de Mohammed-Ali, Mme Saint-Elme avance qu'« une femme peut toujours beaucoup plus hasarder qu'un homme »[30].

Si l’écrivaine s'assimile au modèle masculin dans sa manière de voyager, elle s'assimile au modèle féminin de l'écriture, tout en défendant sa propre manière d'écrire : « Car il y a deux manières de faire de l'histoire : en grand avec des vues générales et sous le joug de l'unité, comme faisait Bossuet ; en petit, terre à terre, par morceaux sans liaison apparente entre eux, comme je fais »[31]. Pour l’écrivaine, l'anecdote est « une nécessité ». La discontinuité et le morcellement des textes chez les voyageuses seront critiqués par les écrivains hommes, à la fin du XIXe siècle. Or, des recherches sur le développement de l'autobiographie au féminin (dont fait partie le récit de voyage) montrent que cette discontinuité narrative, caractéristique de l'écriture-femme, n'est point dévalorisante[32].

Saint-Elme s'adresse par ailleurs spécifiquement à ses lectrices, lorsqu'elle avoue l'amour qu'elle éprouve pour son compagnon de voyage,

avant même d’entrer dans les détails journaliers d’une existence toute nouvelle, toute différente de ce que nous connaissons en Europe ; avant d’aborder le sol africain, je veux faire l’aveu non d’une faiblesse (celles de ce genre ne sont plus de mon âge), mais d’un travers qui fera hausser les épaules aux gens sans passions, qui obtiendra une généreuse compassion des personnes de mon sexe assez heureuses pour n’avoir jamais cédé à leur empire, aveu dont la franchise sera commentée par les femmes qui n’ont failli que raisonnablement, mais qui sera compris et cru par celles qui auront attaché, comme moi, toutes les félicités de la vie au bonheur d’amour avec délire et d’être aimée de même.[33]

Nous pouvons souligner l'originalité de cette déclaration de voyager impunément avec son amant. Nous retrouverons ce modèle confessionnel et le désir de s'adresser à une lectrice compréhensive, plus tard, dans le récit de Suzanne Voilquin[34].

Cette confiance en soi de Saint-Elme n’est pas sans lien avec son identité d'écrivaine reconnue. Ceci empêche néanmoins une visite au harem, car « les Turcs ne veulent pas que leur vie intérieure soit connue ». On propose de l'introduire comme marchande, proposition à laquelle elle répond : « J'irai comme la Contemporaine ou pas du tout, » ce qui fait savoir aux lecteurs que sa renommée la précède[35]. On apprend qu'une autre Européenne s'est infiltrée de cette manière et qu’elle s'est fait dénuder par des femmes fort curieuses. Elle redoute un traitement pareil : « on conçoit qu'à mon âge je devais avoir plus d'une raison pour ne pas m'exposer à pareille scène, et je renonçais déjà à tout espoir de visiter ce lieu mystérieux »[36]. Elle réussit enfin, avec la promesse de ne pas divulguer le nom du seigneur du harem.

Tout comme elle vit un désenchantement lors de son arrivée en Égypte : « dans aucune partie du monde la misère n'est aussi générale »[37], « [o]n peut concevoir quel effet cela dut faire sur une imagination remplie d'images enchanteresses et qui voyait en perspective un sol couvert de grands monuments et la riche variété des costumes orientaux »[38], elle quitte le premier harem qu'elle y visite, satisfaite de l'accueil des dames, « mais bien détrompée de toutes les balivernes qu'[elle] avai[t] avalées jusqu'à ce jour sur les sérails, les harems, et en général sur les femmes de l'Orient »[39]. Ida Saint-Elme, qui avait lu les Lettres de Lady Montagu, voudrait ériger son texte comme témoignage authentique sur l'Égypte[40]. Ses rencontres avec les Égyptiennes ne se limitent désormais plus aux harems.

Avec les avantages et les désavantages de voyager en touriste, sans la protection d'une raison officielle, Mme Saint-Elme circule plus librement que les ambassadrices de la cour ottomane, obligées à la vie mondaine. Ses rencontres avec les paysannes donnent lieu à des remarques sur la misère du peuple égyptien. Elle renonce à sa promenade, tant elle est bouleversée par la rencontre d’une pauvre mère, une femme fellah qui n’allaite pas son enfant et qui lui répond : « Il vaut mieux qu’il meure, mon enfant, car il serait malheureux et trop longtemps ; nous n’avons rien pour nous nourrir, et mon lait est tari »[41].

À côté de cette expression de sympathie pour la fellahine, nous trouvons un tout autre genre d'expérience. Lors d'une sortie touristique à l'invitation d'un attaché au service du vice-roi, Mme Saint-Elme est offensée d'apprendre que la gouvernante de ce dernier fait partie du cortège : « [...] j'en fus choquée, je l'avoue, car dans mes longues erreurs j'ai évité avec le plus grand soin tout contact avec les femmes qu'aucun mérite ne distingue ; et actuellement je pousse cette précaution jusqu'au scrupule »[42]. Elle refuse en outre de partir si la gouvernante les accompagne. La sympathie se limite apparemment aux classes inférieures qui ne cherchent pas à se mêler à la sienne[43].

Saint-Elme est également mal à l’aise à l’idée d’être reçue par un « ménage mixte », un médecin italien qui vit avec une jeune fille nubienne, « dans son service » depuis huit ans :

Je croyais trouver une négresse et mon préjugé européen ne laissait pas que de me dire qu’il était fort désagréable d’aller recevoir des politesses d’une maîtresse de maison couleur d’encre ; mais je fus bien agréablement surprise en voyant la jolie figure d’une fille à peine brune-foncé, des traits européens, des yeux charmants [sic] et un profil parfait, dont le type du pays légèrement marqué n’ôtait ni la grâce ni la régularité[44].

Si les « craintes » de l’écrivaine sont soulagées, c’est parce que par les traits physiques de son hôtesse noire ne sont pas trop éloignés des siens.

En théorie, Saint-Elme s’oppose à l’esclavage et à l’oppression des peuples. Ainsi, suite à cette rencontre, elle ajoute qu’elle ne peut pas s’empêcher de « donner une idée de ce que peuvent éprouver ces pauvres jeunes filles qu’on amène de leur village, où jamais elles ne virent figure franque, pour se voir livrer en toute propriété à un maître »[45]. Ailleurs, lors de son passage à Rosette, la voyageuse prend la défense de serviteurs qui risquent d’être battus par un colonel italien : « Comme je m’étais promis de ne jamais souffrir qu’en ma présence un Européen se permît contre les hommes qui n’osent se défendre, des voies de faits qu’en Europe la loi punit, je pris partie pour les Arabes »[46]. On peut dire que défendre publiquement des serviteurs menacés de mauvais traitements est plus facile que d’entretenir des relations sociales privées avec des gens de(s) classe(s) ou de(s) couleur(s) de peau différentes.

Le récit de Saint-Elme révèle la complexité du sujet féminin en voyage, où des identités de femme, d’écrivaine, d’Européenne se croisent. L’auteure, plus libérée que ses devancières quant aux rôles sociaux de la femme, s'assimile au modèle masculin et indépendant du voyageur qui « part à l’aventure », et l’affirmation de soi s’affiche plus facilement. Elle adopte en même temps une position « impérialiste » qui renforce un sentiment de différence avec les femmes rencontrées, en raison des discours de classe et d’ethnicité. Nous pouvons penser que son voyage en Orient permet à Saint-Elme de se construire une identité sociale davantage valorisée que celle qui lui était permise en France, en raison de sa réputation de courtisane.

Ces exemples précoces du récit de voyage en Orient nous indiquent déjà la diversité du genre littéraire où se mélangent les formes d'écriture de soi (lettres, anecdotes, souvenirs, journal de voyage, journal intime). Ces voyageuses s’érigent notamment en modèles pour d’autres femmes, aussi bien en matière de voyages qu’en matière d’écriture de ceux-ci. Aussi pouvons-nous souligner l’exemplarité de ces trois pionnières en rappelant qu’il s’agit d’une grand-mère (La Ferté Meun), d’une femme enceinte (Minutoli) et d’une femme d’un certain âge qui voyage avec son jeune amant (Saint-Elme). Toutes revendiquent la valorisation des « impressions personnelles » par « la petite histoire ». Si l'éditeur de Minutoli exploite le sexe de son auteure à des fins publicitaires, l’élément mis en avant par les écrivaines est cette spécificité propre à leur mode d’expression. Alors que les voyageuses étudiées trouvent nécessaire de justifier le fait d’écrire, elles ne justifient point, par contre, le fait de voyager. Ceci est à l’encontre de la pratique de certaines voyageuses ultérieures dans le siècle, qui ressentirent, semble-t-il, le besoin de justifier le fait de quitter leur rôle domestique et social traditionnel, une fois que celui-ci fut codifié par les manuels de savoir-vivre, la presse féminine, les discours religieux et « médico-scientifiques », etc. Ainsi faut-il attendre la fin du siècle avant que d’autres voyageuses (à l’instar d’Isabelle Eberhardt) adoptent le modèle de Saint-Elme qui revendique le plaisir de voyager pour voyager.

On découvre également la complexité et l’ambiguïté de la vision de ces voyageuses sur les « femmes orientales ». Outre les difficultés de langue et de communication, les femmes d’origine aristocratique limitent leurs rencontres, qui restent assez superficielles, aux contacts mondains. Elles cherchent notamment à maintenir les distinctions sociales.

Si nous pouvons constater une amorce de solidarité de genre dans ces textes, il faut attendre l'essor du mouvement féministe pour que s’expriment de façon plus engagée la prise de conscience de cette solidarité, et de nouvelles vocations qu’elle a rendues possibles, notamment dans les domaines du journalisme et de la médecine.

Renée Champion

Notes de pied de page

  1. ^ Cet article s’inspire de notre thèse, « Représentations des femmes dans les récits de voyageuses d’expression française en Orient au XIXe siècle (1848-1911) », Université de Paris VII, 2002, dans laquelle nous avons analysé un corpus de récits publiés par une cinquantaine de voyageuses francophones au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
  2. ^ La Comtesse de La Ferté Meun, Lettres sur la Bosphore, ou Relation d'un voyage en différentes parties de l'Orient, pendant les années 1816 à 1819, Paris : Domère, 1821 ; Mme la Baronne de Minutoli, Mes Souvenirs d'Égypte, revus et publiés par M. Raoul Rochette, Paris : Nepveu, 2 vols., 1826 ; Ida Saint-Elme, La Contemporaine en Égypte pour faire suite aux souvenirs d'une femme, sur les principaux personnages de la République, du Consulat, de l'Empire et de la Restauration, 6 vols., Paris : chez Ladvocat, Libraire, 1831. Le titre de cet dernier ouvrage est trompeur : les quatre premiers volumes concernent l’Égypte, et les deux derniers, Malte et Alger.
  3. ^ Voir notamment Sara Mills, Discourses of Difference, An Analysis of Women's Travel Writing and Colonialism, London and New York, Routledge, 1991 ; Billie Melman, Women's Orients, English Women and the Middle East, 1718-1918, Sexuality, Religion and Work, Ann Arbour, University of Michigan Press, 1992 ; et l’ouvrage pionnier, en ce qui concerne les voyageuses francophones, de Bénédicte Monicat, Itinéraires de l'écriture au féminin, voyageuses du XIXe siècle, Amsterdam, Atlanta, Rodopi, 1996. (Il est intéressant à noter que cette dernière a écrit sa thèse aux États-Unis où elle enseigne actuellement).
  4. ^ Edward Saïd, L’Orientalisme, L’orient créé par l’occident (1978, 1980 pour la traduction française), Éditions du Seuil, 1997. Nous rappelons que des critiques se sont opposés au caractère monolithique de la thèse de Saïd, pour défendre notamment une pluralité d’ «orientalismes » (scientifiques, linguistiques, esthétiques) hétérogènes et contradictoires qui résistent à la dichotomie fixe de son modèle. Voir la collection d’extraits de textes clés concernant le débat sur l’orientalisme édité par A.L. Macfie, Orientalism, A Reader, Edinburgh University Press, 2001.
  5. ^ Voir la première partie de notre thèse, déjà citée, pour une analyse de l’évolution des mentalités concernant « la voyageuse » au XIXe siècle à travers l’étude des manuels de savoir-vivre, quatre anthologies consacrées aux voyageuses, des articles de presse de la fin du siècle et une participation limitée aux sociétés savantes.
  6. ^ Sur les voyageuses en Orient, voir Natascha Ueckmann, Frauen und Orientalismus : Reisetexte franzöischsprachiger Autorinnen des 19. und 20. Jahrhunderts, Stuttgart, Metzler, 2001; Barbara Hodgson, Rêve d’Orient, Les occidentales et les voyages en Orient, XVIIIe – début du XXe siècle, traduit de l’anglais par Pierre Saint-Jean, Seuil, 2005 ; et Vassiliki Lalagianni, Voyages des femmes en Orient [en grec], éditions Roes/coll. « essais », Athènes, 2007.
  7. ^ The Turkish Embassy Letters, introduction d’Anita Desai, Londres, Virago Books, 1994. Sur le texte de Montagu, voir à titre d’exemple Billie Melman, Women’s Orients, op. cit., ch. 3, « The Eighteenth-Century Harem (1717-89) : Lady Montagu, Lady Craven and the Genealogy of Comparative Morals », p. 77-98; de Lisa Lowe, Critical Terrains, French and British Orientalisms, ch. 2, « Travel Narratives and Orientalism », surtout p. 30-52, Cornell University Press, 1991 ; et de Meyda Yegeneglu, Colonial Fantasies, Towards a feminist reading of Orientalism, ch. 3, « Supplementing the Orientalist lack : European ladies in the harem », p. 68-94, Cambridge University Press, 1998.
  8. ^ Voir le commentaire de Sarga Moussa dans son ouvrage, La Relation orientale, enquête sur la communication dans les récits de voyage en Orient (1811-1861,) « Les Lettres de Mary Montagu », Paris, Klincksieck, 1995, p. 178-179 et ss.
  9. ^ Nous avons trouvé très peu d’informations sur La Ferté Meun. D’après le catalogue de la BnF, il semble que la publication des Lettres (objet d’une réédition en 1822, l’année suivante leur parution) ait lancé la carrière de la femme de lettres dont les ouvrages romanesques postérieurs étaient signés « par l’auteur des « Lettres sur le Bosphore ». Les rares renseignements biographiques nous viennent de l’ouvrage généalogique de Diane de Maynard, Le Duc de Rivière : sa famille et sa descendance, Paris, Christian, 1990.
  10. ^ Sur cet aspect voir l’article de Bénédicte Monicat, « Problématique de la préface dans les récits de voyages au féminin du 19e siècle », in Nineteenth-century French Studies, vol. 23, no. 1-2, 1994.
  11. ^ Lettres sur la Bosphore, op. cit., p. 142.
  12. ^ Ibid., p. 130.
  13. ^ Ibid.
  14. ^ Voir l’article de Christine Isom-Verhaaren, « Royal French Women in the Ottoman Sultan’s Harem : The Political Uses of Fabricated Accounts from the 16th to the 21st century », in the Journal of World History, vol. 17, no. 2, June 2006, p. 159-196.
  15. ^ Sur le couple Minutoli voir deux articles in Travellers in Egypt, eds. Paul and Janet Starkey, London : I. Tauris, 1998 : Deborah Manley, « Two Brides : The Baroness Menu von Minutoli and Mrs Colonel Elwood », p. 97-107, et Joachim S. Karig, « A Prussian Expedition to Egypt in 1820 : Heinrich von Minutoli », p. 70-74.
  16. ^ Une traduction anglaise sera publiée trois ans plus tard, Recollections of Egypt, London, 1827.
  17. ^ Mes Souvenirs d’Egypte, T1, op. cit., p. 90.
  18. ^ Ibid., T2, p. 71-2.
  19. ^ Ibid., p. 90.
  20. ^ Ibid., p. 93.
  21. ^ Ibid., p. 107, 109.
  22. ^ Ibid. p. 111.
  23. ^ Op. cit. Une troisième édition fut publiée en 1833, Paris : Moutardier. Le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Larousse décrit Saint-Elme comme « aventurière et auteur putatif de mémoires sur l'époque de la Révolution et de l'Empire ». Il semble en effet qu’elle menait une vie haute en couleur. Elle fut notamment la maîtresse du Général Moreau et du Maréchal Ney pendant l’époque napoléonienne. L’historien Jacques Jourquin revient sur les mystifications concernant Saint-Elme dans son introduction à la réédition de ses mémoires : Souvenirs d’une courtisane de la Grande Armée : 1792-1815, Paris : Tallandier, 2004.
  24. ^ Trois anthologies récentes accordent une place à Saint-Elme : voir Sarga Moussa avec la collaboration de Kaja Antonowicz, Le Voyage en Égypte, Anthologie de voyageurs européens de Bonaparte à l’occupation anglaise, Robert Laffont, 2004 (les voyageuses françaises et anglo-saxonnes représentent par ailleurs un cinquième du corpus) ; David Lançon, L’Égypte littéraire de 1776 à 1882, destin des antiquités et aménité des rencontres, Préf. de Y. Bonnefoy, Geuthner, 2007 (l’auteur incorpore les observations d’une douzaine de voyageuses et des écrivaines françaises dans le trame de son étude, qui ne se limite pas, comme le suggère son titre, aux récits de voyage) ; et Franck Laurent, Le Voyage en Algérie, anthologie de voyageurs français dans l’Algérie coloniale – 1830-1930, Robert Laffont, 2008, ouvrage qui commence par des textes de Saint-Elme. Nous renvoyons également à John David Ragan, « French Women Travellers in Egypt : A Discourse Marginal to Orientalism? », Paper presented at the 46th annual meeting of the American Research Center in Egypt, Atlanta, April 28-30, 1995.
  25. ^ La Contemporaine en Égypte, T1, op. cit., p. vii.
  26. ^ Ibid., p. viii. Nous verrons également un plaidoyer pour le vagabondage chez Isabelle Eberhardt en Algérie à la fin du siècle.
  27. ^ Ibid., p. xv.
  28. ^ Ibid., p. ix.
  29. ^ Ibid., p. x. Voir le portrait étonnant de Saint-Elme « en homme » avec une coupe de cheveux masculins et des favoris (!) dans Souvenirs d’une courtisane, op. cit. Le travestissement de Saint Elme qui refuse une distinction vestimentaire et binaire du masculin/féminin mérite une étude approfondie. Sur ce thème voir le numéro de la revue CLIO, Histoire, femmes et sociétés, « Femmes travesties : un « mauvais » genre », sous la direction de Nicole Pellegrin et Christine Bard, no. 10, 1999. Nous rappelons que suite à une ordonnance de l’époque napoléonienne (et qui n’est toujours pas abrogée), les femmes avaient besoin d’une autorisation de la Préfecture de Police pour « se travestir en homme ». Voir l’article de Bard dans ce même numéro de CLIO: « Le ‘DB58’ aux Archives de la Préfecture de Police ». D’autres voyageuses, notamment Jane Dieulafoy et Isabelle Eberhardt, adopteront des vêtementsmasculins. Eberhardt brouillerait encore plus les pistes identitaires en adoptant un prénom et des vêtements masculins arabes. Sur l’histoire de l’aventure, surtout au masculin, voir Sylvain Venayre, La gloire de l’aventure, Genèse d’une mystique moderne, 1850-1940, Aubier, collection historique, 2002. Si Saint Elme représente bien les deux définitions de ‘l’aventurière’, au 19e siècle, comme le rappelle Venayre, « aventurière » signifiait surtout « courtisane ». Il faut attendre le 20e siècle pour une identité valorisante du mot.
  30. ^ Ibid., p. 298.
  31. ^ Ibid., p. xi.
  32. ^ Voir Estelle C. Jelinek, The Tradition of Women's Autobiography: from Antiquity to the Present, Twayne Publishers, Boston, 1986.
  33. ^ Op. cit., T1, p.207.
  34. ^ Souvenirs d’une fille de peuple : La Saint-Simonienne en Égypte, 1834-1836, Paris, E. Sauzet, 1866.
  35. ^ La Contemporaine en Égypte, T2, p. 18.
  36. ^ Ibid, p. 24.
  37. ^ La Contemporaine en Égypte, T1, op. cit., p. 243.
  38. ^ Ibid, p. 251.
  39. ^ Ibid, T2, p. 35.
  40. ^ Elle critique d'ailleurs « des phrases de roman » qui mettent en doute l'authenticité du texte de Lady Montagu, ibid., T2, p. 27.
  41. ^ Ibid., T1, p. 311.
  42. ^ Ibid., p. 324.
  43. ^ La réaction de Saint-Elme est encore plus surprenante lorsque l’on connaît les débuts de sa carrière au théâtre et sa vie de courtisane.
  44. ^ Ibid., T3, p.33.
  45. ^ Ibid., p. 41.
  46. ^ Ibid., p. 4.

Référence électronique

Renée CHAMPION, « TROIS « VOYAGEUSES EN ORIENT » », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Septembre / Octobre 2008 ITINÉRANCES FÉMININES, mis en ligne le 03/08/2018, URL : https://crlv.org/articles/trois-voyageuses-en-orient