"Une tant étrange tragédie" : le cannibalisme rituel dans le regard des voyageurs du XVIe siècle

Conférencier / conférencière

La communication a pour objet de présenter les descriptions, les jugements et les explications que les voyageurs du XVIe siècle ont donné des rites cannibales qu'ils ont pu observer sur la côte brésilienne à l'époque de la Découverte. Ces descriptions, qui sont, paradoxalement, à l'origine du mythe du « bon sauvage » (voir le chapitre des Essais intitulé « Des cannibales ») se signalent par une précision ethnographique et, curieusement, par une empathie avec le sujet telle que leurs auteurs disent souvent leur sentiment d'avoir assisté à des rites (à une « tant étrange tragédie » écrira l'un d'eux) et non à des actes de « boucherie» ou de pure et simple barbarie. Les descriptions en cause, certes marquées d'une sorte de fascination horrifiée, ont souvent le souci de s'approcher, autant qu'il est possible, de cette étrangeté absolue. Bien que la concordance des descriptions dont on dispose (dues à des voyageurs et à des missionnaires français, portugais, espagnols - ainsi qu'à un mercenaire allemand au service de la couronne du Portugal), bien que la cohérence des rites observés avec les représentations mythiques et les pratiques sociales démontrent le caractère incontestable des pratiques cannibales, le cannibalisme rituel a toujours fait l'objet de dénégations argumentées. Un récent numéro de la New York Review of Books a fait sa couverture d'un ouvrage spécialisé consacré à cette dénégation. La réalité du cannibalisme vient pour la première fois d'être démontrée sur un site archéologique précolombien du Colorado (Nature, 7 septembre 2000). L'analyse biochimique des restes culinaires qui y ont été retrouvés a révélé la présence de myoglobine humaine dans la matière cuisinée, une protéine spécifique du tissu musculaire et cardiaque. L'analyse d'un coprolithe humain a confirmé, par la présence de cette myoglobine, l'ingestion de chair humaine. L'objet de la communication est de montrer que ces récits de voyage contiennent en réalité les données religieuses, mythiques et sociales essentielles qui permettent aujourd'hui une reconstitution vraisemblablement assez fidèle de ces pratiques disparues et qu'ils permettent aussi d'en approcher la logique profonde. Et de rappeler que, étonnamment sans doute, l'altérité absolue n'a pas neutralisé la capacité d'observation et d'empathie de ces découvreurs : l'intérêt pour l'autre homme qui arme le credo de l'ethnologue et du voyageur peut aussi faire de ces témoins des passeurs entre les cultures et les religions.

Référencé dans la conférence : 14e Colloque international du CRLV : Récit de voyage et religion
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