Sexualité et utopie : "Le naufrage des îles flottantes ou Basiliade" de Morelly (1753).

Conférencier / conférencière

"La Basiliade ou le Naufrage des îles flottantes" (1753) d'Etienne Gabriel Morelly se présente comme une épopée en prose inspirée par diverses sources : orientales, à travers Pilpay, mais surtout la _Bibliothèque orientale_ de Barthélemy d'Herbelot et l'historiographie américaine (Garcilaso de la Vega). La présence de la doctrine du pur amour décelée par les travaux de Nicolas Wagner, cette espèce d'épicurisme naturaliste, n'est pas le moins étonnant de ce texte. Il s'agit d'une navigation dans un monde agrandi par rapport à celui de l'Antiquité : elle concerne l'Orient mais aussi l'Amérique du Sud et les Incas. Cet ouvrage est surchargé d'allégories, dont une «ingénieuse» allégorie de la grotte - forme sexuée féminine - où le frère et la soeur pratiquent l'inceste créateur. Les îles flottantes renvoient à un ancien mythe antique (Delos) ou médiéval (saint Brendan), et témoignent de ces îles « incertaines » (Thevet) dont la localisation cartographique est, elle-même, encore pleine d'incertitude à cette époque. En fait, "la Basiliade" se situe sur un continent, ce qui est exceptionnel dans la littérature utopique. Le continent est stable, fiable, alors que l'île, fragment de continent égaré, renvoie à la corruption : inversion intéressante des prédicats utopiques. L'ouvrage se présente comme une robinsonnade suivie d'une utopie agraire. Sans qu'il y ait de lien direct, il semble reproduire une représentation du monde fournie au début du XVIIe siècle dans la "Géographie sainte" de Jacques d'Auzoles de Lapeyre : le continent est originel ; les îles résultent du Déluge et du péché. La nature s'est divisée, d'où les sociétés et les îles. La « loi sacrée de la nature », la jouissance commune des biens, s'est perdue. Le communisme par le refus de la propriété que Morelly développera dans "le Code de la nature" (1754) est le fondement social de l'utopie. Mais Morelly renoue aussi avec la tradition des caractères des peuples que l'on appelle la géographie morale (Louis van Delft). Ces topoï concernent les différents peuples insularisés avec des équivalences ou renvois entre Occident et Orient : Angleterre-Japon, France-Perse, etc. Dans _la Basiliade_, les îles les plus néfastes sont englouties, en particulier « l'île dominante » (celle des aristocrates) et « l'île stérile » (celle des prêtres). Á un moment de l'épopée, les îles flottantes tentent vainement d'annexer le continent. L'échec conduit les îles à se fondre dans la République universelle. « L'unanimité parfaite » règne alors dans ce qui est un seul corps. L'archipel s'efface au profit du continent. Comme avant le Déluge, il n'y a plus qu'une seule famille. Cette unique famille se renouvelle par l'inceste qui est la forme parfaite de la génération : le même par le même. Le continent est l'espace de l'idylle, des grottes et des vallons amoureux ; mais aussi le lieu d'un espace géométrique où règne une espèce de jardin à la française ramifié. Dans cet univers, la nudité condamne le vêtement comme élément contre nature. Le souvenir des récits de voyage au Nouveau Monde prouve que la nudité est selon la nature. L'inceste généralisé des enfants en âge de procréer se fait sous le regard des parents qui applaudissent à la réussite de l'entreprise : la consanguinité est le signe de la perfection humaine. Après l'acte, les amants deviennent citoyens par une espèce de rite civique. Dans tout cela aucun libertinage ; la sexualité est limitée à la cellule familiale ; et le tout se fait sous contrôle. Le prince est l'emblème du père immortel de la patrie. Il y a la une Urszene inversée : la sexualité des enfants vue par les parents. Le contrôle de la jouissance n'a rien à voir avec le libertinage de moeurs.

Référencé dans la conférence : Religion et sexualité dans la littérature des voyages (XVIe-XVIIIe siècles)
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