Avec l'Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811) de Chateaubriand, les Voyages en Orient réactivent la tradition des pèlerinages. Du coup, l'appartenance confessionnelle (des voyageurs et des populations rencontrées) détermine bien souvent la perception et la représentation de l'autre. On se propose d'examiner cette question, en la limitant ici aux trois grandes religions du Livre, à partir d'un corpus d'une dizaine de voyageurs français de la première moitié du XIXe siècle.
I. Les religions monothéistes d'Orient
Alors que Chateaubriand voit encore les Turcs comme l'incarnation d'une religion ennemie, Lamartine (Voyage en Orient, 1835) opère un renversement complet, sur ce plan-là, en s'appuyant sur la réévaluation de la figure de Mahomet, et plus généralement de l'islam, entreprise depuis le XVIIIe siècle. On examinera par ailleurs l'image des chrétiens orthodoxes, en particulier celle des Coptes (chrétiens égyptiens), victimes d'un préjugé ancien que nombre de voyageurs du XIXe siècle véhiculent, à l'exception notable de Flaubert. En revanche, les Juifs font l'objet d'un traitement viatique plus différencié : on passe ainsi de la judéophilie de Chateaubriand et de Lamartine à une judéophobie (Du Camp, Gautier...) qui annonce la montée d'une véritable idéologie antisémite.
II. Jérusalem, miroir confessionnel
Si l'image des différentes communautés religieuses est souvent stéréotypée, elle révèle aussi, indirectement, les présupposés liés à la confession du voyageur lui-même. Ainsi, c'est bien la foi catholique qui détermine, chez Chateaubriand, une réaction de rejet qui prolonge l'opposition traditionnelle entre chrétiens et musulmans. A l'inverse, le "rationalisme chrétien" d'un Lamartine permet des rapprochements inattendus, y compris avec le mouvement émergent des Wahabites ! Enfin, une protestante comme la comtesse de Gasparin ne manque pas de se moquer des "superstitions" auxquelles donnent lieu les pèlerinages en Terre sainte et de dénoncer les rivalités entre les différentes communautés chrétiennes à l'intérieur du Saint-Sépulcre.
La religion apparaît donc comme une composante essentielle dans la construction de l'altérité à l'ouvre dans la littérature des voyages en Orient de la première moitié du XIXe siècle. Si elle constitue le plus souvent un facteur de séparation (il faut dénoncer les égarements des "sectes" adverses), elle peut aussi, comme chez Lamartine, être source de rapprochement, dès lors qu'elle perd son caractère doctrinal...