L'émergence de la science préhistorique : une laïcisation du regard et du discours sur l'antédéluvien.

Conférencier / conférencière

La laïcisation de la science préhistorique en Europe est le fruit d’une longue évolution qui va de la confusion des artefacts avec les créations naturelles. Les haches de pierre polie sont assimilées aux « pierres de foudre » ; les pointes de flèche à des pierres tombées de la lune. Quant aux glossopètres, on les confond avec des dents fossiles ( Aldrovandi, _ Museum metallicum _, 1599). Jusqu’au XVIIe siècle, les ouvrages illustrés mélangent les objets d’origine si différente. Au XVIe siècle, cependant, on commence à s’interroger sur ces fossiles autrefois vivants qu’il faut situer par rapport au Déluge universel qui est la référence nécessaire dans le monde chrétien. La découverte de l’Amérique amène à la constatation qu’il existait des civilisations ignorant le métal. Les armes de pierre découvertes en Europe prennent alors un autre sens. Mais la notion de « forces plastiques » - forces telluriques capables de donner aux objets l’aspect de créations vivantes – explique les fossiles qui ne sont pas distingués des productions géologiques et des artefacts. Au XVIIIe siècle, encore, les naturalistes concluent parfois que certains de ces glossopètres sont des dents de poisson, mais ils ne s’intéressent pas à l’histoire humaine. La chronologie biblique, stricte et précise, ne supporte aucune contestation. Quant à la préhistoire, elle n’est guère envisageable, car la seule Antiquité concevable est l’histoire gréco-romaine combinée à l’histoire sainte transmise par l’Ancien Testament. Dans l’_Antiquité expliquée _ (1719) du père de Montfaucon, voyage culturel dans le passé, on voit apparaître néanmoins une section sur les usages de la vie qui englobe les civilisations de la Gaule et de la Germanie. Le _ Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines _ (1752) du comte de Caylus, fruit d’un collectionnisme obsédant, apporte aussi du nouveau en faisant du comparatisme une science nouvelle. En 1760, le géographe d’Anville crée la géographie historique de la Gaule, et, en Alsace, Schoepflin l’élargit. Mais c’est à Antoine de Jussieu (1748-1836) que l’on doit l’études des haches – indiennes – comme des outils. Le père Lafitau avait déjà établi des liens en comparant les civilisations de l’Amérique aux civilisations primitives de l’Europe. Le père de Montfaucon analyse la sépulture mégalithique d’Évreux pour établir une nouvelle chronologie et définir à partir de ce monument prétendu « gaulois » un âge du cuivre entre l’âge du fer et celui de la pierre. En Bretagne, le président de Robien va sur le terrain des pierres levées et conclut à leur antériorité sur les Gaulois. Mais c’est avec l’extension du Grand Tour sur les confins de l’Italie que la science préhistorique va progresser. Malte et ses temples mégalithiques sont observés et décrits : Hoüel séjourne dans l’île en 1770 et 1776, il dessine les temples et les publie dans son _ Voyage _ (1782-1787). Il croit « phénicien » le « temple des géants » alors à moitié enterré. En 1778, un autre artiste, Ducros, les dessine. Mais c’est l’abbé Petit-Radel (né en 1756) qui va créer une nouvelle notion, celle de monuments « cyclopéens ». Émigré à Rome sous la Révolution, il revient ensuite en France, entre à l’Institut et dirige la Bibliothèque Mazarine. Sa théorie des antiquités « pélasgiques » est fondamentalement neuve. Selon Pausanias, Pelasgos était ce personnage mythique qui apprit aux hommes l’art de bâtir. La science préhistorique est née ; Petit-Radel définit deux stades successifs des sociétés humaines : la période nomade des chasseurs et la période organisée et sédentaire où naissent les monuments et les villes. S’il attribue encore les sites de Malte aux Phéniciens – reste de sa culture première , il n’en a pas moins l’intuition, vers 1840, d’une longue période préhistorique. Les monuments de la préhistoire ne sont plus seulement des illustrations, ils deviennent des sources pour la science en train de se faire.

Mots-clès : progrès. chronologie.

BIBLIOGRAPHIE.

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- Histoire de la science. Les premiers travaux sur les monuments mégalithiques, Paris, Reinwald, 1886.
- La France préhistorique d’après les sépultures et les monuments, Paris, Alcan, 1889.
Laming-Emperaire (Annette), _Origines de l’archéologie préhistorique en France. Des superstitions médiévales à la découverte de l’homme fossile_, Paris, Picard, 1964.
Wahle (Ernst), _Studien der Geschichte der prähistorischen Forschung_, Heidelberg, C. Winter, 1950.

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Référencé dans la conférence : Relations savantes : voyages et discours scientifique à l'Âge classique
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