Youssef Boujeddaine (IREMAM) : « Le voyage imaginaire dans la ḫutba médiévale arabe »
Résumé : L’orateur parfait est l’homme qui sait persuader, s’emparer de l’esprit, du cœur et de la volonté de son auditoire. Il l’emporte alors dans un voyage en faisant appel à son imagination, en transformant son discours en image, en mettant la scène sous ses yeux. Il s’agit ici d’étudier la mise en place de cette stratégie « éprouvée » ou « émotion partagée » dans le genre de la ḫutba (allocution) médiévale arabe, alors clé de voûte du fonctionnement de la vie publique et occasion pour les suzerains et leurs substituts d’asseoir leur autorité. L’ouvrage Al-’Iqd al-farîd (Le Collier sans pareil) d’Ibn ‘Abd Rabbih, poète andalou né à Cordoue (860-/940), nous livre dans le chapitre intitulé : « al wâsiṭa » (« la perle centrale ») les allocutions les plus remarquables depuis la période pré-islamique jusqu’à la dynastie abbasside (XIIIe siècle), nous donnant ainsi un aperçu des techniques persuasives employées par les différents orateurs. Parmi elles, nous nous concentrerons sur les arguments émotionnels mis en avant pour emporter l’adhésion et plus particulièrement sur l’usage de tout procédé visant à frapper les yeux de l’esprit grâce à l’imagination ou phantasia. Véritable notion rhétorique, elle consiste en un pouvoir de représentation dans le sens où l’orateur se figure une scène avec une telle puissance imaginative qu’il transmet cette représentation à l’auditoire. Plusieurs exemples tirés du corpus d’étude serviront à étayer cette notion et à étudier les différentes figures qui permettent « une pensée visuelle » et un asservissement au discours.
Mots-clé : ḫutba (allocution) – persuasion - imagination.
Présentation : Enseignant certifié de langue arabe, il est depuis 2016 doctorant à l’IREMAM (Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans) en littérature classique arabe sous la direction de Mohamed Bakhouch. En parallèle de son activité professionnelle, il est aussi webmestre du site académique de langue arabe, qui vise à promouvoir le rayonnement de la langue dans les établissements scolaires. Il a également obtenu le diplôme du DESU (Diplôme d’Études Supérieures Universitaires) lors duquel il s'est penché sur la notion de diglossie en langue arabe, travail qui a été proposé à la publication au magazine Cahiers Pédagogiques par Françoise Lorcerie, directrice de recherche émérite au CNRS. Il travaille sur la notion de ḫutba politique médiévale arabe et sur les mécanismes sous-jacents liés aux arguments affectifs. Il s’agit ainsi d’analyser les allocutions sélectionnées sous la grille aristotélicienne de l’ethos et du pathos pour en dégager les techniques persuasives employées par les différents orateurs afin de frapper les cœurs et d’emporter l’adhésion de l’auditoire.