Esthétique
«Telles étoient, à l'époque de 1790, les Notions que nous avions acquises sur les Côtes Occidentales du Nord de l'Amérique. Un seul Navigateur français, La Pérouse, avoit concouru avec ceux de l'Espagne, de l'Angleterre et des États-Unis, à perfectionner la Découverte de cette partie du Nouveau Monde; et jusqu'alors le Commerce de France n'avoit pu se livrer à aucune entreprise pour entrer en concurrence avec celui des autres Nations dans la Traite des Pelleteries. Il eût été en effet téméraire de s'engager, sans un examen préalable, dans des spéculations qui exigeoient, pour être réalisées, que des Vaisseaux fissent le Tour du Monde»(I/CXXXII).
«Il m'a paru d'autant plus intéressant de faire connoître dans toutes ses circonstances, le Voyage du capitaine Marchand, qu'indépendamment d'une Découverte assez importante dans le Grand-Océan, de plusieurs détails nouveaux sur une partie de l'Amérique Occidentale du Nord, encore imparfaitement connue, et d'un grand nombre d'Observations astronomiques, propres à perfectionner l'Art nautique et la Géographie, ce Voyage est le second autour du Monde qui ait été fait par les Français: [...]»(I/CXXXVI).
«Il ne m'a pas été possible de me procurer le Journal même du capitaine Marchand: [...] Mais si nous avons à regretter les remarques particulières que pouvoit contenir son propre Journal, nous devons nous regarder comme dédommagés par la possession de celui du capitaine Chanal qui avoit été chargé personnellement, pendant le cours du Voyage, de toutes les Reconnoissances qui ont été faites, soit des îles découvertes ou visitées dans le Grand-Océan, soit des parties de la Côte Nord-Ouest de l'Amérique, où le Solide a fait la Traite des Pelleteries. [...] Ce Journal tenu avec méthode, et présentant dans le meilleur ordre tous les événemens de la Campagne, réunit à la Table du Loc, transcrite heure par heure, toutes les particularités relatives à la Navigation, que le Lecteur curieux cherche et désire de trouver dans un Journal de Mer; et ce qui n'est pas moins précieux, l'exposé simple et fidelle de tous les faits, et un tableau d'après nature, des hommes et des choses, vus sans préjugés et sans système»(I/CXXXVII).
«Si j'ai souvent présenté les erreurs qui ont pour cause l'effet des Courans, c'est que cette partie des connoissances qu'il importe aux Navigateurs d'acquérir, et qui ne peut être perfectionnée que par le rapprochement et la comparaison des Résultats d'Observations faites en différens temps dans un même parage, ne m'a pas paru avoir été traitée avec assez de développement dans les Journaux des grandes Navigations des Anglais. Mais, en relevant cette légère omission de détail dans leurs Relations, il seroit injuste de ne pas reconnoître, en même temps, qu'ils nous en ont amplement dédommagés par une réunion, une accumulation de connoissances précieuses, d'observations philosophiques, de remarques nouvelles sur la Physique et l'Histoire Naturelle, et par ces grands tableaux, ces grandes vues qu'on ne rencontre pas dans les Relations des Voyageurs qui les ont devancés, et que, sans doute, il ne sera pas commun de trouver dans les Journaux de ceux qui marcheront sur leurs traces. J'ai pensé qu'il seroit monotone et inutile de présenter, jour par jour, l'énumération des Poissons, des Oiseaux, des Plantes marines qui ont été vus dans le Voyage du Solide, et dont le Journal du capitaine Chanal a dû faire et a fait une mention speciale: [...] On doit être aujourd'hui bien réservé à parler sur ce que présentent à la curiosité des Voyageurs les Mers que, dans ces derniers temps, les Navigateurs anglais ont reconnues; il reste peu de choses à dire sur cette matière, [...]: aussi, en me permettant quelques excursions dans le champ de l'Histoire Naturelle, n'ai-je prétendu que rassembler sous les yeux des Navigateurs, des tableaux qui se trouvent épars dans divers Ouvrages ou Relations qu'ils ne sont pas à portée de consulter, et qu'il peut leur être utile de connoître. [...] Il m'a paru que, pour jeter plus d'intérêt dans cette Relation, et faire mieux connoître les Pays et les Peuples, encore nouveaux pour nous, que le capitaine Marchand a visités, je devois ne pas me borner à simplement extraire ce qui en est dit dans le Journal que j'avois sous les yeux; je me suis occupé de rapprocher ce que les Français ont vu, de ce qui nous avoit été rapporté par les Voyageurs des autres Nations, lorsqu'il en est qui ont devancé les nôtres dans les lieux à décrire: c'est ainsi qu'on peut rectifier les récits, les uns par les autres, et obtenir, pour chaque Lieu et pour chaque Peuple, une description qui soit, à-la-fois, et plus exacte et plus complète. [...]; on pourra me pardonner de ne m'être pas toujours assujetti à la marche méthodique, et nécessairement uniforme, d'un Journal de Navigation: on sera plus disposé encore à être indulgent, lorsqu'une Digression aura pour but de maintenir ou de rétablir chaque Nation dans la propriété et la jouissance des Découvertes maritimes qui lui appartiennent, et de s'opposer à l'envahissement toujours croissant de ces ambitieux Insulaires qui, voulant dominer sur toute la surface de l'élément qui environne et défend leurs Possessions d'Europe, prétendent également à la Découverte universelle et au Commerce exclusif des deux Mondes. J'aurois pu faire parler le Voyageur lui-même: cette forme prête plus d'intérêt à la narration, lorsque le Narrateur parle des grandes difficultés dont il a triomphé, des grands dangers auxquels il a su échapper; mais dans un Voyage qui est plus en description qu'en action, j'ai cru devoir préférer la forme de l'Histoire. Le Journal du capitaine Chanal et celui du chirurgien Roblet ont été pour moi des canevas, si je puis le dire, sur lesquels j'ai brodé des sujets accessoires, que j'ai liés au sujet principal dont ils m'ont fourni le dessin; mais quand j'ai rapporté ce que le Voyageur a fait, ou ce qu'il a vu, je me suis assujetti scrupuleusement à son récit: et si je ne dis pas les choses précisément comme il les a dites, je puis assurer que je dis exactement les choses qu'il a voulu dire»(I/CXL-CXLIV).