"Souvenirs d'un voyage..." : esquisse d'une théorie du souvenir au temps du romantisme

Conférencier / conférencière

L'exposé se propose d'examiner le rôle de la mémoire dans le récit de voyage de type romantique. On n'a pas encore attaché assez d'importance à la fonction des titres de récits de voyage qui, à l'instar d'ailleurs de titres romanesques, peuvent servir d'indices d'une mentalité et d'une esthétique concomitante. A cet égard, la mode des "souvenirs de..." qui se répand dès la fin du XVIIIe siècle et dont l'apogée sera probablement atteint vers 1840, n'est pas seulement susceptible d'être interprétée comme la conséquence symptomatique du changement épistémologique orientant vers 1750 le genre du voyage vers une conception résolument subjective. Cette mode indique, en plus, la nouvelle fonction qu'assume l'aperception de l'Autre médiatisée et tamisée, pour ainsi dire, par la mémoire. Or c'est précisément l'empirisme psychologique des Lumières qui prépare cette vogue d'un nouveau subjectivisme. Or le souvenir constitue la base même des théories des sensations (Condillac, Destutt de Tracy, Maine de Biran) dont la conception prépare en même temps la vogue des impressions et la revalorisation positive d'un impressionnisme avant la lettre. La mémoire définie par Destutt de Tracy dans les Éléments d'idéologie comme "une seconde espèce de sensibilité" devient dès lors une source d'identité individuelle, mais aussi de jouissance. En fait, comme Marmontel l'avait déjà écrit dans l'Encyclopédie, le souvenir a partie liée avec l'imagination, de sorte que l'homme de génie "se rappelle les idées avec un sentiment plus vif qu'il ne les a reçues" et que c'est le souvenir qui confère un prestige accru aux choses. Sainte-Beuve chantera la "délicieuse tristesse que ce bonheur à l'état de souvenir" en insistant sur sa "molle et magique lumière" (Volupté), et Maurras maintiendra encore qu'il a "besoin des magiques reculs du souvenir" (Sous mes Jeunes Cyprès) pour goûter le vécu. Le "jugement de réminiscence" (Maine de Biran, Influence de l'habitude...) acquiert ainsi une valeur propre. "L'Ange du souvenir" invoqué par Théophile Gautier (Albertus) "voltigera" alors autour du genre du voyage dont la véritable raison d'être, loin d'être bornée à un simple acte gnoséologique, est devenue - avec la formule stendhalienne - une "chasse au bonheur". Ce dernier n'est pourtant accessible que sous la forme médiatisée des mémoires rétrospectifs.

Référencé dans la conférence : Voyager en France au temps du romantisme
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