Rome au XVIe siècle : les restes de l'Urbs

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Rome fut, à diverses époques, la capitale du monde, de la chrétienté et des arts (voir André Chastel). Elle fournit aussi, avec les Lieux saints de la Palestine, l’ensemble des ruines les plus précieuses et les plus visitées. Les voyageurs de toutes les catégories et de tous les horizons s’y rendirent : rois, princes, pèlerins, artistes pour faits de commerce, de guerre, en quête de « curiosités » et de parfaire le « grand tour ». En 1341, Pétrarque, couronné de lauriers sur le Capitole, en parcourt les ruines avec Giovanni Colonna (Lettres familières, VI, 2). Il revit la Rome antique d’après ses ruines. Mais, dès sa première visite romaine en 1336, il note que les ruines sont plus impressionnantes que la lecture des textes de l’Antiquité pour en saisir la grandeur : un humanisme nouveau, que ne reconnaît pas encore, au siècle suivant, un Erasme, qui, au cours de ses trois séjours romains, n’a pas un mot pour les vestiges architecturaux de la ville ancienne. Pétrarque rêvait de voir ressusciter la Rome antique. Dans le premier sonnet des _Antiquités de Rome_, du Bellay évoque « l’esprit » de Pétrarque. Mais il va très vite découvrir que les papes, souverains temporels de Rome, sont peu portés sur des vestiges qu’ils détruisent pour bâtir une nouvelle Rome de ses marbres. Piccolomini, le futur pape Pie II, est de ceux-là. En 1546, la publication de la _ Roma instaurata_ de Fabio Biondo va inspirer les premiers guides de la Ville. Léon X charge Raphaël d’un relevé des restes de l’ancienne Rome : le grand artiste fait la reconstitution par le dessin d’une Rome imaginaire. Car la renaissance de l’architecture est aussi la renaissance de la puissance politique des papes. Les voyageurs se bousculent au bord du Tibre ; Montaigne parle d’une « ville rapiécée d’étrangers » : Copernic, Luther, Erasme et beaucoup d’autres. La Ville fascine les lettrés nourris de la littérature antique (voir Jean Delumeau). Le « sac de Rome » et les papes eux-mêmes n’en contribuent pas moins à détruire les vestiges de l’ancienne Rome. Les guerres d’Italie révèlent la péninsule aux Français. Montaigne, qui y séjourne en 1580-1581, se flatte d’y être fait « civis romanus », dont il reproduit le diplôme au chapitre « De la vanité » des _Essais_ (III, 9). Les guides topographiques se multiplient : A. Fulvio et B. Mariani, qui inaugurent un véritable tourisme archéologique. Rabelais est tenté d’en faire de même lors de son séjour romain (1533-1534), mais il se contente de réimprimer à Lyon avec une préface l’ouvrage de Mariani. Si les mois passés à Rome avec le cardinal du Bellay furent pour lui éminemment jubilatoire, il n’en fut pas de même de Joachim du Bellay qui lui succéda comme secrétaire du même cardinal (1553-1557). Dans _les Regrets_, il évoque un « malheureux voyage » et porte un regard sévère sur la Ville: sincérité ou jeu littéraire? La réaction des divers voyageurs est très contrastée : Montaigne se refuse à l’enthousiasme devant les ruines et dit son «envie de voir le pavé de Rome », alors que Rabelais considérait la Ville comme « un public échaffaud [scène] du monde ». Mais, pour tous, la vraie Rome est l’imaginaire. Lors de son voyage de pèlerinage à Jérusalem (1588-1591 ; édition : 1595 et nombreuses rééditions), de Villamont décrit,en priorité, les antiquités de Rome avant de se consacrer aux « églises d’icelle ». Pas plus que les autres voyageurs, il ne s’intéresse à l’art contemporain si évident dans la Rome de la Contre-Réforme. Les voyageurs du siècle le découvriront. A cette époque, les ruines de Rome étaient d’ailleurs peu visibles, recouvertes de plusieurs mètres de terre comme le Forum transformé en prairie où pâturaient les vaches (« campo vaccino »). Pour les hommes de la Renaissance, l’antiquité garde la préséance dans l’image de Rome ; c’est une ville palimpseste où le temps retrouvé est le dessein premier du voyageur.

Bibliographie (très) sommaire

Bideaux, Michel, (éd.). Voyage d’Italie (1606), Genève, Slatkine, 1981.
Chastel, André, Le sac de Rome, Paris, Gallimard, 1983.
Delumeau, Jean, Rome au XVIe siècle, Paris, Hachette, 1975.
Dickinson, Gladys, Du Bellay and Rome, Leyde, Brill, 1960.
Macphail, Eric,The Voyage to Rome in French Renaissance Literature, Stanford, ANMA LIBRI, 1990.
Nolhac, Pierre de, Pétrarque et l’humanisme, Paris, Champion, 1965, 2 vol.
Tucker, George Hugo, Homo viator, Genève, Droz, 2004.

Référencé dans la conférence : Civilisations et cités perdues dans la littérature des voyages
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