Présentation du séminaire et bibliographie

Conférencier / conférencière

L’histoire des grands voyageurs de l’âge moderne marque-t-elle la naissance de la littérature de voyage ? Non, si l’on considère que les chefs-d’œuvre de la littérature antique, de Gilgamesh à l’Enéide en passant par l’Odyssée utilisent la forme viatique comme modèle de développement. Les romans arthuriens de l’époque médiévale reprennent les mêmes procédés. On pourrait dire paradoxalement que la littérature des voyages est la matrice de la littérature. Mais la relation de voyage telle que nous l’entendons est le fruit de l’âge moderne, du XVIe au XVIIIe siècle, avant qu’elle ne devienne, au siècle suivant, de la littérature et entre dans les genres reconnus avec le Romantisme. Les voyageurs au long cours de cette première période, entre Grandes Découvertes au XVe siècle et Circumnavigations du XVIIIe, sont confrontés à un monde dont ils sont les premiers à découvrir la forme et l’étendue. Ils ont l’audace des « découvreurs » – formule singulière qui suggère que ce monde n’existait pas avant eux –, ils donnent un nom aux lieux et aux choses, un nom qui est le leur - prise de possession symbolique du nouveau. Petit à petit, la physionomie du monde se précise, d’une cosmographie antique – mondes sublunaire et supralunaire –, d’une cartographie médiévale qui représente le monde comme un artefact de la rédemption (croix liquide au sommet de laquelle est le paradis et dont Jérusalem est le point central), des portulans grâce auquel le commerce en Méditerranée balise les côtes que suivent les navires marchands, de la mappemonde qui divise la planète en zones parallèles et superposées – polaire, tempérée, torride –, on passe à une cartographie encore incertaine qui sera le fruit des grands voyages de découverte. Jusque vers les années 1770 – expéditions de Bougainville et de Cook –, la mesure de la longitude est difficile à effectuer en mer. Comme la plupart de ces grands voyages sont maritimes, la navigation et donc la cartographie qui en découle sont des sciences pratiques assez incertaines : les îles et les continents « voyagent » elles aussi sur les cartes. Du monde connu en Occident, centré sur la Méditerranée limitée par les colonnes d’Hercule à l’Ouest, on va passer à la découverte du monde à partir de la fin du XVe siècle. La prise de Constantinople par les Turcs en 1453 semble couper la route terrestre traditionnelle de la soie et des épices. La quête des épices – essentielle dans l’alimentation médiévale – va conduire à chercher à créer un autre cheminement de l’Asie vers l’Europe. C’est le Portugal de Henri le navigateur qui s’y consacre en osant aborder la « zone torride » de l’Afrique, la route du Sud pour contourner le continent. En 1488, le portugais Bartolomeu Dias passe le Cap de Bonne-Espérance et atteint l’océan Indien. Sur la route de l’Ouest, le Génois Christophe Colomb, au service des Rois catholiques qui ont terminé la « reconquista », pense trouver le Cathay, l’Inde et la Chine en traversant l’Atlantique ; il aborde aux « Indes occidentales » qui vont bientôt porter le nom d’Amérique. En 1494, face à cette concurrence entre les deux nations de la péninsule ibérique, le pape Alexandre VI définit par le Traité de Tordesillas les zones d’influence espagnole et portugaise au nom d’un fictif testament de Constantin. A l’Est d’une ligne située à 370 lieues des îles du Cap-Vert, toutes les découvertes seront portugaises ; à l’Ouest, elles seront espagnoles… En avril 1500, le Portugais Pedro Alvares Cabral aborde au Brésil. Mais les autres nations maritimes ne respectent pas l’accord tripartite conclu. En 1497, le Génois Jean Cabot (Caboto), au service de l’Angleterre, entre dans l’embouchure du Saint-Laurent et « découvre » le Canada. François Ier se gaussera de ce « testament d’Adam » qui semble priver la France de ses découvertes au profit de l’Espagne et du Portugal. En avril 1507, l’imprimeur vosgien de Saint-Dié Waldseemüller donne pour la première fois un nom au « monde nouveau » : celui du rédacteur du – Mundus novus (1503) - relatant la navigation de Colomb, le Génois Amerigo Vespucci : l’Amérique. Entre 1519 et 1522, l’expédition de Magellan achevée par Del Cano réalise la première circumnavigation et « découvre » les Philippines. On ne voyage pas « pour le plaisir » - le terme anglais de « tourisme » naîtra à la fin du XVIIIe siècle pour désigner les adeptes du Grand Tour, le voyage de formation en Europe des futures élites. Les relations de voyage ne sont pas de la littérature, mais des témoignages d’une activité « utile » - au XVIIe siècle, Baudelot de Dairval rédigera un manuel du voyageur sous le titre de ‘De l’utilité des voyages’ –. Voyages de pèlerins aux Lieux saints, « lettres édifiantes et curieuses » des missionnaires (jésuites en particulier) ; voyages de marchands (tavernier, Chardin), voyages scientifiques : la littérature existe dans les interstices de la narration. La Condamine, parti au Pérou pour mesurer l’arc de méridien terrestre, suit le cours de l’Amazone jusqu’à son embouchure sur l’Atlantique en rêvant de trouver le mythique royaume d’Eldorado et les guerrières amazones (1735-1743) ; dans le même dessein savant au Cap de Bonne-Espérance, l’abbé de la Caille découvre l’Afrique réelle et sa population hottentote (1752). Découverte de l’autre et de l’ailleurs renvoient à la découverte de soi-même.

Bibliographie sommaire
Textes

Bougainville, Louis-Antoine de, Voyage autour du monde par la frégate du Roi la Boudeuse et la flûte l’Étoile en 1766, 1767, 1768 et 1769, Paris, Saillant et Nyon, 1771.-, Voyage autour du monde, Michel Bideaux et Sonia Faessel éd., Paris, PUPS, 2001 [première édition scientifique du voyage de circumnavigation]
[Bougainville] Taillemite, Étienne éd., Bougainville et ses compagnons autour du monde 1766-1769. Journaux de navigation, Paris, Imprimerie nationale, 1977, 2 vol. [les autres relations du voyage].
Carré, Barthélemy, Le Courrier du Roi en Orient. Relations de deux voyages en Perse et en Inde. 1668-1674, Dirk Van der Cruysse éd., Paris, Fayard, 2005, 1210 p. [savante édition par un grand spécialiste des deux manuscrits inédits (BnF et British Library) rédigés au moment de la création de la Compagnie des Indes orientales, par un agent de Colbert, aventureux et curieux, doté d’une plume alerte et d’une solide santé ; une vraie découverte].
Chateaubriand, François-René de, Itinéraire de Paris à Jérusalem, in Œuvres complètes, Paris, Ladvocat, 1826, t. 8.
–, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Jean-Claude Berchet éd., Paris, Folio-Classique, 2005.
Choisy, François-Timoléon de, Journal du voyage de Siam fait en 1685 et 1686, Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1687 [réédition présentée et annotée par Dirk Van der Cruysse, Paris, Fayard, 1995].
La Popelinière, Henri Lancelot Voisin, sieur de, Les Trois Mondes. Anne-Marie Beaulieu éd ., Genève, Droz, 1997 (é.o. : Paris, Pierre L’Huillier, 1582) [l’ancien, le nouveau et le monde antarctique à découvrir au XVIe siècle].
Léry, Jean de, Histoire d'un voyage faict en la terre du Bresil, texte établi, présenté et annoté par Frank Lestringant. Précédé d'un entretien avec Claude Lévi-Strauss, Paris, L.G.F. Le Livre de Poche (coll. « Bibliothèque classique »), 1994 [d’après l’édition de 1580].
Levaillant, François, Voyage […] dans l'intérieur de l'Afrique, par le cap de Bonne-Espérance, dans les années 1780, 81, 82, 83, 84 et 85,Paris, Leroy, 1790, 2 tomes.
–, Second voyage dans l'intérieur de l'Afrique par le cap de Bonne-Espérance, dans les années 1783, 84 et 85, Paris, H.-J. Jansen, an III (1794), 3 vol.
Paulmier, abbé Jean, Mémoires touchant l’établissement d’une mission chrestienne dans le troisième monde. Autrement appelé,La Terre Australe ; Méridionale, Antartique, & Inconnue. Édition critique, établie, présentée et annotée par Margaret Sankey, Paris, Honoré Champion, 2006 (coll. « Les Géographies du Monde » VII) [un grand texte sur le Continent austral et le voyage du capitaine de Gonneville entre 1503 et 1505. D’après l’édition de 1664].
Prévost, Antoine-François éd., Histoire générale des voyages. Nouvelle collection de toutes les relations de voyages par terre et par mer qui ont été publiées jusqu’à présent dans les différentes langues de toutes les Nations connues […] pour former un système complet d’histoire et de géographie modernes, Paris, Didot, 1745-1759, 15 vol. [la première encyclopédie française des récits de voyages]
Thevet, André, Histoire d’André Thevet Angoumoisin, Cosmographe du Roy, de deux voyages par lui faits aux Indes Australes et Occidentales. Édition critique par Jean-Claude Laborie et Frank Lestringant, Genève, Droz, 2006 [un manuscrit inédit publié de deux voyages qui n’en fut qu’un en 1555].

Etudes

Bousquet-Bressolier, Catherine éd., L'Œil du cartographe et la représentation géographique du Moyen Âge à nos jours, Paris, Éditions du C.T.H.S, 1995 [comment se représenter le monde].
[Chateaubriand]
Guyot, Alain et Roland Le Huenen, L’Itinéraire du voyage de Paris à Jérusalem de Chateaubriand. L’invention du voyage romantique, Paris, PUPS, 2006 (coll. « En toutes lettres ») [étude littéraire].
Rigoli, Juan, Le Voyageur à l’envers. Montagnes de Chateaubriand ? Suivi de l’édition du Voyage au Mont-Blanc et du Voyage au Mont Vésuve, Genève, Droz, 2005, 160 p. [un singulier imaginaire des montagnes].
Despoix, Philippe, Le Monde mesuré. Dispositifs de l’exploration à l’âge des Lumières, Genève, Droz, 2005, 271 p., ill. (coll. « Bibliothèque des Lumières » 67) [le discours de circumnavigation au XVIIIe siècle].
Duviols, Jean-Paul, L’Amérique espagnole vue et rêvée. Les livres de voyage de Christophe Colomb à Bougainville, Paris, Promodis, 1986 [encyclopédie des voyages en Amérique du Sud].
–, Le Miroir du Nouveau Monde. Images primitives de l’Amérique, Paris, PUPS, 2006 (coll. « Iberica » 17) [réalité et imaginaire dans la représentation de l’Amérique avant et après la conquête espagnole].
Gomez-Géraud, Marie-Christine, Le Crépuscule du Grand Voyage. Les récits de pèlerins à Jérusalem (1458-1612), Paris, Honoré Champion, 1999 [la fin d’un grand mouvement].
–, Écrire le voyage au XVIe siècle en France, Paris, PUF, 2000 [Utile synthèse].
Leoni, Sylviane et Réal Ouellet éd., Mythes et géographies des mers du Sud, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2006 [autour du président de Brosses, les voyages vers la Terre australe, avec la réédition de deux chapitres de l’Histoire des navigations aux Terres australes].
Lestringant, Frank, Jean de Léry ou l’Invention du sauvage. Essai sur l’Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, Paris, Honoré Champion, 1999 [l’ouvrage de référence sur Léry et le Brésil].
Linon-Chipon, Sophie, Gallia orientalis. Voyages aux Indes orientales (1529-1722). Poétique et imaginaire d’un genre littéraire en formation, Paris, PUPS, 2003 [le voyage aux Indes orientales dans la littérature de langue française].
- et Daniela Vaj éd., Relations savantes. Voyages et discours scientifiques, Paris, PUPS, 2006 [des mers lointaines à la Suisse : le progrès des sciences par le voyage].
Le Livre maritime au siècle des Lumières. Édition et diffusion des connaissances maritimes (1750-1850). Textes réunis par Annie Charon, Thierry Claerr et François Moureau, Paris, PUPS, 2005 (coll. « Centre Roland-Mousnier ») [écrire et publier sur la mer au XVIIIe siècle].
Mercier, Roger, L’Afrique noire dans la littérature française. Les premières images, Dakar, Université de Dakar, Département des Lettres et Sciences humaines, 1962 [ouvrage ancien mais toujours utile].
Moureau, François, Le Théâtre des voyages. Une scénographie de l’Âge classique, Paris, PUPS, 2005 (coll. « Imago mundi » 11) [des pages sur les circumnavigations et les voyages lointains]
–, éd., "L’Œil expert : voyager, explorer ", n° spécial de la revue Dix-Huitième Siècle, n° 22, 1990 [les voyages scientifiques et l’exploration au siècle des Lumières].
Pasquali, Adrien, Le Tour des horizons. Critique et récits de voyages, Paris, Klincksieck, 1994 [un ouvrage de référence pour analyser les récits de voyage].
Van der Cruysse, Dirk, Louis XIV et le Siam, Paris, Fayard, 1991 [pour compléter Choisy].
–, Le noble désir de courir le monde. Voyager en Asie au XVIIe siècle, Paris, Fayard, 2002 [synthèse très nécessaire].
Wolfzettel, Friedrich, Le Discours du voyageur. Pour une histoire littéraire du récit de voyage en France du Moyen Âge au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1996 [panorama assez pratique].

Référencé dans la conférence : Littérature des Grands Voyages jusqu’au XVIIIe siècle
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