Le naturaliste Pierre Sonnerat publie en 1782 son "Voyage aux Indes orientales et à la Chine", fait depuis 1774 jusqu'à 1781 par M. Sonnerat, Paris, Froulé etc., 1782, illustré de quatre-vingt planches, dessinées par Sonnerat et gravées par Poisson. Le corpus des gravures est divisé en trois livres. Le livre premier présente les autochtones et leur vie quotidienne. Le livre second est consacré entièrement au panthéon indien. Enfin le livre troisième rassemble tous les pénitents, les rites religieux et les lieux de culte rencontrés par Sonnerat lors de son voyage. Si Sonnerat est naturaliste, dans ce tome I il ne représente ni plantes ni animaux, mais s'attache à reproduire des scènes de vie quotidienne, qu'il veut réalistes et rendant compte des divers types humains rencontrés. Il illustre aussi ses propos de quelques gravures encyclopédiques à visée didactique, le troisième livre entièrement consacré aux dieux hindous est lui agrémenté de nombreuses représentations des divers divinités du panthéon hindouiste. Même si Sonnerat est confronté à des impératifs artistiques, il est d'abord un scientifique envoyé par l'Académie des Sciences afin d'améliorer les connaissances sur les pays lointains. Sonnerat précise qu'il est qualifié pour présenter la vie réelle des Indiens, puisqu'il comprend leur langue et a vécu parmi eux. Il estime donc que son ouvrage sera meilleur que ceux des autres voyageurs grâce à sa connaissance de la civilisation indienne et à sa méthode scientifique d'étude. Afin de rendre authentiques ses observations, Sonnerat collabore avec des Brames savants qu'il envoie faire des recherches à travers le pays. Cette caution vise à répondre à une exigence d'encyclopédiste qui cherche à ramener la réalité aux lecteurs. Sonnerat explique que les gravures sont la traduction de la vision de brames envoyés dans tout le pays ; il s'agirait donc d'un point de vue indien tout de même réinterprété par Sonnerat pour satisfaire au goût européen. Pourtant, par cette garantie scientifique, Sonnerat voudrait présente ses gravures comme particulièrement authentiques et réalistes, sa subjectivité n'entrant pas dans la recherche des sujets. Ce voyage illustré dans un pays lointain n'offre pourtant pas de gravures dans le style des peintres orientalistes. Sonnerat ne représente en effet ni végétation luxuriante, ni animaux étranges pour orner ses gravures, il se contente de représenter ce qu'il voit avec sobriété. Cependant, ce n'est pas l'Inde réelle de la fin du XVIIIe qui apparaît dans cet ouvrage, mais plutôt la représentation d'une Inde mythique alimentée de diverses sources. Sonnerat avant de partir a déjà lu des récits de voyages illustrés, il a donc a l'esprit une série de présupposés qui modifient sa vision du pays. Sonnerat reprend en effet toutes les scènes classiques de la représentation de l'Inde. Dans De L'Inde merveilleuse à Bourbon, édité par le CRI (Centre de Recherche India-Océanique) avec le concours de la DRAC, Saint André de la Réunion, 1985, Madeleine Ly-Tio-Fane fait référence à un intéressant autre type de source, les « Compagny paintings », qui sont des miniatures faites par des artisans indiens, mais sur commande des britanniques, et donc qui allient le style oriental au goût et à la vision européenne. Ces multiples influences croisées font des illustrations de Pierre Sonnerat une bonne synthèse des diverses visions de l'Inde au XVIIIe siècle.
Bibliographie
Sonnerat, Pierre, Voyage aux Indes orientales et à la Chine, fait depuis 1774 jusqu'à 1781 par M. Sonnerat, Paris, Froulé etc., 1782.
Sonnerat, Pierre, Voyage aux Indes orientales et à la Chine, fait depuis 1774 jusqu'à 1781 par M. Sonnerat, Microfilm m.19817 Tome I.
Beauvair, « Lettre sur le dernier ouvrage de M. Sonnerat, 1784, par M. Beauvair, vétérinaire, directeur du haras royal à l'Île de France », in Documents sur l'Inde, histoire de l'Inde 1758-1784, 106 feuillets, Maf.5071.
Foucher d'Opsonville, Supplément au voyage de M. Sonnerat dans les Indes orientales et à la Chine, par un ancien marin Foucher d'Opsonville, Amsterdam et Paris, Clousier, 1785.
Sonnerat, Pierre, Collection de planches pour servir au voyage aux Indes orientales et à la Chine par M. Sonnerat, 1 Volume, in-4°, édition par M. Sonnini, Paris, 1806.
Sonnerat, Pierre, Nouvelle édition, revue et rétablie d'après le manuscrit autographe de l'auteur, augmentée d'un précis historique sur l'Inde depuis 1778 jusqu'à nos jours, de notes et de plusieurs mémoires inédits par M. Sonnini, 4 volumes in 8°, Paris, Dentu, 1806.
Ouvrages critiques
Archer, Mildred, Compagny paintings : indian paintings of british period, published by Victoria and Albert Museum in association with Mapin publishing, London, 1992.
Barthes, Roland, Les Planches de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, Musée de Pontoise, édition association les amis de Jeanne et Otto Freundlich, 1989.
Ly-Tio-Fane, Madeleine, De L'Inde merveilleuse à Bourbon, édité par le CRI (centre de recherche India-Océanique) avec le concours de la DRAC, Saint André de la Réunion, 1985.
Ly-Tio-Fane, Madeleine, Pierre Sonnerat 1748-1814, an account of his life and work, University of London, 1976.
Neven, Armand, « Peintures des Indes : mythologies et légendes », pages 86 à 90, in Catalogue de l'exposition de Bruxelles, Bruxelles, Studio du passage 44, 1976-1977.
Proust, Jacques, Marges d'une utopie, pour une lecture critique des planches de l'Encyclopédie, Le temps qu'il fait, 1985.
Rawson, Philip S, « Les survivances modernes » pages 151 à 154, in La peinture indienne, traduit de l'anglais par Georges Lambin, Paris, édition Pierre Tisné, 1961.
Soustiel et David, Chapitres : « Compagny school » et « Mica-paintings » in Miniatures orientales de l'Inde, les écoles et leurs styles, 3 volumes, Paris, Legueltel diffusion, 1973.