Photogénie des ruines. À propos des images de John B. Greene

Conférencier / conférencière

LA PHOTOGÉNIE DES RUINES : À PROPOS DES PHOTOGRAPHIES DE JOHN B. GREENE

Quelques références :

  • John B. Greene, Le Nil – Monuments, Paysages, Explorations photographiques, 1855.
  • Maxime Du Camp, Égypte, Nubie, Syrie et Palestine, 1852.
  • Félix Teynard, Égypte et Nubie, sites et monuments, 1855.
  • Auguste Salzmann, Jérusalem : étude et reproduction photographique des monuments de la ville sainte, 1856.
  • Henry Cammas, L’Égypte photographiée, 1864.

Quelques repères chronologiques :

  • Au tout début, jusqu’en 1850 : Des daguerréotypes sont utilisés par les voyageurs ; mais il n’en reste que peu de traces. Fréderic Goupil-Fesquet accompagne le peintre Horace Vernet. Difficultés : lourdeur du matériel, chaleur du climat, poussière, le développement doit obligatoirement se faire dans la foulée de la prise de vue… Ces images sont uniques.
  • De 1850 à 1880 : âge d’or :
    • À partir de 1850, le calotype (procédé négatif / positif sur papier) est plus léger et séduit les voyageurs. Il va permettre la parution des albums cités ci-dessus. -
    • Après 1860, les négatifs sur plaque de verre au collodion tendent à se généraliser : plus grande sensibilité. Parallèle il y a une modification des centres d’intérêt : types pittoresques, couleur locale, modes de vie.
  • 1880 : terme d’une production commerciale de qualité : Le voyage en Orient bascule de l’aventure individuelle à l’itinéraire balisé par les guides. Ensuite, les cartes postales et les clichés d’amateurs sont de plus en plus nombreux. En 1881, le guide Joanne invite le touriste à s’adonner à la photographie.

Danièle Méaux, professeur d’esthétique et sciences de l’art à l’Université de Saint-Étienne, présente dans cette conférence les principales caractéristiques de la photographie de voyage au XIXème siècle avant de centrer son propos sur le travail de John B. Greene, colotypiste méconnu et pourtant « virtuose de la lumière ». La photographie de voyage est « un avatar d’un mouvement plus global » que l’on voit se développer dans la littérature et la peinture de cette époque : une fascination pour l’Egypte, considérée comme le nouveau berceau de notre civilisation avec la Grèce et l’Italie. C’est durant l’âge d’or de la photographie de voyage du XIXème siècle que ce situe l’œuvre de John Beasley Greene (1832-1856) qui, grâce au pays des pharaons, put faire converger ses deux grandes passions : l’archéologie et la photographie. Son livre Le Nil. Monuments, Paysages, Explorations photographiques, publié en 1854 par Blanquart-Evrard peut apparaître comme le témoignage abouti de l’usage du colotype, une technique à l’esthétique si particulière et qui ne fut plus jamais utilisée ensuite. Les clichés réalisés par les photographes de cette époque (Maxime Du Camp, Auguste Salzmann…) ont une fonction scientifique et documentaire. Reconnus comme « utiles à la science et à l’archéologie », ils bénéficient du statut privilégié « d’archives du monde ». Ces photographies de monuments, véritables memento mori, inspirent une méditation sur la fuite du temps, la fragilité humaine, l’irréversibilité du flux temporel. « Ces clichés de ruines induisent une puissante pulsion vers les origines à l’heure où nait l’archéologie. » Danièle Méaux se concentre sur l’œuvre de John B. Greene et plus particulièrement sur le rôle de la lumière, le traitement de la lumière sur les ruines et l’insertion de ces ruines dans le paysage. En effet, John B. Greene accorde une place beaucoup plus importante au paysage que les autres photographes de son temps ayant travaillé sur les mêmes sujets. Greene fut l’élève de Gustave Le Gray, inventeur de la technique du négatif sur papier ciré sec qu’il utilise, et l’influence du maître, et de l’école française du colotype, se sent dans sa manière artistique de traiter les paysages, manière qui emprunte à la peinture l’art du sacrifice, privilégiant la masse aux détails. La première spécificité remarquable de l’œuvre de John B. Greene est son travail sur l’ombre et la lumière. Les lumières sont rasantes, matinales. Elles allongent les ombres, créent un rythme et un effet plastique. La lumière est souvent utilisée comme facteur de dramatisation de la photographie. Formes et signes paraissent parfois sortir littéralement de la pénombre. Le regardeur assiste à « une théâtralisation de l’apparition, comme si le passé faisait soudainement surface ». Par comparaison à ses « confrères » de l’époque, John B. Greene, « virtuose de la lumière » propose, selon Danièle Méaux, un traitement de la lumière d’une plus grande subtilité, d’une sensualité plus affirmée. Une seconde originalité du travail de Greene demeure la place singulière attribuée au paysage. Sa manière très personnelle de traiter cet élément photographique consiste d’abord dans la présence récurrente d’une végétation importante. Ensuite, la structuration de l’image, aérée et vaporeuse, donne le sentiment d’une vapeur impalpable enveloppant un étagement de plans dans la profondeur de l’espace, « d’une harmonie sertie dans un voile atmosphérique ». Enfin, le dépouillement de ses paysages marque son style propre, laissant ainsi flotter un sentiment d’immensité, d’étendue, de vacuité. Danièle Méaux révèle ainsi l’originalité d’un photographe au style propre, qui émerge à la confluence d’influences diverses, et invite son auditoire à rêver de « ce qu’aurait pu être son œuvre s’il avait vécu plus longtemps et que ce début magistral n’avait pas été interrompu très vite. »       

Référencé dans la conférence : Le voyage en Orient au XIXe et au XXe siècle
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