Martine Jacques évoque L.-A. Caraccioli (1719-1803), qui fut un de ces écrivains longtemps considérés comme « ennemis des Philosophes » du fait de sa large production apologétique ; aujourd’hui, il est plutôt situé dans une certaine marge des Lumières. En effet, son œuvre a beaucoup évolué sur un demi-siècle de production et s’est progressivement ouverte à des valeurs plus modernes. Elève puis enseignant chez les Oratoriens, Caraccioli a ensuite voyagé en Italie puis en Pologne. C’est dans la péninsule italienne qu’il a d’ailleurs commencé sa carrière littéraire. Italophone, issu d’une famille napolitaine à la fortune très diverse, il a sillonné seul, puis, à plusieurs reprises, accompagné de son élève Rzewuski, l’Italie du Nord au Sud . Grâce à son nom et à ses liens familiaux, il a pu pénétrer les milieux de la curie romaine. S'il n’en a pas tiré de récit de voyage personnel, il a réinvesti ses connaissances dans plusieurs ouvrages consacrés à la Papauté, dont le plus célèbre est les "Lettres intéressantes du pape Clément XIV" (Ganganelli), 1776 ,ou dans des textes allégoriques comme "Le Voyage de la Raison en Europe" (1772). Mais il a aussi parsemé une bonne partie de son œuvre d’allusions à l’Italie. Outre les circonstances de ses déplacements entre 1755 et 1760, on examine comment la description géographique et humaine de ce pays s’inscrit dans un projet idéologique et apologétique général du polygraphe à replacer dans la tradition des mirabilia revivifiée par la vision malebranchienne de la nature. On s'intéresse aussi au portrait qu’il trace d’une Italie aux conditions politiques et humaines contrastées. Dans son analyse du fonctionnement du pays et dans sa description de ses mœurs, mais surtout dans le regard positif qu’il porte sur l’Italie contemporaine et sur son peuple, Caraccioli fait plutôt figure d’exception. En effet, la plupart des voyageurs français du XVIIIe siècle (dont Sade déjà évoqué serait un assez bon exemple) ont tendance à dévaloriser systématiquement la culture italienne qu’ils rencontrent et surtout celles des Etats Pontificaux au profit de l’exaltation de la Rome antique ou artistique. On constatera que, dans tous les cas, il s’agit d’un regard davantage déterminé par les idéologies dont sont porteurs les voyageurs que par les lieux rencontrés. L’auteur, fervent catholique proche des milieux curiaux, est évidemment porté à l’indulgence, même s’il reprend à son compte un certain nombre de critiques formulées par les tenants des Lumières. C’est pourquoi on peut , avec un certain nombre de réserves, appliquer à ses écrits sur l’Italie le qualificatif d’ultramontains. On voit enfin comment cette idéologie s’inscrit dans des formes diverses, récits allégoriques, lettres, anecdotes, choix du souvenir personnel qui donnent à l’expérience du voyage et plus encore à celle de son écriture une finalité et un sens particuliers, l’artifice des mises en œuvre du discours renforçant les lieux rhétoriques et idéologiques tandis que s’estompent les lieux réels.
BIBLIOGRAPHIE :
A. Ouvrages de L.-A. Caraccioli traitant largement de l’Italie et de la Papauté:
-Eloge historique de Benoît XIV, Liège, Bassompierre, 1766, in-8°, 108 p.
-Lettres intéressantes du pape Clément XIV (Ganganelli) traduite de l'italien et du latin, Paris, Lottin, Lyon. Bruyset-Ponthus ; Rouen, Bénitier, 1776, 2 vol., in-8°, 410 p., 408 p., + Table des lettres avec leurs destinataires.
-Vie (la) du Pape Benoît XIV, Prosper Lambertini, Paris, Nyon, 1783, in-8°, 273 p.
-Vie (la) du Pape Clément XIV (Ganganelli), Paris ,Veuve Desaint, 1775, in-8°, 383 p., réed.1776.
-Voyage (le) de la Raison en Europe, Paris, 1772,i n-8°, 2 vol., 387 p., 402 p.
B. Ouvrages de L.-A. Caraccioli traitant incidemment de l’Italie
-Cri (le) de la Vérité contre la séduction du Siècle, par l'auteur de la Conversation avec soi-même, Paris, Nyon, 1765, in-8°, 366 p.
-Dictionnaire critique, pittoresque et sentencieux propre à faire connoître les usages du Siècle ainsi que ses bizarreries, par l'Auteur de la Conversation avec soi-même, Lyon, Duplain, 1768, 3 vol., in-8°, 302 p., 315 p., 298 p.
-Lettres récréatives et morales sur les mœurs du temps à M. le Comte de ..., par l'Auteur de La Conversation avec soi-même, Paris, Liège, Bruxelles, Bassompierre, Van der Berghen, 1767, 4 vol., in-8°, 198 p., 225 p., 212 p., 203 p., rééd. 1768.
-Véritable (le) Mentor ou l'éducation de la noblesse, par le Marquis Caraccioli, Colonel au service du Roi de Pologne, Electeur de Saxe, Liège, Bassompierre, 1759, in-8°, 301 p., rééd.1761,1762,1765,1767.
C. Ouvrages des contemporains
-Coyer Abbé, Voyage d'Italie in Voyage en Italie et en Hollande, Paris, Duchêne,1775.
-De Brosses C., Lettres familières écrites d'Italie, Paris, Didier, 1858.
-C. Dupaty, Lettres sur l'Italie en 1785, Paris, 1788
-Montesquieu, Oeuvres Complètes, ed. R. Caillois, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléïade, 1949
-Voyage en Italie ou Considérations sur l'Italie par feu M. Duclos, Paris, Brisson, 1971.
D. Ouvrages et articles critiques
-Albertan-Coppola S., "Un apologiste mondain, le Marquis Louis-Antoine de Caraccioli.", in Ragioni dell'anti-illuminismo, Turin, Edizioni dell'Orso, 1992.
-Albore-Livadie C., "Les portes de l'Enfer" in Naples, Autrement, Série Monde HS n°74
-Andrieux A., Les Français à Rome, Paris, Fayard, 1968.
-Bertaux J., L’Italie vue par les français, Paris, Librairie des Annales, s.d.
-Broc N., La géographie des Philosophes-Géographie et voyageurs français au XVIIIe siècle, Paris, Ophrys, 1974.
-Chevallier E., « Les Lettres sur l’Italie du peintre A.-L. Castellan (1772-1838) Du voyage vécu (1799) au voyage écrit (1819) ou les illusions perdues » in Le second voyage ou le déjà-vu, Moureau F. (éd), Paris, Klincksieck, 1996
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-Martinet M.-M., Le voyage d'Italie dans les littératures Européennes, Paris P.U.F., 1996.
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-Pomeau R., L'Europe des Lumières, Paris, Stock, 1991.
-Stroev A., Les aventuriers des Lumières, Paris, PUF, 1997.
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