Le franchissement des limites dans les récits de flibustiers et de corsaires (XVIIe-XVIIIe siècles)

Conférencier / conférencière

Les héros sont parmi les plus productifs des topoï dans la littérature baroque du premier XVIIe siècle. L’évolution vers le Classicisme et la littérature morale qui critique l’hypertrophie du moi amène à une reconsidération. Il faudra trouver des héros en dehors de la société européenne. Ils viendront en partie de la littérature de voyage et de l’Orient à travers la traduction à partir de 1704 de _Mille et une nuits_ d’Antoine Galland. Le succès des récits maritimes participera à cette reconstruction du héros. Et la figure plus emblématique fut celle du pirate. La publication française en 1686 de l’_ Histoire des aventuriers qui se sont signalés dans les Indes contenant ce qu’ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années_ par Alexandre-Olivier Exquemelin marque la naissance de la mythologie des flibustiers. Le flibustier qui sévit aux Caraïbes et sur les côtes de l’Amérique centrale est une variante moderne du pirate, dont la naissance en littérature date d’Homère. Contrairement au corsaire muni par le pouvoir d’État de « lettres de marque » ou « de course » qui l’autorise en temps de guerre à attaquer les ennemis de cet État et sont, en quelque sorte, des pirates officiels, les flibustiers d’Amérique, surtout français et anglais, écument la mer _ « les écumeurs de mer »_ et pillent tout ce qu’ils rencontrent et, dans ces régions, les galions espagnols au premier chef. Sans foi ni loi, ils représentent la transgression absolue. Cette transgression s’exprime par rapport aux règlements et traditions civilisés : les relations tendront à en montrer néanmoins la nécessité, sinon la légitimité. Cette transgression abolit toutes les lois internationales, dont celles de la guerre et de la paix : la guerre est permanente. Les relations de flibustiers, originales ou rédigées par des « relateurs », tentent une mise en forme des faits sur le mode rhétorique de l’épopée. L’âge d’or de la flibuste caraïbe fut la fin du XVIIe siècle, même si elle existait au siècle précédent et qu’elle se poursuivit jusqu’au milieu du XVIIIe. Dans des lieux emblématiques comme l’île de la Tortue, au nord de Saint-Domingue, les flibustiers pratique l’excès comme mode de vie. Organisées par les « chasse-parties », les expéditions maritimes de « frères de la côte » - une démocratie où la moindre faute est sévèrement punie- pratiquent un compagnonnage de nécessité, contrarié à l’occasion par les dissensions religieuses entre Français et Réformés. L’expérience quotidienne de la mort, le refus d’envisager autre chose que la jouissance de la vie présente, sans préoccupation de passé ni d’avenir, la conscience d’une prédestination précoce – souvent à 7 ans !- qu’il est inutile de vouloir contrarier, l’indifférence au risque métamorphosent ces hommes dans l’écriture mémoriale en héros d’un monde moral à l’envers et les justifient : si l’Espagnol fut le fléau des Indiens, le flibustier se flatte de rétablir l’équilibre en devenant le fléau des Espagnols. Ces portraits grossièrement épiques font contraste avec la littérature de l’honnête homme : Exquemelin est publié en France deux ans avant la première édition des _Caractères_ de La Bruyère.

ÉLÉMENTS COMPLÉMENTAIRES DE BIBLIOGRAPHIE

Récits de flibustiers ou de corsaires : Se reporter à la bibliographie indiquée par François Moureau, lors de la séance inaugurale de ce séminaire:

Exquemelin, Alexandre Olivier, _Histoire des aventuriers flibustiers_, Réal Ouellet et Patrick Villiers éd., Paris, PUPS, 2005 (coll. « Imago mundi » ‘Textes’) [réédition savante de l’édition originale : _Histoire des aventuriers qui se sont signalés dans les Indes contenant ce qu’ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années_, Paris, Le Febvre, 1686, 2 vol.].

A ajouter:

_Mémoires du comte de Forbin (1656-1733)_, Paris, Mercure de France, coll. « le Temps retrouvé », 1993 (1729)

_Histoire du sieur de Montauban, capitaine flibustier, par lui-même_, Toulouse, Anacharsis, 2002

Études diverses

ATKINSON, Geoffroy, _Les relations de voyage du XVIIe siècle et l’évolution des idées_, réédition: Genève, Slatkine, 1972

DESCHAMPS, Hubert, _Pirates et flibustiers_, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1973

JAEGER, Gérard A., _Pirates, flibustiers et corsaires : histoire et légende d’une société d’exception_, Avignon, Aubanel, 1987

JAL, Augustin, _Nouveau glossaire nautique_, Paris et La Haye, Mouton, 1970 (1848)

LAPRISE, Raynald, _Le diable volant : l’histoire, l’époque, la vie et les mœurs des flibustiers, pirates, corsaires de la Jamaïque, de Saint-Domingue et autres lieux dans l’Amérique durant la seconde moitié du XVIIe siècle_, Québec, 2000-2004,
http://www.geocities.cvom/trebutor/menu.html

LEPERS, Jean-Baptiste, _La tragique histoire des flibustiers : histoire de Saint-Domingue et de l’île de la Tortue, repaire des flibustiers, écrite vers 1715 par le Rév. P. Lepers, recueillie et adaptée par Pierre-Bernard Berthelot_, Paris, CR7S, 1925

NERZIC, Jean-Yves et Christian BUCHET, _Marins et flibustiers du Roi-Soleil, Carthagène 1697_, Aspet, Pyrégraph, 2002

REQUEMORA, Sylvie, et Sophie LINON-CHIPON, dir., _Les Tyrans de la mer : pirates, corsaires et flibustiers_, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, et Québec, Septentrion, 2002

VILLIERS, Patrick, _Les corsaires du littoral : Dunkerque, Calais, Boulogne, de Philippe II à Louis XIV (1563-1713) : de la guerre de 80 ans à la guerre de Succession d’Espagne_, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2002 (2000)
-,-, « La guerre de course à Dunkerque et en Manche du XVIe siècle au milieu du XIXe siècle » in _Jean Bart, du corsaire eu héros mythique_, catalogue de l’exposition du Musée des Beaux-Arts, Dunkerque, Paris, Somogy Éditions, 2002

_Vues sur la piraterie. Des origines à nos jours_, sous la dir. de Gérard A. Jaeger, Paris, Tallandier, 1992, coll. « Approches »

Référencé dans la conférence : La littérature de la mer
Date et heure
Localisation
Documents
Fichier audio