La religion de l'autre : de l'aperçu au système

Conférencier / conférencière

Si la dimension religieuse constitue déjà en elle-même un aspect particulièrement important dans toute société, il semblerait que plus la distance au clocher de la paroisse est grande, plus la religion devient importante dans le récit du voyageur. Certes, cela est moins évident pour un monde occidental "sécularisé" mais reste vrai pour son passé . L'expansion européenne après Colomb a eu lieu dans une période de schisme et d'intolérance religieuse. L'hétérogénéité religieuse au sein de l'Europe même et celle observée dans des contrées lointaines entretient, en effet, des rapports étroits. La religion n'a jamais cessé d'occuper l'esprit du voyageur européen. La gamme des positions est vaste. Alors que pendant les guerres de religion, la religion du "sauvage" servait de modèle négatif pour discréditer l'ennemi catholique ou protestant, "les philosophes" utiliseront la religion de l'autre comme modèle positif pour discréditer celle de la société d'origine du voyageur (et celle du lecteur). Comme c'était déjà le cas dans le débat de Valladolid qui mettait en question l'humanité des Amérindiens, la religion (ou le manque de religion) de l'Amérindien a continué à jouer un rôle primordial dans les perceptions des autochtones par les Européens. Quant à la qualité de l'observation et ses objectifs, celle-ci varie grandement entre l'observation de singularités et les esquisses et analyses de doctrines générales. Différents modèles se suivent: la réhabilitation des Amérindiens comme des êtres humains, leur évangélisation plus ou moins forcée et leur récupération comme de "bons sauvages" pour une critique civilisatrice de l'Occident. Rares sont les analyses qui décrivent les pratiques et les croyances en adoptant le point de vue des Amérindiens.
Les Mœurs des sauvages amériquains comparées aux mœurs des premiers temps (1724) de Joseph-François Lafitau (1681-1746) sont à cet égard une œuvre exceptionnelle. Plus connue par les spécialistes que par le public général, le texte est souvent qualifié de texte fondateur de l'ethnologie comparative, et son auteur de précurseur de l'anthropologie scientifique. Alors que les descriptions ethnographiques de Lafitau sont réputées pour leur sensibilité et leur proximité à la culture autochtone, ses commentaires au sujet de la religion amérindienne (qui manquent en règle générale dans les rééditions du texte) sont classés dans la rubrique des écrits apologétiques. D'où les questions suivantes : Comment est-il possible de séparer ainsi la description de la "culture" de celle de la "religion"? Quels sont les présupposés d'une telle distinction ? Quel rôle joue la religion dans la relation à l'autre ? Et surtout, comment situer ce texte dit "ethnographique" par rapport à la tradition littéraire des "récits de voyage" ? L'analyse des questions permettra non seulement de jeter une nouvelle lumière sur une œuvre singulière, mais aussi de repenser les catégories analytiques à l'œuvre dans "la littérature de contact."

Référencé dans la conférence : 14e Colloque international du CRLV : Récit de voyage et religion
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