Les Terres australes sont situées entre le 40e et le 50e degré de latitude sud. Ce ne sont que des îles. Á l’époque moderne, et jusqu’au XVIIIe siècle, on imaginait que les continents de l’hémisphère nord devaient être équilibrés au sud par des masses continentales équivalentes. En 1503, le capitaine de Gonneville poussant vers le sud aurait trouvé une contrée paradisiaque où des indigènes hospitaliers vivaient dans une abondance naturelle. De ces « Indes méridionales » - qui complétaient les Orientales et les Occidentales -, il ramena un témoin, le prince indien Essomeric. Son récit fut déposé à son retour. Le récit de Gonneville –vrai ou faux - fut à la source de nombreuses expéditions vers les terres australes, la « terra incognita », qu’il s’agissait de retrouver. En 1582, La Popelinière fit la publicité de ce « troisième monde » - après l’Ancien et le Nouveau - qui devait revenir, celui-ci, aux Français. Mais ce fut seulement en 1663 que le texte de Gonneville fut connu par la publication qu’en fit son descendant l’abbé Paulmier : on ne sait toujours pas avec certitude aujourd’hui si ce récit est authentique ou s’il fut fabriqué (voir la journée de CRLV, mai 2007 : http://www.crlv.org/swm/Page_colloque_detail.php?P1=54 ). En 1722, encore, François Coréal part vers les terres australes en se persuadant de prouver la vérité du récit de Gonneville. Mais c’est à Bouvet-Lozier, un officier de la Compagnie des Indes, que vont revenir, dans les années 1730, les premières découvertes. Sa mission : retrouver la terre de Gonneville pour y installer une « nouvelle Europe ». Deux frégates de la Compagnie partent en 1738 vers le sud de l’Atlantique à travers brumes et brouillards, mirages et icebergs. Au 54° de latitude su, il croit découvrir la pointe d’un contient, qu’il nomme cap de la Circoncision (1er janvier). Mais il ne peut aller plus loin et retourne vers le nord. Il publiera seulement en 1740 sa relation dans les _Mémoires de Trévoux_, organe périodique de la Compagnie de Jésus, puis dans le _Conservateur_, autre journal du temps. Son récit fut critiqué par Maupertuis, qui, depuis son voyage au nord, s’était proclamé le spécialiste des hautes latitudes. La Compagnie des Indes renonce à toute expédition, faute d’un intérêt économique. En 1756, le président de Brosses relance la croyance dans la terre de Gonneville en publiant en deux volumes une série de relations qui semblent confirmer le texte primitif. Mais il faudra attendre les années 1770 pour voir se renouveler les expéditions. En 1771-1772, un ancien officier de la Compagnie des Indes encore, Marc-Joseph Marion-Dufresne, et son second Julien-Marie Crozet naviguent directement vers le sud à partir du cap de Bonne Espérance : ils découvrent en janvier 1772 ce que l’on appellera plus tard les îles du prince Édouard, Marion, Crozet, etc. et prennent pied sur l’île de la Possession, une terre dépourvue de toute possibilité de survie ; remontant vers les côtes de la Nouvelle-Zélande, Marion est massacré par des indigènes. Le récit de l’expédition sera seulement publié en 1783 par l’abbé Rochon. Ce fut encore Yves de Kerguelen, officier de la Marine du Roi, qui, en 1771, partit à la découverte de la Terre de Gonneville. Il aborda par 49° sud à l’île de Kerguelen, que, dans un rapport mensonger, connu, mais non publié, il présenta comme un paradis de verdure où vivaient de nombreux habitants. En 1773-1774, il repartit vers le sud accompagné de colons. Il fallut bien constater que l’île, dans le brouillard, n’était d’« aucune ressource ». Kerguelen continua son rêve aventureux à Madagascar, sans plus de succès. Le récit de Rochon cité plus haut mettait en doute définitivement l’existence de la Terre de Gonneville. En 1775, l’« Affaire Kerguelen », son procès à Brest, qui révélait ses diverses malhonnêtetés, sa condamnation retardèrent la publication de sa propre relation. Entre temps, James Cook, le vrai découvreur des Terres australes, avait prouvé l’inexistence du Continent austral mythique. Ses trois voyages (1768-1771 ; 1772-1775 ; 1776-1779) lui permirent de vérifier les découvertes de Marion-Dufresne et de Kerguelen, mais surtout, lors du troisième voyage, de prouver que ces îles perdues dans la mer australe ne formaient pas un continent. En définitive, le véritable explorateur fut Cook ; les Français partaient de prémisses fausses – la Terre de Gonneville – et, même s’ils furent souvent les découvreurs, Cook fut celui qui en tira les conséquences scientifiques et cartographiques. Il reste de cette épopée française assez peu de documents écrits, bien que ces officiers, anciens gardes de marine, fussent assez cultivés. L’abbé Rochon est le « relateur » de Marion Dufresne. Kerguelen publie en 1782 sa _Relation de deux voyages dans les mers australes _, qui n’est qu’un long plaidoyer pro-domo et qui n’apporte rien sur ses découvertes. Le marquis de Rochegude, second de Kerguelen, est plus précis. François de Pagès, autre officier de Kerguelen publie en 1782 un très intéressant _Voyage autour du monde_, où il prend soin de ne pas citer son supérieur. Ce qui frappe dans ces relations est le défaut de descriptions et le refus de la sensibilité. Le romantisme effrayant des mers australes – tempêtes, icebergs, « paysage sublime », etc.- sera mis en valeur plus tard par les baleiniers américains, dont les récits seront traduits en 1839 et qui inspireront d’Edgar Poe (_Aventures d’Arthur Gordon Pym_) à Herman Melville (_Moby-Dick_).
BIBLIOGRAPHIE
SOURCES MANUSCRITES
Campagne du navire l’Espoir de Honfleur 1503-1505, 12 fts in-4°, à l’Arsenal à Paris (Mss 3221, HF 24 ter)
KERGUELEN, Yves de, Réflexions sur les avantages que peut procurer la France Australe, aux Archives nationales (fonds Marine B/4/317 pièce 108)
ROCHEGUDE, Henri de, Lettres sur son voyage au Bengale et sur la côte de Coromandel, 1770, 9 fts, Département des manuscrits à la BnF (Mss. Naf.9347, ff.49-57)
ROSILY, Mémoire sur l’île de Timor, 1772, 4 fts in-4° , au Service historique de la Marine à Vincennes (Mss 110bis/162 pièce 17)
KERGUELEN et BENIOWSKY, Pièces manuscrites et correspondances, aux Archives Nationales (Fonds Marine) à Paris ; aux Archives d’Outre-Mer à Aix-en-Provence ;aux Archives du Ministère des Affaires étrangères (Mémoires et documents), à Paris ; aux Services historiques de la Marine, à Paris et à Brest ; à la bibliothèque de l’Institut, à Paris ; au Département des manuscrits, à la BnF, à Paris ; aux archives de l’Académiedes sciences, à Paris ; aux Manuscripts de la British Library, à Londres;Archives privées du duc de Croÿ, à Dülmen (Allemagne)
DOCUMENTS ET ETUDES
BENIOWSKY, Memoirs and travels, London, 1789.
BOUVET, Histoire du voyage, dans : Journal de Trévoux, 1740 ; dans : Histoire générale des voyages, éd. A.Prévost, 1753 ; dans : Le Conservateur, nov.1757-août 1758.
BROSSES, président Charles de, Histoire des navigations aux terres australes, Paris, 1756.
COOK, capitaine James, Troisième voyage, 1776-1780, Paris, 1785.
COREAL, François, Voyages aux Indes occidentales, nouv.éd., Paris, 1722.
DUMONT D’URVILLE, Jules, Voyage au pôle sud, Paris, 1842-1854
DU ROSTU, Loïc, Le Dossier Kerguelen, Paris, 1992.
EMMANUEL, M., La France et l’exploration polaire, Paris, 1959.
FLACOURT, Etienne de, Histoire de la grande île de Madagascar, Paris, 1658, 1661.
Le Voyage de GONNEVILLE (1503-1505), éd. Leyla Perrone-Moisés, Paris, 1995
KERGUELEN, Yves de, Relation de deux voyages dans les mers australes, Paris, 1782.
MARTIN-ALLANIC, J.E., Bougainville navigateur et les découvertes de son temps, Paris, 1964
LA POPELINIERE, Les Trois mondes, Paris 1582.
MAUPERTUIS, Lettre sur le progrès de la science, Paris, 1752
MORRELL, Benjamin, A Narrative of four voyages, 1822 to 1831, New York, 1832
Trad. in MONTEMONT, Bibliothèque universelle des voyages, vol.20, Paris, 1833.
PAGES, François de, Voyages autour du monde, vers les deux pôles, Paris, 1782
PAULMIER, abbé Jean, Mémoires touchant l’établissement d’une mission chrestienne dans le troisième monde, autrement appelé La Terre Australe, Paris, 1663.
Rééd. par Margaret Sankey, Paris, 2006.
POE, Edgar Allan, The Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket, New York, 1838.
ROCHON, abbé Alexis de, Nouveau voyage à la mer du sud, Paris, 1783 (contient le récit du commandant Julien Crozet sur le voyage de Marion-Dufresne))