Voyages et utopies de la Renaissance aux Lumières : une réponse à la mondialisation

Conférencier / conférencière

La mondialisation n’est pas un phénomène exclusivement contemporain, mais un processus historique cyclique qui s’est ouvert avec la découverte de l’Amérique et a pris une nouvelle direction à la fin du XVIIIe siècle.

Habituellement compris comme l’expression des aspirations au changement social, le genre de l’utopie narrative, alors florissant, ne peut-il s’interpréter également comme une réponse à ces premières formes de mondialisation ? C’est l’hypothèse qu’on s’est proposé d’explorer en montrant que la mondialisation suppose l’existence d’une communauté humaine et la possibilité d’une rencontre des civilisations, véritable sujet des utopies littéraires classiques, « genre viatique » se présentant souvent comme le prolongement de récits de voyages réels.

L’universalisme chrétien inspire le texte fondateur du genre, L’Utopie de Thomas More (1516), tributaire du triple contexte de la découverte de l’Amérique, de la réappropriation de la culture antique et de l’humanisme évangélique. Mais la dialectique de l’échange interculturel disparaît déjà dans une utopie de la Contre-Réforme comme La Cité du Soleil de Campanella (1623).

Malgré son substrat théologique, La Terre Australe Connue de Gabriel de Foigny (1676) consacre la crise du modèle de l’unification chrétienne du monde : aucune communauté n’est possible entre l’homme pécheur et les Préadamites austraux de Foigny, dont la perfection est incompatible avec la nature humaine, comme le prouve l’histoire du voyageur-narrateur et l’échec de la fonction christique qu’il incarne.

La pensée des Lumières ouvre un nouvel universalisme laïcisé, fondé sur le principe de rationalité et l’échange marchand, qui en apparence conteste l’hégémonie de l’Europe en valorisant les différences, mais se présente aussi comme le dénominateur commun de la diversité des cultures. Ces contradictions sont illustrées dans l’utopie du Supplément au Voyage de Bougainville (1772), où Diderot s’en prend au colonisateur, à la religion et aux tabous moraux européens, mais leur substitue un nouveau modèle unificateur, libéral, hédoniste et utilitariste, qui à son tour entre en crise aujourd’hui sous nos yeux.

Notice biobibliographique

Actuellement professeur émérite de littérature française et comparée à l’Université de La Réunion après y avoir enseigné pendant de très nombreuses années, Jean-Michel Racault est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud, agrégé et docteur d’Etat (thèse : L’utopie narrative en France et en Angleterre, 1675-1761, Oxford, The Voltaire Foundation, 1991, nouvelle édition 2010). Ses domaines de recherche, orientés principalement vers les XVIIe et XVIIIe siècles, portent sur les utopies et robinsonnades, les littératures de voyage, la thématique insulaire, les littératures francophones de l’océan Indien. Il a organisé fin 2009 un colloque sur Bernardin de Saint-Pierre et l’océan Indien. Ouvrages récents dans les domaines de l’utopie et des voyages :


Nulle part et des environs.
Voyages aux confins de l’utopie littéraire classique (Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2003) ;
Voyages badins, burlesques et parodiques du XVIIIe siècle (Saint-Etienne, Presses de l’Université de Saint-Etienne, 2005) ;


Mémoires du Grand Océan.
Des relations de voyages aux littératures francophones de l’océan Indien (Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2007).


Vient de paraître :
Robinson et compagnie. Aspects de l’insularité politique de Thomas More à Michel Tournier (Paris, Editions Pétra, 2010).

Référencé dans la conférence : Séminaire M2FR436A/M4FR436A : Voyages XVIe-XVIIIe siècles : Voyages aux îles d’utopie
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