Témoignage

Conférencier / conférencière

Suite à une erreur, la conférence d'Olivier Weber n'a pas été enregistrée. Avec toutes nos excuses.

Résumé

Dans la préface du Voyage au pays de toutes les Russies, Emmanuel Carrère écrit à propos de son auteur, Olivier Weber, qu’il est de l’espèce des reporters centrifuges : « Les centrifuges, en revanche, quand ils passent à l’hôtel, c’est pour y déposer leurs bagages, qui sont légers, après quoi ils ressortent aussitôt, marchent le nez au vent dans les rues […]. Ce genre de types s’appellent Albert Londres ou Joseph Kessel, et le jour où, à Dublin, j’ai rencontré Olivier Weber, je me suis dit tout de suite qu’il faisait partie de la famille. »
Cette formule conviendrait assez pour décrire son activité d’écrivain : journaliste ayant collaboré avec les quotidiens The Guardian, Libération, Les Nouvelles Littéraires, grand reporter au Point depuis 1990, auteur d’essais biographiques et monographiques sur Ella Maillart et, Lucien Bodard, romancier, réalisateur de documentaires sur le Cambodge et l’Inde, spécialiste de l’humanitaire, enseignant de géopolitique à l’IEP de Paris et président du prix Joseph Kessel, il y a peu de genres et de sujets qu’il n’ait pas pratiqués.
Jusqu’à l’art oratoire de la conférence, où fidèle à la réputation de conteur propre aux reporters des années trente, il s’est successivement consacré à évoquer la mémoire de deux grands princes du reportage, Londres et Kessel, pour aborder ensuite les problèmes contemporains de ce métier.

Ce retour aux « grands frères » lui permet de définir la tradition du reportage dans laquelle il se reconnaît. C’est celle d’un Albert Camus dont il reprend l’expression du « devoir d’être les historiens de l’instant ». Celle d’un Albert Londres dont il vante le sens de la mise en scène, le style théâtral et l’implication personnelle, illustrant son propos par la lecture du reportage sur le bombardement de la cathédrale de Reims le 20 septembre 1914. Après avoir rappelé que cette tendance, favorisée par l’esprit patriotique, l’avait même amené à quelques accommodements avec la déontologie journalistique (il proposa de servir d’espion pour le compte du gouvernement français), il en souligne aussi le caractère social en revenant sur les sujets traités, comme le bagne, les asiles d’aliénés, ou la traite des blanches.
Mais c’est la question d’Orient qui l’intéresse le plus, sans doute parce qu’elle fait le lien avec Joseph Kessel, instituant entre les hommes et les textes une logique quasi filiale. L’expression, qui peut être entendue dans sa dimension psychologique, n’est pas fortuite. Elle est une clef d’analyse souvent employée par Olivier Weber qui au sujet de Kessel revient sur le suicide du frère et le fort sentiment de culpabilité de l’écrivain des Cavaliers. Mais le reportage atteint surtout avec lui sa forme romanesque la plus achevée, et c’est sur cette tension entre invention et vérité qu’Olivier Weber poursuit sa réflexion en prenant l’exemple de Lucien Bodard. Le reporter de France Soir, du temps du grand patron de presse Pierre Lazareff, celui dont le général Salan disait : « Chez Bodard, rien n’est exact mais tout est vrai », incarne à ses yeux cette faculté supérieure d’intuition et de révélation propres aux grandes fictions historiques.

De ce constat d’une frontière floue entre reportage et littérature chez ses figures tutélaires, Olivier Weber enchaîne sur une série de réflexions liées à la situation actuelle de la profession.
Du fait de la rapidité des média et de leur globalisation, il se vit désormais comme un passeur, un relais – y compris au sens littéral et athlétique du terme –, entre cette masse infinie d’information et le public. Le temps nécessaire à la vérification des informations, à leur recoupement, étant largement diminué faute de crédit suffisant, son engagement, toujours réel, se conçoit de plus en plus de manière éthique. Donner à voir n’est plus la seule mission du reporter. Concurrencé et dépassé sur ce terrain par les autres media de l’image, sa fonction spécifique réside dans son pouvoir de créer l’émotion tout en tentant de conserver un regard critique. Acteur privé du champ médiatique, il est dans un rôle proche d’un autre acteur emblématique de cette modernité, lui aussi témoin de ses atrocités : l’humanitaire. Mais encore une fois, sa singularité tient pour Olivier Weber dans sa position marginale et apparemment contradictoire. Elle est dans la tension permanente qui l’anime entre « émotionnel » et « analyse », qualités qui peuvent verser dans la « sensiblerie » et « l’objectivation », bref il est perpétuellement sur la corde raide du jugement.
Dans un monde de réseaux qui opacifient les transactions entre les états nations, Olivier Weber dit moins chercher à exprimer une vérité qu’à restituer ses impressions. « Mettre du romanesque », faire une « story » selon le mot de Lazareff, pour faire « passer des émotions ». Finalement, le grand reportage est pour lui « une démarche d’humanité, d’homme à homme », qui peut se faire au coin de la rue. Une démarche « citoyenne », où la connaissance n’est pas le fait de l’information mais de la rencontre. Son discours évolue donc sensiblement dans son commentaire des aînés glorieux et de leur héritage. S’il retire surtout l’enseignement d’une aventure du sujet, elle n’est plus seulement, et avant tout, littéraire et romanesque, mais bien morale et éthique. Conserver un point de vue antagoniste, où le cynisme et la fraîcheur coexistent.

Bibliographie

Ouvrages:

-Voyage au pays de Toutes les Russies, Quai Voltaire, 1992
-French Doctors, Laffont, 1995
-La Route de la Drogue, Voyage en Opiomie, Arléa, 1996
-Lucien Bodard, Un Aventurier dans le Siècle, Plon, 1997
-Soudan: les Enfants esclaves, Mille et Une Nuits, 1999
-On ne se tue pas pour une femme (Plon, 2000)
-Chasseurs de dragons, Payot Voyageurs, 2002
-Le Faucon afghan (Robert Laffont, 2001)
-Eternités afghanes (Unesco/ Le Chêne, 2002)
-Je suis de nulle part, Sur les traces d'Ella Maillart (Payot, 2003)
-Humanitaires (Le Félin, 2002)
-Le Grand festin de l'Orient (Robert Laffont, 2004)

Ouvrages collectifs:

-Afghanistan: la mémoire assassinée, Mille et Une Nuits, 2001
-Grands reportages: les héritiers d'Albert Londres: "De l'Albanie à l'Albanie: Le grand reportage à l'épreuve du temps réel, 2001
-Escales d'auteurs, Palais Editions, 2001
-Authors Places of inspiration, Palais Editions, 2002
-Femmes afghanes, Hoebeke, 2002, (avec Nilab Mobarez)
-Vivre en guerre: "Histoire de Karachi", Phébus, 2003
-Asie centrale: la mémoire retrouvée, Mille et Une Nuits, 2004
-Massoud: "La guérilla afghane dans la vallée du Panchir", Le Rocher, 2004
-Rapport de mission: l'Expédition Scientifique et Culturelle Paris Kaboul, Sur la Route de la Soie, Unesco/ Guilde Européenne, 2004
-Le Livre noir de l'Irak, La Découverte, 2005

Référencé dans la conférence : Journalisme et relation de voyage au tournant des XIXe et XXe siècles
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