Michel Adanson naquit en 1727 à Aix-en-Provence. Son père était maître de chapelle de la cathédrale. Rien ne le prédisposait à devenir un naturaliste, un voyageur scientifiquement compétent et un botaniste qui voyage. Élève de Jussieu au Jardin du Roi –actuel Muséum d’histoire naturelle de Paris-, il reçoit une solide formation théorique, mais il souhaite la compléter sur le terrain. Ce terrain sera l’Afrique et le Sénégal, où il part, sans mission particulière, dans les bagages de la Compagnie des Indes qui gère le territoire. Son projet africain de 1748 se réalise entre 1749 et 1753, ce qui fait de lui le premier savant à s’être aventuré dans la « zone torride ». Dès ce moment, il caresse un premier projet encyclopédique, faire soixante volumes d’histoire naturelle du Sénégal : il ne publiera qu’un volume sur les coquillages. De retour en France, Adanson, dont le caractère est très difficile, donnera à des recueils académiques des fragments de sa production. Mais il s’enfermera de plus en plus dans une sorte d’autisme scientifique et s’il collaborera au Supplément Panckoucke de l’_Encyclopédie_, il accumulera les matériaux de sa propre encyclopédie qui ne sera jamais publiée. Il meurt oublié en 1806. Son histoire naturelle des coquillages du Sénégal publié en 1757 comportait un abrégé de son voyage (republié par l’auteur de cette conférence sous le titre de _Voyage au Sénégal_). Cette espèce de récit de vie est un journal – mais sans date-, qui témoigne des préjugés d’Adanson et de leur évolution au long de son séjour. Il vit à l’africaine, contrairement aux agents de la Compagnie des Indes ; il utilise la médecine africaine pour ses nombreux malaises qui correspondent à sa propre difficulté d’être. L’image de l’Afrique évolue des préjugés habituels véhiculés par les voyageurs vers une vision positive, toute aussi mythique, d’un paradis perdu exotique. La « relation abrégée » peut être complétée par sa correspondance avec les frères Jussieu (qui contredit souvent l’irénisme de la « relation ») et par ses communications académiques farcies d’éléments biographiques. La « relation » de 1757 a subi l’autocensure opérée par l’auteur. Se réservait-il de revenir plus tard sur certains sujets ? La révélation des richesses exploitables au Sénégal (dont l’ivoire et l’or) pouvait attirer l’attention de certaines puissances, dont l’Angleterre qui se fera attribuer le territoire à l’issue de la guerre de Sept Ans. Des raisons personnelles existent aussi : il refuse de régler ses comptes avec ses « oppresseurs » et pense à ses relations futures avec la Compagnie des Indes. La « relation » est fondée sur des notes prises sur place, mais réécrites et complétées à son retour en France. Comme beaucoup de voyageurs, il emprunte aux relations précédentes : Guillaume Bosman (_Voyage en Guinée_, 1705), Jacob Le Maire (traduction 1695), mais surtout le père Jean-Baptiste Labat qui compile les précédents (_Nouvelle Relation de l’Afrique occidentale_, 1728). Sa description de l’hippopotame vient de là, par exemple, de même que la sangle utilisée par les Africains pour monter sur les palmiers. Il utilise même d’autres voyageurs qui n’ont pas parcouru l’Afrique, mais dont certaines descriptions peuvent être reprises : du voyage du père Jean-Baptiste Du Tertre aux Antilles (1676) pour le poisson volant. La presse du temps reçut différemment sa « relation » : l’_Année littéraire_ de Fréron (juillet 1757) en fit un « extrait » favorable relevant le pittoresque et le « riant séjour » décrit par le voyageur. Le _Journal des savants_ de septembre 1757 s’intéressa à la partie scientifique. Les _Mémoires de Trévoux_ jésuites de janvier 1758, en revanche, ironisèrent sur l’utilité scientifique des relations de voyages elles-mêmes et contestèrent l’image finale de l’Afrique fournie par Adanson. La « relation » fut citée par Buffon et, dès 1757, dans l’article GRAIN (météorologie) de l’_Encyclopédie_ . Elle fut traduite dans plusieurs langues européennes. Adanson avait rencontré Rousseau : ces deux misanthropes se déplurent assez naturellement. Le « relation » d’Adanson répond implicitement à la fameuse note de Rousseau dans le _Discours sur l’inégalité_ (1755) sur l’inutilité des voyageurs et de leurs relations. Adanson se présente comme un voyageur indépendant et philosophe. Paradoxalement, Adanson, qui ne supporte pas physiquement le voyage (mal de mer…), est un voyageur immobile attaché à connaître plus qu’à se connaître. Il relativise son jugement occidental par rapport à une réalité qu’il tente de comprendre, même si, parfois, cela aboutit à un jugement assez conformiste dans la doxa de la pensée européenne du temps. Par exemple, s’il voit la réalité de la traite des noirs à Gorée, il ne semble s’intéresser qu’au petit sac de graines africaines que les esclaves emportent pour leur transport vers l’Amérique. Mais Adanson, qui vit à la locale, est sensible à la réalité africaine, il apprend la langue wolof et, contre le système de Linné, il donne des noms africains aux plantes dont il établit le catalogue (tel le baobab dont il est « l’inventeur »). Son corps est mis en scène par ses divers malaises et ses maladies africaines. La « relation » d’Adanson est le récit d’une expérience qui va au-delà de la simple enquête naturaliste. Bibliographie I. Œuvres de Michel Adanson 1. de son vivant •Histoire naturelle du Sénégal. Coquillages. Avec la relation abrégée d’un voyage fait en ce pays pendant les années 1749, 50, 51, 52 et 53, Paris, Bauche, 1757 * réédition : •Voyage au Sénégal, éd. Reynaud et Schmidt, PU St.-Etienne, 1996 traductions: •A Voyage to Senegal, The Isle of Goree and the River Gambia, London, Nourse & Johnston, 1759 * (autres éditions: Dublin, Ewing, 1759, et dans General Collection of Voyages and Travels in all Parts of the World, London, Pinckerton, 1808-1814, vol. 16) • Nachricht von seiner Reise nach Senegal und in dem Innern des Landes, 1773 •Adansons Resa till Senegal […], Uppsala, Edman, 1795 •Famille des plantes, Paris, Vincent, 2 vols * (rééd. Stuttgart, J. Cramer, 1966) •Supplément de l’Encyclopédie, Panckoucke, 1776 (450 articles d’histoire naturelle dont 50 concernent le Sénégal : Abrus, Acacia, Bananier, Baobab […], Corine) •Mémoires de l’Académie royale des sciences pour l’année… 1759 (Taret) ; 1761 (Baobab) ; 1773 (Acacia) ; 1778 (Gommier blanc) •« Plan et tableau de mes ouvrages manuscrits depuis l’année 1741 jusqu’en 1775 », in Journal de Physique et d’histoire naturelle, avril 1775 •« A Description of the Baobab », Gentleman’s Magazine, oct. 1763 2. après sa mort •Cours d’histoire naturelle fait en 1772, Paris, 1845 •Histoire de la botanique et plan des familles naturelles des plantes (avec Notice d’Alexandre Adanson), 1864 * •« Pièces instructives concernant l’île Goré […] présentées à Mgr de Choiseul », Bulletin géographie historique et descriptive, 1899 •Dix lettres à MM. de Jussieu (1749-1752), publiées par A. Lacroix, Bulletin du Comité d’études historiques et scientifiques de l’AOF, jan. 1939 II. Etudes •Bailly, André, Défricheurs d’inconnu : Peiresc, Tournefort, Adanson, Saporta, Aix-en-Provence, Édisud, 1992. •Chevalier, Auguste, Michel Adanson, voyageur, naturaliste et philosophe, 1934 •Drouin, Jean-Marc, « De Linné à Darwin : les voyageurs naturalistes », in M. Serres (dir.), Éléments d’histoire et de sciences, Paris, Bordas, 1989, pp. 320-335 •Guédès, Michel, « La méthode taxinomique d’Adanson », Revue d’histoire des sciences, vol. 20, 1967, pp.361-386. •Hallé, Nicolas, « L’herbier de Michel Adanson au Museum de Paris et l’itinéraire d’un grand voyage botanique en 1779 », Adansonia, 1969 •Heim, Roger, et al., Michel Adanson, 1727-1806, Paris, Lahure, 1963 •Lacroix, Alfred, « Michel Adanson au Sénégal », Bulletin du Comité d’études historiques et scientifiques de l’AOF, jan. 1938 •Lawrence, George H. (éd.), The Bicentennial of Michel Adanson’s Famille des Plantes, The Hunt Botanical Library, Pittsburgh, Part I, 1963, Part II, 1964 •Michel Adanson, 1727-1806, Museum d’Histoire naturelle et Institut de France, 1963 (articles de J.-P. Nicolas, W. D. Margadant, Th. Monod, etc.) •Nicolas, Jean-Paul, « Adanson, the man », in G. H. Lawrence, op. cit., p. 1-121 •Schmidt, Jean, « Michel Adanson, pionnier de l’ornithologie africaine », Le Français en Afrique, n°12, U. Nice, 1998 (et ) * = disponible sur google print
Référencé dans la conférence : L’Afrique des voyageurs : découverte, mythes, littérature
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