L''tinerario' de Lodovico di Varthema : le livre de l'Inde

Conférencier / conférencière

Varthema entreprend son voyage en Inde au tout début du XVIe siècle (1503-1508) à un moment clé : l’arrivée des Portugais au Malabar. Moment qui signe un changement politique radical puisque jusque là c’étaient les Perses et les Arabes qui détenaient le pouvoir commercial dans l’océan Indien, mais aussi époque d’un essor considérable des connaissances géographiques concernant l’Asie.
Dans quelle mesure sa relation reflète-t-elle un certain état des connaissances géographiques et dans quelle mesure contribue-t-elle à les étendre ? Le but de notre étude n’est pas tant de démêler le vrai du faux, mais beaucoup plus d’interroger la forme sous laquelle ce donné nous est livré. C’est d’abord la question de l’ordre qui doit être posée, mais aussi celle des outils rhétoriques propres à dévoiler la réalité étrangère. L’examen minutieux de la relation montre à cet égard une transformation intéressante, le subjectif devenant au fur et à mesure plus important et tendant à primer sur l’objectif. Nous privilégierons les trois livres de l’Inde pour trois raisons : une conférence avait porté l’an dernier sur les livres concernant le Moyen Orient et l’Arabie ; mais surtout, ces livres nous semblent détenir la clé permettant de mettre au jour les intentions de l’auteur. Intentions qui apparaissent d’autant mieux si l’on compare le texte de Varthema avec d’illustres prédécesseurs évoquant la même réalité géographique : Marco Polo, Jean de Mandeville et surtout Niccolò de’ Conti. Du même coup se dégage une évolution intéressante dans la conception du récit de voyage qui inscrit Varthema comme un maillon essentiel de cette dynamique du genre entre Moyen Âge et Renaissance.

Exemplier

Citation 1
« Comme je me demandais ensuite à qui je pourrais le mieux dédier ce petit récit de mes peines, j’ai pensé à votre Illustrissime et Excellentissime Seigneurie, comme à une observatrice unique de tous les exploits et à une amie de toutes les vertus. Et ce n’est pas là, me semble-t-il, un vain jugement en raison de la culture que vous devez à l’éclatante lumière qui émane de l’Illustrissime et Excellentissime Seigneur le duc d’Urbin votre père, qui dans les armes et les sciences est pour nous comme un soleil. Et je ne parle pas de votre excellentissime frère, qui excelle tellement, tout jeune qu’il est, dans les études grecques et latines, qu’il est aujourd’hui tenu pour un Démosthène ou un Cicéron » (Voyage de Ludovico di Varthema en Arabie et aux Indes orientales, trad. Paul Teyssier, Chandeigne, 2004, p. 36-37).
Citation 2
« Pour moi, fort désireux de parvenir à de pareils résultats, j’ai renoncé aux cieux dont le poids exigerait les épaules d’Atlas et d’Hercule, et je me suis disposé à effectuer mes recherches sur quelques petites parcelles de notre globe terrestre. Mais comme, connaissant mon très faible génie, je ne me sentais pas la force de parvenir au but désiré par étude ou par conjectures, j’ai décidé que ce serait par moi-même et de mes propres yeux que je chercherais à connaître l’emplacement des lieux, la qualité des personnes, la diversité des animaux, la variété des arbres fruitiers et odoriférants de l’Egypte, de la Syrie, de l’Arabie Déserte et Heureuse, de la Perse, de l’Inde et de l’Ethiopie, en me souvenant avant tout qu’un témoignage visuel a plus de prix que dix autres obtenus par ouï-dire » (Ibid., p. 35-36).
Citation 3
« C’est avec sérieux et en homme bien informé qu’il parla du voyage qui le conduisit vers des peuples si lointains, de l’emplacement des régions habitées par les Indiens et de leurs mœurs, ensuite des divers animaux et des divers arbres, puis des aromates […], de sorte qu’il ne donnait pas l’impression d’inventer mais de rapporter la vérité» (Poggio Bracciolini, De l’Inde, Les voyages en Asie de Niccolo de’ Conti, éd. Michèle Guéret-Laferté, Brepols, 2004, p. 79).
Citation 4
[Calicut] : « désireux de savoir qui étaient tous ces gens si variés, je l’ai demandé et on m’a dit qu’il y avait là beaucoup de marchands maures, dont un grand nombre venaient de La Mecque, une partie du Bengale, etc… » (p. 158). [Coromandel] « J’ai trouvé à cet endroit quelques chrétiens qui m’ont dit que le corps de saint Thomas était à douze milles de là… » (Voyage de Ludovico di Varthema, p. 181).
Citation 5
« Votre bienveillance pourra facilement remédier aux défauts résultant du désordre de ce livre, en ne retenant que la vérité des choses » (Voyage de Ludovico di Varthema, p. 37).
Citation 6
Pour Chaul : « Ces gens sont belliqueux. Leurs armes sont des épées, des rondaches, des arcs et des armes fixées sur des tiges de bambou et de bois. Et ils ont de l’artillerie. Cette ville a de très bons remparts, elle est à deux milles de la côte, et elle possède un très beau fleuve sur lequel vont et viennent une très grande quantité de navires étrangers. Car le pays abonde en toutes choses, sauf en raisin, en noix et en châtaignes. On y récolte une très grande quantité de blé, d’orge et de légumes de toutes sortes, et l’on y produit énormément de tissus de coton. Je ne vous parle pas de leur religion car leurs croyances sont comme celles du roi de Calicut, que je vous expliquerai quand le moment sera venu » (Voyage de Ludovico di Varthema, p. 126).
Citation 7
« Maintenant que nous voici presque arrivés au point culminant (il principal capo) de l’Inde, je veux dire à l’endroit le plus prestigieux (la maggior dignità) de ce pays, j’ai décidé de terminer ici ma première partie et d’en commencer une deuxième, car j’ai maintenant à offrir à mes bienveillants lecteurs des objets vraiment plus prestigieux et plus propres à satisfaire l’esprit et l’âme… » (Voyage de Ludovico di Varthema, p. 143).
Citation 8
« Ces gens croient à un dieu qui a créé le ciel et la terre et le monde entier […]. Mais il a envoyé dans le monde cet esprit à lui, qui est le diable, pour faire régner la justice […]. Cet esprit, ils l’appellent le Deumo […]. Et le roi de Calicut conserve ce Deumo de la façon suivante dans la chapelle de son palais. […] Au milieu de cette chapelle est un diable fait de métal, assis sur un siège lui aussi de métal. Ce diable porte une mitre faite de trois couronnes comme la tiare du Pape, et il a aussi quatre cornes et quatre dents avec une énorme bouche, un nez et des yeux vraiment terribles. Ses mains sont faites comme des crocs, ses pieds comme les ergots d’un coq, de sorte que c’est quelque chose de très effrayant à voir. Autour de cette chapelle, toutes les peintures représentent des diables. Sur chacun des côtés est un Satan assis sur un siège, et ce siège est dans la flamme d’un feu où se trouvent une quantité d’âmes longues d’un demi-doigt ou d’un doigt de la main. Ce Satan tient de la main droite une âme dans sa bouche et de l’autre main il prend une autre âme au-dessous de lui » (Voyage de Ludovico di Varthema, p. 145).
Citation 9
« Mon compagnon, appelé Cogiazenor, se voyait dans l’impossibilité de vendre sa marchandise en raison de la défaite infligée à Calicut par le roi du Portugal : les marchands qui avaient coutume d’y venir n’étaient pas là, et ils ne viendraient pas. La raison pour laquelle ils ne venaient pas était que le roi avait permis aux Maures de tuer quarante-huit Portugais que j’ai vus morts. C’est pourquoi le roi du Portugal est toujours en guerre contre eux ; il leur a tué et leur tue encore tous les jours une grande quantité de gens. Telle est la cause de la défaite de cette ville, qui est encore en guerre. Nous partîmes donc… » (Voyage de Ludovico di Varthema, p. 179).
Citation 10
« Comme nous étions stupéfaits d’une pareille coutume, certains marchands du pays nous dirent :
- Pauvres Persans, pourquoi laissez-vous les vers manger de la si belle viande ?
En entendant cela, mon compagnon dit aussitôt :
- Vite ! Vite ! Rentrons sur notre bateau, que ces gens ne me trouvent plus à terre ! » (Voyage de Ludovico di Varthema, p. 222-223).
Citation 11
«Au-delà de ces îles, à quinze jours de voyage en direction de l’est, on rencontre deux îles : la première, qui est appelée Sandai, produit la noix muscade et le macis, la seconde, qui est appelée Banda, est le seul endroit qui produise le girofle. Ces marchandises sont apportées aux îles de Java » (Poggio Bracciolini, De l’Inde, Les voyages en Asie de Niccolo de’ Conti, p. 117).

Bibliographie

Varthema, Ludovico di, Voyage de Ludovico di Varthema en Arabie et aux Indes orientales (1503-1508), trad. de Paul Teyssier, Chandeigne 2004.
-, Itinerario di Lodovico Barthema, dans G. B. Ramusio, Navigazioni e Viaggi, ed. Marica Milanesi, Einaudi, 1978, Tome 1, p. 753-892.

Autres voyageurs
Poggio Bracciolini,Gian Francesco, De l’Inde. Les voyages en Asie de Niccolo de’ Conti, éd. et trad. Michèle Guéret-Laferté, Brepols, 2004.
Mandeville, Jean de, Voyage autour de la terre, trad. Ch. Deluz, Les Belles-Lettres, 1993.
Polo, Marco, Le Devisement du monde, éd. sous la dir. de Ph. Ménard, tome VI et dernier, Livre d’Ynde, éd. D. Boutet, T. Delcourt, D. James-Raoul, Droz, 2009.
-, Le Voyage en Asie d’Odoric de Pordenone, trad. Jean Le Long, éd. critique A. Andreose et Ph. Ménard, Droz, 2010.
Pinto,Fernao Mendes, Pérégrination, trad. R. Viale, Ed. de la Différence, 1991.

Ouvrages critiques
Aubin, Jean, Le latin et l’astrolabe. Recherches sur le Portugal de la Renaissance, son expansion en Asie et les relations internationales, 2 vol., Centre culturel C. Gulbenkian / Cncdp, 1996 et 2000.
Gadrat, Christine, Une image de l’Orient au XIVe siècle. Les Mirabilia Descripta de Jordan Catala de Sévérac, Ecole des Chartes, 2005.
-, Humanisme et découvertes géographiques, Médiévales n° 58, Printemps 2010 (Dossier coordonné par N. Bouloux, P. Gautier Dalché et A. Cattaneo).
Guéret-Laferté, Michèle, Sur les routes de l’empire mongol. Ordre et rhétorique des relations de voyage aux XIIIe et XIVe siècles, Champion, 1994.

Référencé dans la conférence : Séminaire M2 FR 436B/ M4 FR 436B : Orients lointains
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