La preuve par l'Autre, ou du bon usage du paganisme. Théologie de la Révélation primitive et comparatisme religieux dans les littératures viatiques au début du XVIIIe siècle

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Du point de vue théologique, la leçon la plus évidente des voyages lointains hors de l'aire culturelle européenne est le constat d'une très grande diversité religieuse et d'une prévalence apparente les polythéismes. A l'aube des Lumières, ce constat peut conduire au relativisme sceptique des Libertins. Il peut aussi, paradoxalement, être mis au service de l'apologétique, de sorte que les paganismes s'érigent en preuves de la vérité et de l'universalité du christianisme. Telle est la fonction de la notion de la Révélation primitive, à la fois théologiquement orthodoxe et quelque peu suspecte en raison des dérives de l'imaginaire qu'elle favorise. La Révélation évangélique, fondement du christianisme, aurait ainsi été précédée d'autres Révélations antérieures accordées aux Prophètes et aux Patriarches de l'Ancien Testament, voire plus anciennes : selon la version la plus radicale, toutes les vérités du christianisme a venir sont déjà présentes par anticipation dans la Révélation accordée par Dieu à Adam à l'origine des temps, puis transmise sous une forme plus ou moins altérée à ses descendants, autrement dit aux divers peuples de la Terre, tous issus des trois fils de Noé dans le cadre du monogénisme scripturaire. Au voyageur théologien revient donc une triple tâche : retrouver d'abord sous la diversité des cultes païens la trace d'une religion primitive unitaire ; expliquer ensuite comment et pourquoi ce monothéisme originel s'est corrompu en polythéisme ; ramener enfin les religions païennes à leurs racines et donc à leur pureté première en réactivant par la Révélation scripturaire la Révélation primitive enfouie. Ce qui implique une méthode, le comparatisme religieux (la parenté des diverses religions constitue un argument en faveur de leur origine commune), une épistémologie historique (le temps comme facteur de dégradation) et un principe explicatif (l' "idolâtrie", notion généralement préférée a celle de polythéisme) qui rendent compte de cette diversité ; un programme d'action, la diffusion missionnaire du christianisme, qui restaure et accomplisse les promesses de la première Révélation. La théologie de la Révélation primitive peut apparaître aux alentours de 1730 comme le reliquat d'un fondamentalisme biblique dépassé. Mais, avant de céder la place a une nouvelle épistémologie du fait religieux avec l'émergence de la notion de "fétichisme" (De Brosses), elle instaure aussi une dialectique historique du christianisme et du paganisme, reconnus complémentaires voire nécessaires l'un à l'autre, et ouvre la voie à l'anthropologie comparative moderne (Lafitau). L'argumentation s'appuiera principalement sur deux exemples représentatifs des deux grands axes de la littérature des voyages : voyages réels avec les Moeurs des sauvages américains comparées aux moeurs des premiers temps du jésuite Lafitau, ouvrage issu d'une expérience de missionnaire au Canada complétée par de nombreux témoignages de voyageurs ; voyages fictifs avec les Mémoires de Gaudence de Lucques (1737) du prêtre catholique anglais Simon Berlington, où se trouve relatée la redécouverte dans les déserts africains d'un peuple issu des anciens Egyptiens dont ils perpétuent la religion dans sa pureté primitive.

Référencé dans la conférence : 14e Colloque international du CRLV : Récit de voyage et religion
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