La mer, espace de l'aventure (1840-1940)

Conférencier / conférencière

Dans la mesure où l'aventure n'existe pas en tant qu'événement objectif précis, il est paradoxalement possible de faire l'histoire de ce qui, de fait, est appelé "aventure" et constitue avant tout une représentation. L'histoire de l'aventure est donc surtout une histoire du discours sur l'aventure, envisageable à partir d'un large corpus prenant en compte aussi bien des romans, que des récits, des biographies, la presse, etc. Le moment historique du basculement de l'aventure date des années 1890-1920, quand l'aventurier devient l'incarnation d'un modèle de vie positif et que l'"aventurière" ne renvoie plus systématiquement à la courtisane de Ancien Régime mais au féminin d'aventurier. La flibuste, qui était une des trois activités historiques des aventuriers (avec la guerre et l'intrigue), disparaît progressivement : l'aventurier est celui qui cherche l'aventure pour elle-même et Rimbaud devient alors la figure emblématique du thème. Le tournant des XIXe et XXe siècles connaît une hypostasie de la notion, qui s'écrit désormais avec une majuscule, et qui triomphe après 1920 avec entre autres la figure de Lawrence d'Arabie. On peut alors parler d'une mystique de l'aventure : l'aventure est recherchée pour elle-même, sans autre but. A partir de la fin du XIXe siècle, la quête d'un sens donné à l'action fait de l'aventure une modalité poétique de l'existence. La figure de Rimbaud, renonçant à la poésie pour vivre l'aventure, apparaît comme une figure initiatrice. La mer joue un rôle fondamental dans cette mystique. L'exposé se distingue ainsi en deux moments ( I) : Unité de l'espace de l'aventure, 1850-1940 ; II) : La nostalgie de l'espace, 1890-1940) pour caractériser l'importance de l'espace maritime dans l'imaginaire de l'aventure. L'éloignement vers l'outremer, inséparable du voyage, est indispensable au XIXe siècle : la littérature d'aventure appelle la représentation des confins de la planète. Mais cet éloignement est répulsif, il renvoie au refus de la civilisation blanche et européenne et concerne essentiellement le rivage atlantique, avec une attirance particulière pour les estuaires. De plus, il doit être dangereux, correspondant en cela à la rhétorique romantique de la grandeur et du sublime. La mer est conçue comme un vivier de monstres. Dans la mesure où les mystères de la vraie découverte géographique ont disparus, un sentiment nostalgique se diffuse : l'esthétique romantique récuse le rétrécissement du monde (1. La généalogie romantique : la nostalgie du lointain, de l'inconnu, du danger, le touriste anti-héros antonyme du héros voyageur) et un discours sur la fin de l'aventure naît alors (2. L'aventure impossible ? : le basculement du tournant des XIXe et XXe siècles, le paquebot, figure répulsive, l'effacement du marin comme figure de l'aventure). L'aventure est alors réinventée : la fin des conditions spatiales provoque la mythification de l'aventurier. La réactualisation de la figure de Don Quichotte marque l'inadéquation de l'aventurier avec son temps et son espace, ainsi que le rejet de tous les objets de la modernité, la pratique du voyage secret de contrebande, puis la pratique sportive, remplaçant l'inconnu par l'incertitude et le record. La mer, paysage résistant à la disparition du lointain dans la mesure où elle ne garde pas de trace des passages de l'homme, toujours vierge malgré ses diverses déflorations, participe intensément de cette mystique romantique et nostalgique de l'aventure passée.

Mots clés : Kipling, Rimbaud, London, Verne, Lawrence d'Arabie, Malraux, Saint-Exupéry, Conrad, Casanova, Chateaubriand, Monfreid, Simenon, Doyle, Hugo, Benoît, Fleming, Michaux, Victor, Canal de Suez, touriste, paquebot, Don Quichotte.

Référencé dans la conférence : La littérature des voyages maritimes
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