Découvertes maritimes : les restes du festin. Deux morceaux de choix : le Continent austral et le passage du Nord-Ouest

Conférencier / conférencière

Le passage du Nord-Ouest de l’Atlantique au Pacifique et le Continent austral à découvrir sont deux des grandes entreprises maritimes de l’Âge moderne. L’histoire de la seconde est nettement plus célèbre que la première. Il fallut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que le mythe du Continent austral disparaisse, avec le deuxième voyage de Cook, un navigateur qui échoua lors de son troisième voyage à ouvrir le Passage du Nord-Ouest (connue seulement au XXe siècle). En novembre 1520, Magellan baptise la « Terra australis » que l’on trouve dès l’année précédente sur la carte d’Enchiso au niveau du 42° degré Sud. En 1531, Oronce Finé la représente dans une carte où elle touche le Sud de la Patagonie. Des terres réelles avaient été découvertes récemment qui justifiaient l’hypothèse d’un continent : en 1526, la Nouvelle-Guinée par les Espagnols, etc. (voir plus bas). D’ailleurs, toute sorte de théories imposent une croyance qui vient de l’Antiquité. Les deux hémisphères Nord et Sud doivent être équilibrés dans tous les domaines (mers et continents), donc le Continent austral doit exister puisque la plus grande partie connue de l’hémisphère Sud est océanique (carte de Mercator ; Juan Luis Arias). Le cosmos doit être harmonieux et équilibré. Très tard encore, voyageurs et intellectuels se persuaderont de son existence : au XVIIe, le voyageur hollandais Abel Tasman qui longe l’Est de l’Australie et donne son nom à la Tasmanie ; au XVIIIe siècle, le voyageur Dampier et son cartographe (1717), le président de Brosses, le compilateur de voyages Dalrimple (1770-1771), qui donne à l’hypothèse une coloration théologique (inspirée du Psaume de Job, XXVI, 7) et entend prouver par comparaison avec la moindre densité des continents du Nord la forte proportion de métaux précieux au Sud. L’érudit Banks, compagnon du premier voyage de Cook, se surprend à douter de l’existence du Continent. Mais, en France, le géographe Buache et Buffon (1749) le croient possible. Car on pense alors que l’eau de mer ne gèle pas et que les icebergs d’eau douce « prouvent » qu’aux Pôles existent des lieux et des fleuves libres de glaces. Ce lieu est le pays de cocagne annoncé dès le XVIe siècle par Henrri Lancelot Voisin de la Popelinère dans sa théorie des « trois mondes » : l’ancien, le nouveau et la terre australe à découvrir. Car les découvertes continuaient en parallèle : dès le XVIe siècle, les Espagnols avaient atteint les Îles Salomon et avaient pensé qu’il y avait près de là un continent ; en 1612, Quiros parvient aux Nouvelles-Hébrides ; en 1619, le Hollandais Frederick de Houtman longe la côte Ouest de l’Australie et croit y retrouver des toponymes présents dans Marco Polo. Éditeur d’Arias (1770), Alexander Dalrymple rappelle les ambitions espagnoles transmises par ce texte, un siècle auparavant, au roi Philippe III. En fait, ce sont les Hollandais qui vont aller le plus loin. Ils pensent que la Nouvelle-Hollande (l’Australie actuelle) est la « Terra australis », mais ils n’en connaissent qu’une petite partie. En 1641-1642, Tasman suit la côte australienne du Nord au Sud-Ouest ; dès 1646, ce contour apparaît dans la carte publiée en Hollande par Blaeu sous le nom de « Hollanda Nova ». On pense alors que cette côte désertique de peu d’intérêt ne peut être la mythique « Terra australis ». Les voyageurs imaginent qu’elle se trouve ailleurs, au Sud ou à l’Est (Dampier, Bowen). Les Français vont alors apparaître très provisoirement, avec Lozier Bouvet en 1738-1739 ; en 1756, Brosses évoque l’existence de trois continents entre océan Indien et Pacifique : l’Australasie, la Magellanie et la Polynésie (voir la conférence de S. Léoni). Bougainville voit dans le texte de Brosses le « code » qui lui permettra de comprendre la géographie australe. Mais ce sont surtout les Anglais qui vont mener l’exploration. Le nouveau roi George III soutient cet effort. L’amiral Byron cherche le continent austral au Sud de l’Atlantique : sans succès. Wallis parcourt le Sud du Pacifique et découvre Tahiti en 1767 (un an, avant Bougainville). Lors de son premier voyage (1768-1771), Cook, chargé en apparence d’observer le passage de Vénus en 1769, a pour mission de trouver le Continent au Sud du 40°, puis à l’Ouest (Nouvelle-Zélande). C’est lors de son deuxième voyage (1772-1775) que Cook prouve que le Continent austral mythique n’existe pas : il atteint les glaces du cercle polaire antarctique, au 71° Sud. Les théoriciens de la « Terra australis incognita » se résignent : Buffon y renonce dans les _Époques de la nature_ (1778). Les voyageurs français s’en persuadent plus difficilement (Bougainville dans le Pacifique ; Marion Dufresne et Kerguelen dans l’océan Indien). Il reste le Passage du Nord-Ouest à découvrir. Ce sera l’objet du troisième voyage de Cook (1776-1779). Comment aller de la Chine et des Moluques vers l’Europe sans contourner l’Amérique par le Cap Horn ? La côte Nord de l’Amérique a été visitée par les Espagnols qui ont laissé parfois des récits fantaisistes (Juan de Fuca, Da Fonte). Au milieu du XVIIIe siècle, un publiciste anglais Dodds fait la propagande d’un projet qui devrait intéresser la Compagnie anglaise de la Baie d’Hudson contrôlant le Nord du Canada actuel. Le lobby scientifique de la Royal Society londonienne soutient l’entreprise. Cook est chargé de vérifier l’existence du Passage. Il mourra aux Îles Sandwich (Hawaï) sans l’avoir trouvé. Il reste de ces voyages vers un continent qui n’existe pas toute une littérature qui fait de ce « lieu de quelque part » une sorte de « lieu de nulle part », un vrai parcours utopique.

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Le Passage du Nord-ouest
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Référencé dans la conférence : Littérature des Voyages extraordinaires et imaginaires jusqu’au XVIIIe siècle
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