Arrêts, ordonnances et courses sous le Roi Soleil. L'ordre du désordre

Conférencier / conférencière

Au cours de son règne, Louis XIV n'a eu de cesse de mettre les corsaires à contribution. Mais on peut se demander si la course, dont le principe est d'articuler les desseins mercantiles des armateurs à une stratégie militaire, est compatible avec les intérêts de l'État. Si le Prince veut instaurer de l'ordre dans la course, les marins, les armateurs, voire, les officiers de l'Amirauté trouvent souvent leur intérêt dans le désordre.
Malgré les ordonnances et les arrêts qui régissent la course, la conduite des corsaires n'était pas toujours digne d'éloge. Pour preuves, les différentes ordonnance qui interdisaient aux corsaires de prendre les navires, français ou étrangers, munis de passeports en bonne et due forme. Parmi d'autres pratiques peu édifiantes des corsaires, on trouve le recours à la torture pour contraindre des prisonniers à mentir afin de justifier l'arraisonnement d'un navire, le pillage des cargaisons, pratiqué à une échelle si grande qu'il est devenu une plaie endémique de la course, le vol des documents qui permettait de camoufler les vols, l'incendie de navires pris et l'abandon de son équipage sur des côtes désertes et éloignées. Les corsaires n'hésitaient pas à relâcher dans des ports éloignés de ceux où ils avaient armé dans le but de vendre les prises en cachette et de garder ainsi tout le profit de la course. Certains capitaines trichaient aussi sur le montant des rançons exigées, voire, vendaient des "billets de rançon". Enfin, les matelots recrutés ne se présentaient pas toujours à bord après avoir touché leur "avance".
Que les corsaires se conduisent mal n'étonne sans doute pas. En revanche, les indélicatesses des administrateurs peuvent surprendre.
À la vérité, une bonne partie des reproches qu'on peut formuler à l'endroit des officiers de l'Amirauté porte moins sur des malversations patentes que sur des négligences de leur part. Parmi les reproches les plus fréquents : leur lenteur à enregistrer les déclarations des prises et à faire les "procédures", il est vrai longues et fastidieuses. Il y a plus grave à leur reprocher. Les officiers de l'Amirauté investissaient dans les armements des corsaires, ce qui les amenait à privilégier les armateurs auxquels ils étaient liés. De plus, ils ne reculaient pas toujours devant des concussions. Que ce fût à l'occasion de la traduction des déclarations des marins étrangers, d'exigences plus ou moins justifiées, les administrateurs des ports ont parfois cherché à rentabiliser leurs fonctions bien au-delà de ce qui pouvait être tolérable. Certains administrateurs ont même eu recours à des prête-noms pour se faire adjuger des marchandises dans des conditions douteuses, tel Michel Bégon, le trésorier de la Marine à Toulon.
Ces malversations, si scandaleuses soient-elles, s'inscrivent dans la logique même de la course, qui est avant tout affaire commerciale, comme le montre le rôle des armateurs et de leurs commanditaires.
Une des premières tentations auxquelles étaient exposés les armateurs touchait l'armement : ils essayaient souvent de profiter de leur situation pour échapper au contrôle des Fermes et ne pas acquitter les droits exigés par celles-ci. Certains armateurs, par vente "simulée" de leurs navires ou de leurs cargaisons, permettaient aux "ennemis de l'État" de poursuivre leur commerce en France. Certains armateurs participaient volontiers à des fraudes qui leur permettaient d'éviter de payer le dixième de l'Amiral, de partager les profits avec les actionnaires ou avec les officiers de la Marine royale quand ceux-ci avaient participé à la prise d'un vaisseau.
L'activité frauduleuse des armateurs, des "réclamateurs" et de leurs représentants trouvait dans le processus judiciaire un autre terrain où s'exercer. Les appels ne reposaient pas toujours sur des documents authentiques et les déclarations des uns et des autres pouvaient être sujettes à caution. Autre problème lié aux réclamations : des particuliers, sans la moindre procuration des intéressés, s'immisçaient dans les affaires de prises dans le but de s'attirer des commissions. Une autre plaie gangrenait la procédure judiciaire : l'intervention des avocats et de "députés" dans les cas d'appel. Comme leur intérêt était de faire durer les procès le plus longtemps possible, ils multipliaient les mesures dilatoires.
Les armateurs cherchaient encore à augmenter leurs profits et à tromper les actionnaires des armements en faussant les enchères. En outre, la tenue de leurs livres était telle que les actionnaires ne pouvaient s'y retrouver. Des "friponneries énormes" eurent ainsi lieu.
Même le Prince, qui commanditait la course à travers le "prêt" de navires, n'était pas exempt de critique : il lui arrivait de déroger à ses propres règlements pour des raisons diplomatiques ou militaires. N'autorisa-t-il pas, au cours de la guerre de Hollande, les marchands à avoir recours à de faux papiers pour échapper aux corsaires ennemis ? N'intervint-il pas souvent dans le processus judiciaire ?
À la vérité, on peut se demander si la course n'était pas incompatible avec la monarchie de droit divin. Les différentes formes de fraude disent l'impossibilité de régir une pratique qui exclut, presque par définition, toute loi. Si les corsaires ne peuvent que violer des lois qui les briment au moment même où l'appât du gain les incitent à toutes les malhonnêtetés, les armateurs, pour leur part, entrent sans cesse en conflit avec les différents monopoles d'État et prônent une liberté de commerce, nécessaire à la course pour être efficace. Tiraillé entre des intérêts diplomatiques, des jeux d'alliance, et les nécessités de la guerre, le Monarque est amené à contrevenir à ses propres ordonnances. La course illustre les limites de la monarchie, amenée à déroger à son idéal, sinon à son essence même.

Publications sur les voyages
Ouvrages
L'Aventure américaine au XVIIIe siècle. Du voyage à l'écriture, Ottawa, P.U.O., 1990.
L'Ailleurs au XVIIIe siècle, textes recueillis et édités par Pierre Berthiaume, in Revue de l'Université d'Ottawa, vol. 56, n. 1, janvier-mars 1986.

Éditions critiques
François-Xavier de Charlevoix, Journal d'un voyage fait par ordre du Roi dans l'Amérique septentrionale. Édition critique par Pierre Berthiaume, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1994, 2 vol.
Mathieu Sagean, Relation des aventures de Mathieu Sagean. Édition critique par Pierre Berthiaume, Montréal, P.U.M., 1999.

Communications publiées dans des actes de colloques
"L'Amérindien revu et corrigé ou le Bon Sauvage, version charlevoisienne" dans Les Lumières en Hongrie, en Europe centrale et en Europe orientale. Actes du Cinquième Colloque de Matrafüred, Budapest-Paris, Akadémiai Kiado-Éditions du C.N.R.S., 1984, p. 99-113.
"Déliquescence du Sauvage", in Antonio Gómez-Moriana et Danièle Trottier (sous la direction de), l'Indien, instance discursive, Actes du Colloque de Montréal 1991, Montréal, Les Éditions Balzac, collection "L'Univers du discours", 1993, p. 185-203.
"Les Acaaniba de Mathieu Sagean : Mythes et rêves mississipiens", in la Découverte de nouveaux mondes : aventures et voyages imaginaires au XVIIe siècle, (textes recueillis et présentés par Cecilia Rizza), Fasano (Italie), Schena editore, 1993, p. 103-113.
"Dégénérés et monstrueux : l'Amérique de Cornelius de Pauw", Actes du dix-neuvième colloque de la Société d'histoire coloniale française, 1994, p. 44-54.
"Babel, l'Amérique et les jésuites", dans La France-Amérique (XVIe-XVIIe siècles), Actes du XXXVe colloque international d'études humanistes, (textes réunis par Frank Lestringant), Paris, Honoré Champion, 1998, p. 341-354 (article remanié et déjà publié sous une autre forme : "Fleurs de rhétorique montagnaise : fleurs vénéneuses", dans Amerindia, n° 17, 1992, p. 121-148).

Contributions à des ouvrages collectifs
"Les Relations des Jésuites (1632-1673)", dans Jean Sgard, Dictionnaire des Journaux (1600-1789), Paris-Oxford, Voltaire Foundation, 1991, t. II, p. 1074 -1079.
Article "Canada" dans Jean Goulemot, André Magnan, Didier Masseau (sous la direction de), Inventaire Voltaire, Paris, Gallimard, 1995, p. 193-194.
6. Articles (revues avec comité de lecture):
"Le tremblement de terre de 1663 : les convulsions du Verbe ou la mystification du logos chez Charlevoix", dans R.H.A.F., vol. 36, n° 3, décembre 1982, p. 375-387.
"Charlevoix et Challe : regards sur les Anglais ou l'histoire au service d'idéologies antagonistes", in Voix et images, vol. VIII, n° 1, automne 1982, p. 83-96.
"Quelques remarques sur la notion de récits de voyages au XVIIIe siècle : la Description du Détroit & de la Baye d'Hudson de Nicolas Jeremie", in Revue de l'Université d'Ottawa, vol. 56, n° 1, janvier-mars 1986, p. 99-106.
"Approche de l'hétérologie au siècle des Lumières", in L'Homme et la nature Man and Nature, vol. VII, 1988, p. 79-116.
"Les Relations des Jésuites : nouvel avatar de La Légende dorée", Cahiers du Département d'études littéraires, n° 9, 1988, p. 121-139.

"Fleurs de rhétorique montagnaise : fleurs vénéneuses", dans Amerindia, n° 17, 1992, p. 121-148.
"Locus amoenus, lacus inamoenus", dans Études de lettres, 70e année, n° 1-2, janvier-juin 1995, p. 49-58.
"Raynal : rhétorique sauvage, l'Amérindien" in l'Histoire des deux Indes, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, n° 333, 1996, p. 231-249.
"Cosmographie et géographie chez Jean Alfonse ou l'invention de l'espace", in Revista española de Estudios Canadienses, vol. III, n° 1, sept. 1996, p. 117-131.
"Paul Lejeune ou le missionnaire possédé", in Voix et images, vol. XXIII, n° 3 (69), printemps 1998, p. 529-543.
"Entre la polémique et le littéraire : le baron de Lahontan" (en collaboration avec Danielle Forget), dans The Canadian Journal of Rhetorical Studies / La Revue canadienne d'études rhétoriques, vol. 9, septembre 1998, p. 73-96.
"Le Grand Voyage du pays des Hurons de Gabriel Sagard", dans Lettres québécoises, n° 8, novembre 1977, p. 39-41.
"Journal d'un voyage fait par ordre du Roi dans l'Amérique septentrionale de F.-X. de Charlevoix", dans Corpus, n° 1, printemps 1982, p. 23-26.
"Petite rhétorique à l'usage des géo-politicologues", dans Corpus, n° 3, printemps 1985, p. 25-32.

Référencé dans la conférence : 13e Colloque International du CRLV : L'Aventure maritime
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