Émergences de la géographie, France/Italie, XIVe-XVIIe siècles (novembre 2020)

Etudes réunies sous la direction de Christine GADRAT.

La géographie, selon ce qui est parfois écrit rapidement, n’existe pas au Moyen Âge. Il est vrai qu’elle ne constitue pas une science à part entière, un domaine de savoir autonome et n’est pas répertoriée parmi les sciences du quadrivium ; elle n’est ni enseignée, ni clairement désignée. Mais elle est bel et bien pratiquée. Et ce par des personnages divers qui ne se donnent pas le nom de géographes, mais qui sont théologiens, maîtres ès arts, chroniqueurs, etc. À la fin du Moyen Âge, à partir du XIVe siècle surtout, elle tend néanmoins à prendre de l’importance et à évoluer vers la formation d’une discipline tout au long de l’époque moderne. Cette évolution se traduit notamment par l’émergence de nouvelles figures intellectuelles que l’on peut qualifier de géographes et d’œuvres que l’on peut intituler à proprement parler « traités de géographie ». Un mouvement parallèle touche la cartographie, avec l’émergence d’ateliers ou d’individus spécialisés dans la production de ce type de documents.

Elle se détache peu à peu des autres sciences auxquelles elle restait jusque-là attachée, étant souvent une annexe ou un outil de l’histoire, de l’exégèse biblique ou du commentaire des textes antiques, ou encore des sciences naturelles. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi le terme d’émergences, au pluriel, afin de montrer le mouvement qui fait s’émanciper la géographie des autres domaines du savoir. Nous essayons, dans ce volume, de retracer ce parcours, de traquer les voies par lesquelles cette géographie émerge, à travers les récits de voyages, la multiplication tout autant que la diversification des cartes et des documents géographiques. Cette émergence est souvent accompagnée, voire soutenue par les pouvoirs en place, qu’il s’agisse de rois ou de grands princes français et italiens, qui manifestent fréquemment de l’intérêt pour la géographie. Celle-ci est alors à la fois une source de prestige et un instrument de gouvernement. Mais l’émergence de ce goût pour le savoir géographique se rencontre également dans d’autres milieux : milieux savants et humanistes, mais aussi milieux plus populaires, quand la géographie s’infiltre dans les chansons et les proverbes et parvient à constituer un savoir.

Les remarques formulées ci-dessus peuvent être appliquées aussi bien au Moyen Âge qu’à l’époque moderne, c’est pourquoi il nous a paru important de ne pas opérer une rupture qui serait de toute façon artificielle. Il n’est d’ailleurs pas anodin que plusieurs contributions se situent à cheval sur la fin du Moyen Âge et le début de l’époque moderne. En effet, même si le nombre de cartes, de traités de géographie augmente significativement dès le XVIe siècle, même si la fonction de géographe du roi apparaît durant ce même siècle, la géographie n’est cependant pas complètement installée ni pleinement identifiée, comme de nos jours, à l’époque moderne. Il faut attendre le XVIIIe siècle, et plus sûrement le XIXe siècle avec des figures fondatrices telles qu’Elisée Reclus ou Alexander von Humboldt, pour voir la géographie faire l’objet d’un enseignement propre en tant que discipline. Jusque-là, elle est encore largement mêlée à d’autres genres, comme les récits de voyages. De ce fait, il est intéressant de voir comment à l’époque moderne, récits de voyages et géographie sont encore étroitement imbriqués : comment le récit de voyage peut servir d’alibi à la géographie, quelle(s) relation(s) les auteurs de ces récits entretiennent avec cette discipline et comment, au final, une écriture du monde émerge.

Il a également paru intéressant de ne pas limiter notre enquête à un unique espace, mais d’explorer les circulations et les échanges entre la France et l’Italie. Si le domaine italien est souvent mis en exergue quand il s’agit de déceler les origines de la géographie, particulièrement pour la période humaniste, l’espace français apparaît comme le parent pauvre des études et se voit régulièrement réduit à une fonction de relais dans ce mouvement. Loin de vouloir procéder à une comparaison systématique – et encore moins à une mise en concurrence – des deux espaces, il s’agit plutôt de mettre en évidence tant leurs éventuels particularismes que les nombreux liens et échanges transalpins qui ont nourri les géographes des deux versants.

Les contributions réunies dans ce volume ont été présentées lors de journées d’études qui se sont tenues à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence les 3 et 4 octobre 2018. Celles-ci ont bénéficié du soutien du LA3M (Laboratoire d’Archéologie Médiévale et Moderne en Méditerranée) et du CIELAM (Centre interdisciplinaire d'étude des littératures d'Aix-Marseille). Je remercie Sylvie Requemora d’accueillir ces actes dans la revue Astrolabe.

Émergences de la géographie, France/Italie, XIVe-XVIIe siècles (novembre 2020)
50|2020
Numéro coordonné par

Ont participé à ce numéro :

  • Christine GADRAT
  • Christine GADRAT-OUERFELLI
  • Christophe LUZI
  • Joanna OFLEIDI
  • Lou-Andréa PIANA
  • Léonard DAUPHANT
  • Nathalie BOULOUX
  • Oury GOLDMAN